Peter Seewald, le journaliste bavarois qui a écrit deux livres avec Joseph Ratzinger. (30/7/2010)

Il s'agit des deux extraordinaires exercices de "communication", dans le meilleur sens du terme, parus en France sous les titres "Le sel de la terre", et "Voici quel est notre Dieu", abondamment cités dans ces pages, comme références.
Et aussi d'une biographie, malheureusement pas traduite en français à ce jour, parue en Allemagne sous le titre "Benedikt XVI. Ein Porträt aus der Nähe" (présentation ici http://tinyurl.com/39deowb ), et en anglais,aux éditions Ignatius (l'éditeur de Benoît XVI aux Etats-Unis) sous le titre "Benedict XVI, an intimate portrait" (ici: http://tinyurl.com/3yhtjlg )
Il y raconte en particulier, non sans humour, sa première rencontre avec le cardinal Ratzinger, au palais du Saint-Office, en 1992 (http://tinyurl.com/37h9kzx ):
"La porte s'ouvrit, et un gentleman petit, délicat, entra, plus petit que je n'imaginais. Il se hâta vers nous avec un long 'Jaaa', et étendit les mains en un geste d'évêque"

Peter Seewald a usé d'une expression très belle pour qualifier Benoît XVI: "l'ambassadeur spécial de Jésus" (http://tinyurl.com/2ueyl6w , 2007).
Plusieurs interviewes de lui ont été traduites sur ce site, notamment celle-ci: http://tinyurl.com/37nkt6z (une première année fantastique, 2006).

Je reproduis ci-dessous deux textes particulièrement inspirés, deux documents exceptionnels, pour connaître la personnalité de Joseph Ratzinger.



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1. Le Pape Benoît XVI, notre don du ciel

Du Pape de transition au super-Pape
Peter Seewald, Vanity Fair, 11 avril 2007

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Le 16 avril, Benoît aura 80 ans.
Comment va-t'il? Comment vit-il? Qui est-il?

Personne ne pensait possible que le successeur d'un "pape du millénaire" comme Karol Wojtyla pût être autre chose qu'un "Pape de transition". Tout comme il était également considéré comme peu probable que le ci-devant "Grand Inquisiteur" pût devenir Pape.
"Les athéistes vont se réjouir de l'élection de Benoît XVI", écrivait l'historien britannique de gauche Timothy Garston à ce moment , "car ce vieux, académique, conservateur et peu charismatique bavarois va sûrement pousser à la déchristianisation de l'Europe, même s'il recherche le but contraire".
Eh bien, tout le monde n'est pas prophète. Deux ans après le début du premier pontificat du troisième millénaire, beaucoup de choses ont changé.

Les livres du Pape figurent sur la liste des best-sellers. Les manifestations papales attirent des millions de personne. Jamais auparavant l'univers du Pape n'avait été aussi présent, jamais autant de personnes de par le monde n'avaient pu l'entendre en direct. Durant sa visite en Bavière, le poadcast du pape a été téléchargé 30.000 fois.
(ndlr: certes, ceci a été écrit AVANT les dernières terribles polémiques; mais il ne faut pas perdre de vue qu'elles sont nées uniquement dans la presse, et, peut-être, tentent de neutraliser l'évidente popularité du Saint-Père)
Il est sans précédent qu'une encyclique se vende à des milliers d'exemplaires. Mais la première encyclique de Benoît a même battu un record pour un document latin, quand une seconde édition fut nécessaire, alors qu'un premier tirage de 450.000 exemplaires était déjà épuisé.

En Italie, chaque évènement du Pape est diffusé en direct à la télévision. En Bavière, il y avait davantage de caméras de TV pour couvrir en intégralité son déplacement, que pendant toute la durée de la récente coupe du Monde de football.

Pour sa première année dans son ministère, le Pape allemand a attiré presque 4 millions de personnes Place saint-Pierre, le double du chiffre réalisé par son très populaire prédécesseur.
Depuis que Ratzinger est devenu Pape, le nombre de catholiques quittant l'Eglise a chuté, tandis que le nombre de ceux qui y retournent, ou des nouveaux convertis, est en augmentation. Les universités rapportent qu'après des années de declin, il y a eu une croissance sensible dans tous les domaines des études théologiques.

