C'est le titre d'un essai de deux vaticanistes italiens bien connus de mes visiteurs. Un très intéressant article critique d'un quotidien de gauche, l'Unità, fait le point de façon très pertinente sur la "communication" du Saint-Père (26/8/2010)

Andrea Tornielli et Paolo Rodari, deux journalistes italiens très respectables, et très au fait du fonctionnement du Vatican, viennent de publier un livre intitulé "Ratzinger sotto attaco". Pas sûr qu'il sera traduit en français.
Il est évidemment impensable de critiquer (au sens "recenser" mais aussi émettre des réserves) un livre qu'on n'a pas lu. Toutefois, on peut lire la préface et le premier chapitre (consacré à démonter méticuleusement le "timing" de l'affaire de Ratisbonne) du livre, grâce à la diligence de Raffaella.
Je l'ai archivé ici (livretornielli.pdf [178 KB] ). Cela permet de se faire une idée.
J'ajoute que Massimo Introvigne (qui y est largement cité dans le chapitre consacré à la pédophilie dans le clergé) vient de consacrer un long article assez élogieux à l'ouvrage: traduction à venir dans la mesure du possible...
La thèse développée par les deux auteurs, qui apparaît très clairement dans le 1er chapitre (l'affaire de Ratisbonne) est qu'il ne s'agit pas d'un complot orchestré, mais plutôt d'une absence de "régie communicative". Le Pape serait laissé livré à lui-même - ce qui suggère que la faute viendrait de l'intérieur de l'Eglise (cela, c'est possible, mais pas seulement!) et surtout, que lui-même a besoin d'être mis sous tutelle.
On est à peu près dans l'analyse de Bernard Lecomte avec son livre "Pourquoi le Pape a mauvaise presse".
Et on revient une fois de plus à cet argument qui m'inspire une grande réserve: tout est la faute de la COMMUNICATION. Un argument qui est le symétrique exact de la théorie du complot - puisque, comme elle, il a la prétention de tout expliquer.
J'ai l'intime conviction que cette explication n'est pas adaptée à une "pointure" intellectuelle de ce calibre, et à l'autorité morale universelle qu'elle représente. Je l'avais dit dès 2007, commentant un article de John Allen consacré au discours de Ratisbonne, et intitulé "Qui dira non à Benoît XVI?". Pardon de me citer (http://beatriceweb.eu/.. ):
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Sa théorie est la suivante: les discours du Pape devraient passer à travers le filtre d'une pré-censure "soft" mise en place par quelqu'un de son entourage, suffisamment proche de lui, pour oser lui dire en substance 'Si vous en donnez l'ordre, je ferais immédiatement ce que vous souhaitez. Mais en conscience, je suis obligé de vous dire que c'est une erreur'.
En gros, placer le Saint-Père sous contrôle; mettre ses propos au diapason de la langue de coton du politiquement correct. Et anihiler par la mollesse de l'expression la force de ses arguments. Bref, l'aligner sur n'importe quel politicien.
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Les attaques féroces du NYT sont-elles dûes à la "communication défaillante" du saint-Père, par hasard?
Pour prouver à quel point cette théorie est discutable, je vais donner un exemple récent: le Pape a fait la brève déclaration que l'on sait à l'issue de la prière d'Angelus de dimanche dernier, dans un environnement familial et informel, qui était tout, sauf politique. Le cirque médiatique, suivi par l'ensemble de la classe politique, a interprété ses propos. On assiste désormais à une hystérie collective, avec des déclarations énamourées de gens de qui on ne les attendait pas, et au contraire de vives critiques d'autres milieux qui le soutiennent habituellement.
Mais qu'a voulu dire le Saint-Père, au juste?
Il est le seul à le savoir avec précision. J'ai bien ma petite idée, mais je n'en suis pas sûre. Donc, si l'on raisonne en terme de communication, c'est une erreur, ou au moins, un manque. Le Père Lombardi aurait peut-être dû distribuer aux journalistes un "mode d'emploi", ou un guide de lecture: le Pape a voulu dire ceci, et pas cela. Se transformant en ce que Francesco Colafemmina avait qualifié avec humour de "praecisator vaticanus" (orthographe non garantie). Il ne l'a évidemment pas fait. Si la catégorie qui n'a pas apprécié ses propos était, disons plus susceptible, ou mieux représentée dans les médias, on aurait à coup sûr parlé de bourde papale, et d'erreur de communication.
Mais le Pape n'a pas à mettre les points sur les "i" (et personne n'a à le faire à sa place) à chaque fois qu'il s'exprime. Il indique une direction à suivre, et il nous revient de choisir ou non de nous engager dans cette voie.

Pour en revenir au livre du duo de vaticanistes Rodari-Tornielli, il a fait l'objet d'une critique dans l'Unità. Le pedigree de ce journal aurait de quoi donner des frissons à tous les papophiles (1).

Et pourtant, c'est une analyse très fine, très favorable au Pape, même si l'intention de l'auteur est moins de défendre ce dernier que d'aligner (peu) confraternellement, des journalistes affichés catholiques - qui auraient de ce fait, selon lui, l'infaillibilité infuse...
Benoît XVI, comme cela a été dit sur d'autres sujets, et à d'autres endroits, n'est pas moderne, mais post-moderne. Sa communication (celle de la parole, et non du geste, ou des petites phrases) est la mieux adaptée à l'ère de l'après-télévision.
En réalité, cette communication est intemporelle. Elle est celle des "pères de l'Eglise": les gestes, et les petites phrases, qu'en restera-t-il? Alors que la parole, mais surtout l'écrit - c'est le grand oublié de l'article - demeure.

