En vrac: le Pape immigrationniste, la Place de l'Eglise dans le débat public, les manipulations de l'AFP, etc.. (24/8/2010)

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Un Pape pro-immigration?


Les manipulations des medias autour des propos du Pape me font penser à ce qui s'était passé à Ankara, en novembre 2006, lorsque le saint-Père, arrivant en Turquie, avait brièvement rencontré le premier ministre turc Erdogan. On ne savait ce qu'ils s'étaient dits qu'à travers le compte-rendu que ce dernier s'était empressé de faire, mais les medias avaient titré avec un bel ensemble: Le Pape est pour l'entrée de la Turquie dans l'UE (cf. http://tinyurl.com/38vuxm8). Ce qui était de toute évidence complétement faux, mais comme le Saint-Siège n'avait aucun moyen de rectifier, c'est resté "la" vérité admise par presque tous, et aujourd'hui encore cette "vérité" se retrouve dans des sites réputés sérieux, qui se croient bien informés.
En plus, alors comme aujourd'hui, cela avait été porté par les medias au "crédit "du Saint-Père, censé "rattraper" là sa "bourde" de Ratisbonne, assurant ainsi (selon eux) le succès in extremis d'une visite par ailleurs bien compromise par leurs "soins", par anticipation.
Aujourd'hui, ce qui risque de rester dans l'histoire, c'est la fable du "Pape immigrationniste", qui aurait rattrapé ainsi la "bourde" sur le préservatif.
Dans les deux cas, le risque collatéral est celui de diviser les catholiques, accentuant la fracture interne entre les progressistes et les autres. Un risque qui, pour les medias, est forcément une opération gagnante.
(Pardon pour les guillemets, ils sont nécessaires à la compréhension)

Le site Osservatore Vaticano s'est lui aussi posé la question:

Benoît XVI est-il opposé à toute politique migratoire?
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Depuis deux jours, on lit et on entend partout dans la « grosse presse » que Benoît XVI aurait condamné les expulsions de Roms par le gouvernement français.
En réalité, c’est l’association de l’actualité politique française et des textes liturgiques d’hier qui a conduit à cette interprétation. Qui est peut-être juste, mais peut-être aussi fausse.
Voici ce qu’a dit le Pape lors de l’Angélus d’hier:

« Les textes liturgiques de ce jour nous redisent que tous les hommes sont appelés au salut. C’est aussi une invitation à savoir accueillir les légitimes diversités humaines, à la suite de Jésus venu rassembler les hommes de toute nation et de toute langue. »

Relisons bien. Rien qui condamne en tant que telle une politique migratoire, fût-elle « musclée ».

Que l’Eglise rappelle que tous les hommes sont fils d’un même Père et frères entre eux, appelés au même salut par l’unique Rédemption en Jésus-Christ, c’est son devoir. Qu’elle exige que toute politique migratoire respecte la dignité de la personne humaine – y compris celle de l’immigré illégal –, c’est encore son devoir. Mais il importe aussi de noter que les immigrés (même légaux) ont des devoirs vis-à-vis du pays et de la communauté nationale qui les accueillent, que les chefs d’Etat ont un devoir prioritaire à l’égard de leurs peuples. Et, enfin, il faut signaler que toute les diversités ne sont pas légitimes (Benoît XVI, qui en général sait ce qu’un mot veut dire et ne parle pas pour ne rien dire, parle des « légitimes diversités humaines »). Par conséquent, il est permis de démanteler les communautés fondées sur des diversités illégitimes. Si le mode de vie nomade est a priori légitime, il est clair que le détournement d’eau, d’électricité et autres services publics, par certains campements illicites n’a, quant à lui, rien de légitime. J’ajoute que je trouve extrêmement suspect que la « grosse presse » ne s’intéresse aux déclarations de Benoît XVI que lorsqu’il y a moyen de les détourner pour les faire servir à une lutte politique…

Mais parmi les nouvelles liées à la Papauté, sur la page d'actualités de Google, je vois un lien assez inhabituel (!) vers une "Lettre ouverte à Benoît XVI au sujet des Roms" , par Michel Chassier, conseiller régional (Front National) du Loir-et-Cher.