La convention sociale admise du temps de Jean-Paul II qui consistait à rejeter le pape, n'est plus une convention. Même des célébrités comme Mario Adorf (un réalisateur allemand) considèrent celui qui fut "le Grand Inquisiteur" des portraits médiatiques, comme "très bien informé, très intelligent, modeste, compétent et amical".
Le romancier Martin Walser (second après Benoît XVI dans le classement 2006 des intellectuels allemands les plus cotés) dit que "Auparavant, je ne le connaissais qu'à travers les courtes rubriques d'informations, sans expérience personnelle", mais depuis qu'il le connaît, il est incroyablement impressionné.

La star du football Franz Beckenbauer, le "Kaiser" considère les 48 secondes de son audience auprès de Benoît XVI comme le moment le plus important de sa vie. (voir ici: Beckenbauer "converti" )

"L'humanité a plus que jamais besoin de lui", dit-il à propos de son compatriote. "J'ai lu tous les discours qu'il a prononcés lors de sa visite en Bavière, et en eux, il dit à chacun de nous 'Allez à l'Eglise, et connaissez-vous'.
Le Pape l'a inspiré, Beckenbauer dit "J'ai rarement vu quelqu'un avec ce rayonnement, cette bonté, cette amitié, si visibles sur son visage!".

Jamais auparavant un Pape n'avait du jour au lendemain exercé un tel pouvoir d'attraction. Et probablement, jamais la Chaire de Pierre n'avait été occuppée par quelqu'un d'une telle dimension intellectuelle.
Selon le théologien libéral munichois Eugen Biser, "il est le pape qui a placé l'idée d'être le représentant du Christ sur la terre au coeur de son pontificat. Il ne se considère pas comme le Chef de l'Eglise, ni comme un objet de culte pour l'Eglise. Il représente L'Unique qui doit être aimé, et en qui on doit croire".
Ainsi, dit Bilser, il aura une Eglise où "la foi ne signifie pas seulement l'acceptation des dogmes, mais comme une invitation à faire l'expérience de Dieu... une Eglise où Jesus vit vraiment dans le coeur des fidèles".
Il en résulte, pour Biser, la conviction que Benoît XVI figure déjà parmi les Papes les plus importants de l'histoire.
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Etre Pape n'est pas seulement un 'job'. Cela confère une puissante aura. On ne peut méconnaître cette aura, de même qu'on ne peut sous-estimer l'habilité déployée si vite par Ratzinger en s'installant à son poste.

Et portant, il est resté fidèle à lui-même dans sa fermeté, la simplicité de ses manières, avec l'intelligence supérieure de quelqu'un qui transmet du sens dans un monde devenu insensé.

La synthèse entre la foi et la raison est le thème central de son message. Mais il y a plus que cela. Il a une légèreté, un pouvoir nouveau pour la poésie et la propéthie. Une nouvelle lueur dans ses yeux.

De façon mélodramatique, on pourrait dire: Joseph Ratzinger est au sommet de sa pensée, dans le plein épanouissement de sa foi, dans la plénitude de l'amour. La 'transfiguration' d'une personnalité publique est en marche. Pendant des années, sa manière d'être défensive, comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui cachait sa véritable personnalité à la vue du public, a ouvert le chemein vers un charisme fait de gentillesse et de bonté.
De toutes façons, Ratzinger ne fut jamais le personnage sinistre et borné dont on nous a souvent dressé le portrait. Un de ses professeurs, à Traunstein, dans un témoignage rassemblé parmi d'autres par l'ex-Gymnasium (lycée) dont il fut élève, disait que, comme élève, Ratzinger était qualifié par le mot 'rebelle'.
En réalité, cet élément de protestation, de questionnement critique, de résistance à toutes les modes, Ratzinger l'a démontré tout au long de sa vie.

Cela commença chez lui, où la résistance contre un système athée était considérée comme une des composantes de la pensée chrétienne. Cela continua au séminaire, dont aucun des élèves ne rejoignit volontairement les jeunesses hitlériennes. Même après que le curé de la Paroisse eût été arrêté, et qu'une bombe eût explosé devant le presbytère.
Dans un texte du théologien anti-fasciste Auguste Adam (dont Ratzinger dit que ce fut une des lectures-clés de sa jeunesse) il lut que le désir sexuel n'est pas impur, mais doit être considéré comme un don à lravers lequel l'amour-"caritas" -l'amour pour son prochain- atteint sa plénitude.
Le livre de son ami Joseph Pieper "A propos de l'amour", avec des chapitres comme "L'unité entre amour-caritas, et amour érotique" contiennent des indications sur ce que sera la pensée de Ratzinger des années plus tard.
Le premier texte de l'étudiant Ratzinger fut une traduction d'un texte en latin de Saint-Thomas d'Aquin, intitulé "Révélation sur l'amour".
Exactement 60 ans plus tard, ce sera le thème de sa première encyclique 'Deus Caritas Est", qu'on peut lire en partie comme un grand 'oui', une acceptation par l'homme de sa corporéité, qui en libère l'eros, rendu captif par l'industrie du sexe.
Même le magazine notoirement anti-clérical Der Spiegel célébra la première encyclique du Pape allemand comme un "hymne à l'amour".

"Qu'aimez-vous le plus?", lui demandai-je un jour lors d'une interview.
"J'aime la beauté de notre pays. J'aime y flâner. Je suis un patriote bavarois, j'aime la Bavière, plus particulièrement notre histoire, et, bien sûr, notre art..."

"La musique?"
"C'est une partie de ma vie sans laquelle je ne peux vivre" (il a gardé son vieux piano au Vatican, sur lequel il joue Mozart, Bach, Palestrina).

"Quoi d'autre?"
"L'amitié."

"Quel livre emmèneriez-vous sur une île déserte?"
"Naturellement, la Bible... et Les Confessions de Saint-Augustin"

Qu'aimez-vous le mieux lire?"
"Essentiellement des livres d'histoire, de philosophie, et de politique. Je suis un lecteur rapide ('a speed reader'). J'ai toujours beaucoup aimé Theodore Storm. Et Goethe, bien sûr, même s'il paraît un peu naïf de le dire".

"Quoi d'autre?"
"Avant, j'étais un lecteur avide de romans et de poésie. Hesse, Kafka, Thomas Mann, Annete Kolb. Le livre de Hesse que je préfère est "Le loup des steppes", et puis "Peter Camenzind", et naturellement "Le jeu des perles de verre".
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Après l'affluence et même parfois, la frénésie des premiers mois du Pontificat, le plus célèbre "appartamento" du monde a pris son rythme de croisière.
Le Pape se lève à 6 heures. Il célèbre la messe dans sa chapelle privée, prend son petit déjeuner, puis il travaille dans son bureau avec son secrétaire privé, Mgr Georg Gänswein. Le mercredi, il y a l'audience générale. Et les dimanches, il est ponctuellement à la fenêtre de son bureau à midi, pour prier l'Angelus, et pour donner sa bénédiction à la foule.
A l'inverse de son prédécesseur, Benoît XVI a rarement des hôtes à sa table, et il se couche plus tôt. Ses appartements ont été rénovés, il a un salon privé, ainsi qu'une bicyclette d'intérieur.
Depuis que le contenu de ses caisses de livres a été remis en place, en même temps que son piano, il se sent beaucoup plus chez lui. Il a bouleversé la tradition en imposant son propre tailleur au lieu du tailleur 'institutionnel du Vatican (ndr: Gamarelli: mais ces rumeurs sont-elles vraies? elles contredisent le reportage de la RAI 'il papa dell'amicizia con Dio'). Il dit aussi qu'il a eu du mal à s'habituer à ce que les gens l'appellent "Saint-Père" ou "Sainteté".
Depuis le second étage du palais Apostolique, où sont situés les salles d'audience et les bureaux de la diplomatie vaticane, Benoît termine une journée de travail ordinaire en montant à l'étage supérieur et en regagnant ses appartements, avec une heure au moins de conférence avec son 'numéro-deux', le Cardinal Bertone.
Il ne redevient une personne privée qu'à partir de 20h45, quand son valet Paolo finit son service.
Dans les coulisses, quatre "memores domini", des soeurs laïques, tiennent son intérieur. Ses deux secrétaires personnels, le jeune Mgr Miecyslaw Mocryzyski, avec qui il a appris le polonnais, et Mgr Gänswein, sont déjà dans leurs chambres, au dessus de l'appartement du Pape, répondant à des mails jusque tard dand la nuit.