Même s'il dit se méfier des medias, il est tombé dans leur piège. Il aurait dû comprendre que le Pape ne s'adressait pas aux gouvernements, mais aux hommes.
Ses propos (pour le moins désinvoltes!) pourraient malheureusement reflèter l'opinion de certains catholiques :
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Votre sainteté,

Les récents propos qui vous sont prêtés par une agence de presse ont entraîné dans notre pays une récupération politique qui risque de brouiller le message de l’Église, et de ternir son image.
Je sais qu’il convient d’être prudent car bien souvent ces agences ne se privent pas de déformer ou de tronquer telle ou telle déclaration, nous avons nous-mêmes été trop souvent les victimes de ces procédés malhonnêtes (ndlr: cette fois, ce qui est en cause, ce n'est pas la teneur des propos, mais leur interprétation, et surtout leur exploitation à des fins politiques).
En effet, bien que vos paroles ainsi rapportées ne fassent aucune référence à la situation des Roms en France, elles ont été interprétés dans ce sens.
Je souhaiterais par conséquent vous rassurer sur cette question, car il est fort possible également que certains de vos conseillers aient été abusés par le discours officiel de MM. Sarkozy et Horfefeux.
(...)
Un faux débat est né depuis quelques semaines au sujet de l’expulsion de Roms occupant des terrains de façon illégale.
En réalité, il s’agit surtout de faire croire à nos compatriotes exaspérés que le gouvernement français agit fermement suite aux multiples exactions commises par certains représentants de ces communautés nomades.
(...)
La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, et si la charité est une vertu théologale, elle s’applique à l’individu, et non à l’État qui est en charge du bien commun (ndlr: aussi est-ce bien aux individus, et non à l'Etat, que le Pape s'est adressé!).
C’est pourquoi nous invitons tous ceux qui jugent trop sévères les mesures dérisoires prises par le gouvernement français à pratiquer eux-mêmes cette vertu, en accueillant chez eux et à leurs frais exclusifs ces populations auxquelles ils semblent tellement attachés !
...

Place de l'Eglise dans le débat public.


La Croix y consacre un long article sous les plumes de Marie BOËTON et Céline HOYEAU.
Extrait (édifiant!), qui met bien en évidence l'attitude frileuse, et même peureuse de la hiérarchie catholique en France, plus soucieuse de ne pas heurter les lobbies (dont l'existence est admise) et de coopérer avec le gouvernement, que de défendre la vie... et le Pape, très souvent laissé bien seul.
Les évêques devraient le lire davantage! Ou prendre exemple sur leurs confréres américains, qui eux n'hésitent pas à refuser la communion aux politiciens pro-avortement, ou divorcés.
Ne nous leurrons pas: loin d'être associés au débat public, ils en sont exclus, et seulement recrutés au profit de l'idéologie dominante, quand cela en arrange les tenants. Ce n'est pas un hasard si les hommes d'Eglise cités dans la polémique sur les Roms sont des seconds couteaux: un évêque assez obscur, Mgr Dufour, et un prêtre inconnu qui a fondu les plombs. Le cardinal Vingt-Trois, quant à lui, s'est retrouvé dans le débat à son insu, et même à son corps défendant. Quant au cardinal Barbarin, interrogé sur Europe 1 (cf. Conseil supérieur de l'audiovisuel) le jour du 15 août (c'était avant le fameux angelus), il avait habilement évité le piège. On ne l'a pas réinvité depuis, par prudence...

Pourquoi l'Eglise intervient dans les débats publics
Les nombreuses réactions gouvernementales qu’ont suscitées les prises de position de l’Église sur la question des Roms interrogent sur la place qui lui est accordée dans l’espace public

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(...)
L’Église peut-elle intervenir pour aider chacun à mesurer les enjeux moraux des grands débats de société tout en respectant le principe de laïcité ? Jouit-elle du même droit d’expression que n’importe quelle autre institution ? À quelles conditions peut-elle intervenir dans un débat initié par l’État, sans mettre à mal la loi de 1905 ?

À entendre le P. Jacques Turck, curé à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et ancien directeur du service Famille et Société à la Conférence des évêques de France, l’Église aurait toute légitimité pour intervenir. « Nous prenons la parole pour appeler la société à se ressaisir au nom de la doctrine sociale de l’Église, laquelle se fonde sur le second commandement, “Aime ton prochain”. L’Église peut intervenir sur tout ce qui met en cause l’homme dans sa destinée. »

Selon le sociologue des religions Jean Baubérot, « l’Église de France se considère comme une composante de la société civile. À ce titre, elle a toute sa place dans les débats du moment. » Et l’universitaire de préciser : « Les évêques français ont, en effet, bien su adapter leur discours aux réalités de notre pays. Jamais, contrairement à ce qui se passe parfois à l’étranger, ils ne menaceraient d’excommunication ceux qui ne partagent pas leurs convictions. »
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Au final, c’est moins le fait que l’Église intervienne dans le débat qui peut heurter que le contenu même de ses positions. Les évêques ne l’ignorent sans doute pas. S’ils prennent très régulièrement position sur les thèmes de société les plus variés, leur parole ne suscite un écho médiatique que sur de rares sujets : bioéthique, immigration, justice sociale…
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En matière de bioéthique, les évêques ont exprimé des idées potentiellement plus polémiques, sur des sujets qui divisent les Français eux-mêmes, comme par exemple la recherche sur l’embryon, les mères porteuses ou encore l’euthanasie. Les évêques semblent, en revanche, plus en retrait en matière de mœurs, comme l’usage du préservatif ou les droits des homosexuels.
« Sur ce dernier sujet, il y a des lobbys en France et des lois qui les défendent… Nous sommes vite taxés d’homophobie, précise Jacques Turck. Il ne sert à rien d’envoyer des pavés dans la mare, puis de faire machine arrière. C’est contre-productif. Les évêques français ont toujours prôné le respect de la vie, mais ils ont choisi la collaboration avec les hommes politiques. La démarche du cardinal Vingt-Trois va dans ce sens. »

Jean Baubérot semble, lui, percevoir un paradoxe dans les critiques qui sont adressées à l’Église. « Les responsables politiques ou associatifs estiment ses prises de position fondées dès lors qu’elles vont dans leur sens, et illégitimes lorsqu’elles vont à contre-courant de leur opinion. C’est une critique à géométrie variable. »

De son côté, Mgr Centène, évêque de Vanne, rappelle dans Famille Chrétienne que le rôle de l'Eglise n'est pas de prendre parti pour ou contre le gouvernement
Perepiscopus écrit: "En pleine polémique sur les Roms, avec notamment la manipulation des propos du Pape, l'évêque de Vannes, interrogé dans Famille chrétienne se démarque des condamnations stériles".

Q: "L’Eglise catholique peut-elle esquiver les polémiques qui entourent, depuis plusieurs semaines, les Roms et les Gens du voyage ?

R: Le rôle de l’Église n’est pas de prendre parti pour les associations ou pour le gouvernement. Ni angélisme, ni amalgame. Mais la récupération est inévitable dans le contexte actuel. Tout est blanc ou noir, et on peine à trouver des nuances
L’aumônerie des Gens du voyage refuse les généralisations hâtives. En clair, ce n’est pas le mode de vie des Tsiganes qui est facteur d’exclusion. La délinquance est liée à la marginalisation. Plus les Tsiganes seront marginalisés et plus ils auront tendance à s’installer dans les marges. Ils seront tentés d’avoir recours à des moyens d’existence peu orthodoxes… Je crois que la sécurité ne peut venir que de relations réciproques. La répression, seule, ne fait que cristalliser les choses.


Flagrant délit de désinformation de l'AFP


Relevé par Michel Janva, sur le Salon beige:
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L'AFP poursuit la polémique sur les Roms :

"La petite phrase de Benoît XVI sur l'accueil "légitime des diversités humaines", allusion aux expulsions de Roms par Paris, et les critiques du clergé ont ressuscité un vieux débat national, celui de la séparation de l'Eglise et de l'Etat."
Sauf que le pape a dit : "savoir accueillir les légitimes diversités humaines".
Si j'en crois la grammaire, c'est la diversité qui est légitime (contre le nivellement des cultures) et non l'accueil !
Passons sur l'indécence de l'AFP qui utilise ainsi le pape, après l'avoir traîné dans la boue.

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Toujours sur le Salon Beige, un extrait d'une interviewe de l'Abbé de Taouärn, dans Minute.
Le titre est Les Roms sont devenus les boucs émissaires de l'insécurité générale, ce qui rejoint l'analyse faite hier par Carlota (cf. A propos des roms ):
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Les psychodrames médiatiques se multiplient ces derniers temps. Il ne faudrait pas faire de quelques mots de Benoît XVI une prise de position dans la politique française. Ce n’est pas la coutume du Vatican d’agir de cette manière. En revanche, je crois que le Saint Père a voulu, de manière discrète, immédiatement amplifiée par le grand orchestre médiatique international, donner un signe de sa solidarité envers les Roms, dont beaucoup sont chrétiens, fréquentant assidûment des pèlerinages comme Lourdes ou les Saintes-Maries-de-la-Mer en Camargue. On peut aussi voir le souci du pape de ne pas laisser le champ libre aux chrétiens évangéliques, qui ont montré leur force montante chez les Roms, pas plus tard que la semaine dernière au grand rassemblement de Chaumont