Au début, l'enfermement forcé fut sa plus grande 'torture'. Et aussi, la pensée de ne plus pouvoir retouner à Ratisbonne quand il en avait envie. De ne plus pouvoir jouer avec les chats du Borgo Pio, comme il avait l'habitude de le faire lors de ses promenades quotidiennes dans les environs, sa passion.
Mais à plusieurs reprises, vêtu d'une soutane noire, il s'est rendu dans son ancien appartement, tout proche. Et il lui arrive de s'arranger pour retrouver des amis.
Il continue de rencontrer une fois par an ses anciens étudiants, se réjouissant de jouer encore une fois le rôle du professeur. Il s'assied au milieu d'eux, -beaucoup sont à présent évêques, ou, au moins, de vénérables prêtres- ses lunnettes sur le nez, et discute avec eux comme avant.

Ratzinger est très consciencieux, mais ce n'est pas un bureaucrate. Il est familier d'écarts malicieux par rapport au protocole. Tout comme l'ironie bienveillante dont il fait preuve.
Par exemple, lors de son voyage en Bavière, il dit aux prêtres et séminaristes de Freising qu'il avait préparé un "grand discours". Bien sûr, il n'aurait jamais parlé ainsi d'un de ses propres textes. Mais personne ne savait que parmi les discours prévus pour le voyage en Bavière, celui-ci était le seul qui ne fût pas de sa main (finalement, il ne l'utilisa pas, et il improvisa son discours).

C'est un homme de parole, mais il dit beaucoup de choses à travers des gestes et des signes. Par exemple, sa décision d'arborer le désormais fameux camauro comme couvre-chef d'hiver, bien qu'il n'ait pas été utilisé depuis Jean XXIII, n'était pas uniquement dûe à son souci de se protéger du froid, mais un symbole qu'il voulait porter de certaines traditions de l'Eglise, dont il pensait qu'elles devaient être mises en avant.
Simultanément, le nouveau style de la papauté s'impose de façon claire. D'abord, il a mis au rebut la pratique du "baise-main", qui était une réminiscence de pratiques courtisanes, bien que des des gens puissent encore (et continuent) de baiser l'anneau papal. Il a remplacé la tiare, sur les armoiries pontificales, par la mitre de l'évêque.
Wojtyla utilisait le pronom personnel 'JE' en parlant, mais Ratzinger a choisi d'utiliser le 'NOUS' papal, de façon à projeter non pas sa personne, mais l'appareil tout entier, et les évêques.
Le personnel du Vatican note que les choses sont plus disciplinées, , efficaces, transparentes. Benoît a raccourci le premier synode des évêques, le ramenant de 4 à 3 semaines, et le rendant plus collégial, introduisant une heure quotidienne de discussion libre.
"Sa force est incroyable", dit quelqu'un qui travaille avec lui. "Il ne semble pas ressentir le fardeau du travail". La façon dont il assume tout ce travail de routine quotidienne les laisse perplexes, et ils se demandent comment il trouve encore le temps d'écrire.
Au début, ce qui a aidé Benoît à assumer l'héritage de son prédécesseur fut une meilleure répartition des tâches, et la discipline de travail à laquelle il s'était astreint depuis sa jeunesse. Mais il a également réduit le nombre des audiences et des manifestations publiques d'environ 50%.
L'appareil du Vatican, très capable d'empêcher le Pape de mener effectivement l'Eglise, en remplissant son agenda avec des manifestations sélectionnées, a dû céder devant Benoît. Il a choisi d'intensifier les rencontres avec les évêques et les prêtres, de manière à être plus proche des problèmes de l'Eglise. Ratzinger étudie au préalable intensément les dossiers, avant chacune de ces rencontres.

En général, Benoît travaille vite, mais il attend que les sujets demandant des clarifications arrivent à maturation avant de prendre une décision.
Des critiques notent qu'il est aussi très lent à régler les problèmes internes importants, lorsqu'ils se posent. Mais les affaires personnelles ne sont pas son fort. Même dans son entourage proche , il est est très probable qu'il laisse traîner les problèmes sans solution, ou qu'ils les ignore complètement.

Qu'il ne soit pas génial ('brillant') en permanence, cela s'est manifesté de manière évidente dans ses interviews télévisées (commentaire de la traductrice Teresa, qui a vu, comme moi, le direct: je ne suis pas d'accord, bien sûr! Quelqu'un qui dit que les anges volent parce qu'ils ne se prennent pas trop au sérieux, comme il l'a dit à la télévision allemande, est suffisamment original pour mon goût!). Ses réponses sont souvent compliquées, rarement originales, trop 'standards'.
"Dieu merci, c'est fini", l'a-t'on entendu dire hors micro à la fin de son intervention à la télévision allemande, avant sa visite en Bavière.
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Benoît a commencé son Pontificat avec beaucoup de prudence , mais, lors de la visite en Bavière, il en a mis en lumière les potentialités, principalement le don particulier de Ratzinger pour retourner les choses, et gagner des batailles en apparence perdues.
Il souhaitait, avec cette visite, reprendre des forces, ainsi que me l'avait dit le Pape quelques mois auparavant, en replongeant dans ses racines. Dans le même temps, il affirmait "ce n'est qu'en puisant à la source des traditions que la chrétienté fatiguée pouvait connaître une nouvelle Pentecôte, et retrouver le courage d'un nouveau souffle".
Benoît vint, vit, et fut revivifié. La beauté des paysages bavarois , ses villes et villages, resplendissaient lors de ces belles journées estivales. Et, avec elles, la beauté de la foi.

Dès l'arrivée à l'aéroport de Munich, il fit de nouveau référence à la signification de la religion dans un monde sécularisé.
"Nous souffrons en ce moment d'une difficulté à entendre Dieu", dit-il un peu plus tard.
Il déclarera au président fédéral, Horst Koehler, que l'Allemagne devrait faire un effort afin de mieux intégrer ses musulmans. Lale Akguen, un représentant musulman SPD au parlement, dit ensuite "Même les musulmans, en Allemagne, peuvent désormais dire 'Wir sind Papst' (nous sommes Pape: voir ici http://beatriceweb.eu/baviere/documentation/livres/wirsindpapst.html).
Chaque étape du voyage en Bavière fut symbolique. Y compris quand il resta en prière privée à la chapelle d'Altötting, plus longtemps qu'il ne l'avait jamais fait ailleurs.

L'enchaînement bien orchestré des rencontres et des manifestations incluait également une 'conférence' à l'Université de Ratisbonne, où il fut plusieurs années professeur. Il parla de la tendance moderne à considérer la foi et la raison comme deux choses séparées, et déclara "une raison qui est sourde à Dieu, et qui met la religion de côté, est incapable d'engager un dialogue entre les cultures".
Personne ne trouva à redire à la conférence. Le site Spiegel Online commenta sur le ton de l'ennui "Le Pape était là -et alors??" Il avait plaidé pour le dialogue avec l'Islam, mais sans y mettre une emphase particulière.
Quand, quatre jours plus tard un tollé organisé dans les pays musulmans conduisit à voir des églises chrétiennes incendiées, le ton changea. Le chef spirituel de l'Iran, l'Ayatollah Ali Chameini, qualifia la conférence du Pape comme "l'ultime épisode d'une conspiration en vue d'une nouvelle croisade".
Tout à coup, même les commentateurs allemands se mirent à claironner, sur un ton outragé, qu'un homme comme Ratzinger aurait pu choisir ses mots avec plus de soin! Tout cela à cause d'une citation arbitrairement extraite de la conférence du Pape. Benoît avait cité une conversation entre l'Empereur byzantin Manuel II Pléologue, et un musulman "lettré", qui s'était déroulée aux alentours de l'an 1400.
Le souverain pontife avait-il joué involontairement avec le feu? Que nenni! La citation venait d'un livre qu'il avait lu peu auparavant, comme exercice spirituel, et qu'il avait encore en mains à ce moment.

Qu'il s'en soit servi pour sa conférence montre à quel point il apprécie les déclarations claires. Comme professeur, il était déjà connu pour utiliser des citations à fort pouvoir évocateur afin de mettre en évidence un point précis. Personne n'avait vérifié son texte à l'avance (No one had checked out his text beforehand).

Plus tard, il aurait dit: "la conférence était une invitation à un dialogue sérieux, avec un grand respect mutuel".
Ratzinger n'est pas un activicte, qui exécute des plans longuement prémédités. Il se voit plutôt comme un instrument de la Providence, qui cherchent des signes envoyées par le Créateur, afin de trouver sa voie. Il examine la tournure que prennent les choses, et agit en conséquence. Une telle tempête peut parfois devenir une bénédiction, dut-il penser après le premier 'bombardement', notant le ciel chargé, mais pensant que l'orage finirait par s'éloigner.
Et c'est ce qu'il advint. Deux mois plus tard, après la visite en Turquie, le ton changea de nouveau. "Les explications du pape ont été plus que satisfaisantes", dit le grand mufti de Syrie, le Sheik Hassoun. Le supposé 'faux-pas' (en français dans le texte) devint une borne indicative.

Le journal islamique modéré 'Zaman' fit son titre sur le "message de paix du pape", et que, finalement, le dialogue entre les religions, était en bon chemin. "Les musulmans acclament Benoît" proclama cette fois 'Der Spiegel'.
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Ratzinger développe sa propre voix comme pape. Pour lui, cela signifie redécouvrir ce qui fait l'authencité du message chrétien: "Apprenez à penser comme le Christ", dit-il aux évêques, ajoutant "Il ne s'agit pas de penser avec l'intellect, mais avec le coeur".

Particularité de cette époque, l'arrivée du Pape allemand coïncide avec le processus de redécouverte par la société que le levier pour réveiller les consciences chrétiennes, ce sont encore une fois ces valeurs éternelles, en réaction avec la dépravation croissante d'une société dominée par le commerce et la valorisation de l'ego.
A l'intérieur de l'Eglise, cela se manifeste par des aspirations à célébrer la messe selon le rite ancien, et aussi à l'adoration et au mystère; et à l'extérieur de l'Eglise, au retour de la religion sur le devant de la scène dans les discours publics. Il est possible que le déclin de la modernité soit l'annonce d'une ère nouvelle, c'est-à-dire une "nouvelle modernité". Benoît travaille comme à une mélodie, au retour de cette "nouvelle modernité".

De combien de temps disposera-t'il?
J'ai posé la question au vieil abbé du monastère de Weltenburg, Thomas Niggl.
Peu de temps après l'élection de Benoît, il m'avait dit qu'il s'agissait du Pape auquel le livre des prophéties de Malachie se référait comme 'de gloria ulivae' (la gloire de l'olivier), et qui malheureusement, toujours selon ces prophéties, serait l'avant-dernier Pape -avant qu'un Pierre II ne vienne annoncer le Jugement Dernier.
"On ne doit pas oublier l'aide de Dieu", dit le vieux moine bénédictin. "Tout est possible, même un long pontificat. N'oublions pas Léon XIII qui fut élu comme un Pape de transition, et mourut à 93 ans, après un règne de 25 ans."

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2. Habemus Papam

Benedict XVI, an intimate portrait, pages 66-68
Ma traduction
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Après l'élection, trois tenues sont préparées dans la «chambre des larmes » un petit dressing room meublé d'un canapé rouge, juste derrière la Chapelle Sixtine. (Ce nom a été donné en raison de l'état émotionnel dans lequel de nombreux papes nouvellement élus se sont de toute évidence eux-mêmes trouvés.) Un de ces vêtements est long, l'autre est grand, et le dernier est pour le "trapu". Pourtant, étrangement, la soutane n'est ni trop grande ni trop large pour cet homme qui semble si petit. La calotte blanche (ou pileolus) est si mal repassée qu'elle ressemble à la casquette de randonnée d'un bavarois (wanderkdppi).
« On a l'impression qu'elle vient juste d'être cousue », murmure quelqu'un à côté de moi (ndt : le texte d'origine, vérifié en allemand, semble une coquille, car il est dit "à côté de lui", ce qui est incompréhensible). Et même avec toutes ces nouveautés, on peut voir le vieux pull-over noir fatigué du cardinal émerger des manches mi-longues. Il s'agit évidemment d'une petite farce de la part de la divine providence, pour nous rappeler, sur les photos officielles du Pape, aujourd'hui et toujours, que l'Église du Christ est une Église des pauvres.



Comme le lourd velours rouge tendu derrière les fenêtres de la loggia de Saint Pierre commence à se déplacer, la place devient momentanément rigide, immobile. C'est le plus ancien cardinal diacre, le Chilien Jorge Arturo Medina Estévez, qui apparaît à la foule, de derrière les rideaux. Peu à peu, d'autres cardinaux viennent sur le balcon, à côté de la façade. Un dossier grand format est présenté au Cardinal Medinez [Estevez] du côté gauche, et un micro à droite. «Frères et sœurs», commence t'il en italien. Une pause. Ensuite, il le répète en anglais, français et allemand. Une autre pause. La tension est de plus en plus écrasante. « Annuntio vobis Gaudium magnum - je vous annonce une grande joie. » Sur la Place, une première vague d'applaudissements gonfle. « Habemus papam, nous avons un pape». Le prélat chilien a un sens brillant du suspense. Il fait une autre pause -dramatique afin de monter sa voix dans un bégaiement sensationnel, « le très révérend Josephum ... ... Cardinalem ... Ratttzingerrrr. »
Tonnerre d'applaudissements. La Place Saint-Pierre tremble. Des gens tombent dans les bras les uns des autres. Et lorsque le nouveau Souverain Pontife de la chrétienté catholique, heureux et souriant, met enfin le pied sur le balcon de l'église Saint Pierre face aux fidèles, un vent d'allégresse sans fin enfle. Des centaines, des milliers de personnes sautent en l'air, et applaudissent comme des fous, ensorcelés par la magie de l'instant. Joyeusement excités, comme des enfants dans un théâtre ou dans un cirque au moment de l'arrivée de l'invité surprise.
Complètement captivé, je tiens ma main devant ma bouche, comme beaucoup d'autres. Un frisson, une vague chaude parcourent mon corps des pieds à la tête. Une deuxième vague suit. Des vagues de bonheur tels qu'on en ressent très, très rarement. À la naissance de ses propres enfants - oui, quelque chose comme ça. Ensuite, viennent les larmes dans mes yeux. Pas des inondations, mais des gouttes, de grande joie, qui, si je pouvais les voir, doivent être comme les cristaux scintillants. L'incroyable s'est produit. La montagne a tourné rond. L'esprit est devenu visible.
Le visage de Ratzinger, en fait, porte encore des traces de la lutte qui doit avoir eu lieu en lui. Comme avec le patriarche de la bible Jacob, quand il a lutté avec Dieu sur la rivière Jabbok. Il ressemble à quelqu'un qui a pleuré. Et nous devons supposer que c'est ce qu'il a fait. Dans son émotion grandissante devant la condescendance du grand Dieu qui, à la fin de sa vie, a confié au petit Joseph du petit Marktl am Inn, qui s'est toujours considéré comme un homme fragile, la totalité du troupeau. On ne pouvait pas ignorer la note d'épuisement dans sa voix.
A la suite du « grand Pape Jean Paul II », commence le nouveau pape, « les cardinaux m'ont choisi, moi, un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur». Ce qui me console, dit-il, c'est que le Seigneur « est en mesure de travailler aussi avec des instruments insuffisants», et donc «je me confie à vos prières »
Dans la métamorphose du conclave, Joseph Ratzinger devient Benoît XVI, et il semble presque qu'une nouvelle aura ait commencé à se former devant les yeux de tous autour de la figure du pape, comme un deuxième corps invisible. Une auréole qui proclame qu'il est désormais fort et prêt à suivre le chemin jusqu'au bout. Le passage d'un pontificat à l'autre, dans lequel l'étincelle de sympathie pour l'ancien pape saute vers le nouveau, a maintenant eu lieu - même si, à première vue, ce n'est pas encore l'amour qui afflue vers le nouveau pontife. Mais à coup sûr, le Süddeutsche Zeitung n'a jamais affiché un titre aussi pieux que le jour où, pour la première fois après un demi millénaire, un chrétien d'Allemagne est de nouveau monté sur la Chaire de Pierre: « Celui qui croit n'est pas seul. »

En ces instants où la fumée blanche tant attendue montait dans le ciel, j'avais le sentiment d'être littéralement debout sur les nuages.
Mais il ne m’a pas fallu longtemps pour revenir sur terre. Pas plus tard qu'avec l'émission spéciale de la ZDF, pour laquelle un réalisateur m'avait invité sur le toit des studios dans la Via della Conciliazione, l'amère réalité s'était déjà dressée entre le ciel et la terre. Au cours de l'émission, on montrait les visages de tristes Allemands dans les zones piétonnes. Ils étaient tristes, car à leurs yeux un si triste allemand avait été élu. Le présentateur était également triste. Et les cardinaux allemands Lehmann et Kasper, qui étaient assis à côté de moi à ma gauche, n'avaient pas vraiment l'air d'avoir tiré le billet gagnant. Ce n'est que grâce à un très grand effort qu'ils réussissaient à garder un visage poli.

De façon dérisoire et avec l'intention de l'offenser, des gens l'appelaient « l'innocent qui persécute ». Il est vrai que cet homme a gardé quelque chose de l'innocence. Ratzinger semble toujours très ému et inspiré par la grandeur du Seigneur et la beauté de sa création. Je connais un prêtre qui fond en larmes quand il commence à parler de l'amour infini de Dieu. Ratzinger ne pleure pas. Mais il perd littéralement la moitié de son poids quand il parle de la grâce, de la plénitude, et de la miséricorde de Jésus-Christ. Il semble la ressentir, en faire lui-même l'expérience, et il la porte vers les autres avec un enthousiasme qui ne faiblit pas.

Tard dans la soirée, j'ai bu une autre bière au "Gemini". J'étais le dernier client, et à cette heure, ce n'était pas vraiment agréable, à l'extérieur. Peu de temps après avoir quitté la Place Saint-Pierre, j'avais trouvé une bonne trentaine de messages sur ma messagerie vocale provenant d'agences de presse, d'émissions de télévision et de radio, et de rédacteurs en chef. Le plus sympa venait de mon ancien co-équipier Christian: «Je ne peux pas croire que l'ami de mon meilleur ami est le Pape ».
Mais l'humeur n'y était plus. Pas en raison des tristes Allemands. J'étais tout simplement trop épuisé pour saisir plus d'un petit morceau de la chose inconcevable qui venait de se produire.
Vingt-quatre heures après que le nouveau pape ait été élu, nos deux livres étaient numéro un et numéro deux sur la liste des best-seller





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