 

Le langage post-télévisuel du pape
Filippo Di Giacomo

Le pape Benoît XVI ne sait-il vraiment pas communiquer ? A-t-il vraiment besoin d'un spin doctor, pour lui suggérer quoi dire, quand et comment le dire? Quelqu'un qui se glisse dans sa présumée solitude pour le conseiller ,l'orienter, lui faire gagner de l'audience et éviter les polémiques quand il s'adresse aux chrétiens, aux musulmans , aux juifs , aux sociétés pharmaceutiques multinationales , aux avorteurs mexicains , aux francs-maçons belges, aux "gros" avocats américains ?

C'est un sujet dont nous allons entendre parler dans les prochaines semaines, puisque des « plumes catholique » , celles qui ont l'infaillibilité infuse , sont descendues sur le terrain pour expliquer pourquoi le Pape est attaqué . Et malgré les excellentes intentions des bonnes feuilles publiées dans les journaux, il semble qu'il y ait un peu de la faute du Saint-Père: il est mal conseillé , il communique mal, il lui manque une équipe qui planifierait sa stratégie de communication.
En attendant le retour des beaux jours, qui reviendront certainement dès que le Vatican aura embauché quelqu'un qui saura faire parler le Pape sur commande, peut-être choisi non plus au sein d'un mouvement fondé en Espagne (ndt: allusion à Navarro-Vals, qui était membre de l'Opus Dei), mais dans un autre né en Italie (Communion et Libération?) (..), souvenons-nous que sur l'image médiatique de Benoît XVI , avant les journalistes , des chercheurs ont écrit, Italiens mais aussi étrangers, y compris non-catholiques , donc pas infaillibles, mais seulement sérieux (ndt: j'ignore à qui il fait allusion. Ce que j'ai lu de bien était de plumes catholiques). Parce que, par le jeu de miroirs évident qu'exige l'interaction communicative, l'image du pape conditionne celle de l'Eglise .
N'en déplaise aux plaisantins qui, le 19 avril 2005, l'avaient (gentiment , en fait), essentiellement perçu comme un berger allemand (ndt: c'était en effet un des titres de la presse italienne, peut-être de l'Unità), en août de cette année, Joseph Ratzinger a commencé à être reconnu comme le maître potentiel de tous ceux qui ont à coeur de réfléchir, y compris parmi ceux qui s'occupent de communication . Lors d'un événement conçu conformément au style du "cyclone" Wojtyla , les JMJ de Cologne, quand, le deuxième jour, les caméras ont filmé sa visite à la synagogue dans la ville allemande , c'était comme si les projecteurs s'étaient éteints sur son prédécesseur et allumés définitivement sur Benoît XVI .
Ce n'est pas un fait insignifiant , qu'après l'éruption communicative et charismatique de Jean-Paul II , après l'époque où les messages étaient extraordinairement couverts par les images et les gestes , dans la basilique Vaticane , la parole soit redevenue reine. Au moins, pour ceux qui font de la communication en précisant leur appartenance "catholique" , cela aurait dû être le premier signe de discontinuité entre l'actuel pontificat, et le précédent.
Sorti du cône d'ombre dans lequel il avait vécu pendant 24 ans de collaboration avec Wojtyla , devenu pape, Benoît XVI a tout de suite manifesté un minimalisme communicatif extrêmement efficace qui apparaît comme la marque immédiate qui lie les fidèles au Pape lors de ses catéchèses et de ses homélies .
Ce n'est pas un retour au passé , mais plutôt une projection vers l'ère de l'après-télévision.
Les médiologues identifient justement dans la parole la forme de communication la mieux adaptée à la convergence technologique des médias. Parce qu'elle est capable , simultanément , de mettre en discussion la traditionnelle communication unidirectionnelle, accentuant ainsi les possibilités de dialogue. Une attitude à laquelle, par la façon dont la communication a été gérée dans les dernières années du pontificat de Jean-Paul II , les fidèles de l'Eglise eux-mêmes ne sont plus habitués.
Après août 2005, après Cologne, un exercice qui était la règle avant Benoît XVI a été de plus en plus difficile jusqu'à devenir impossible,: ajouter l'image du pape comme plus-value , presque comme guest-star, à des événements présentés et gérés avec les mêmes catégories que le divertissement , y compris les droits de retransmission. Dès sa première homélie durant les jours du deuil pour Jean-Paul II , Joseph Ratzinger a lancé un défi particulier à cette partie de l'Eglise qui persiste à se faire des illusions , analysant de façon erronée la stratification sociale actuelle , et qui, raisonnant encore selon le modèle de la paléo-commmunication, croit pouvoir cibler les couches les plus basses de l'opinion en remplissant les espaces communicatifs de demi-nouvelles, de nouvelles mal formulées, d'opinions alléguées , de démentis , de phrases faites et refaites .
Il n'est pas rare de trouver dans les livres du Ratzinger théologien une prémisse qui rappelle que la possibilité que l'homme a de parler à Dieu , c'est le fait que Dieu est lui-même discours , écoute et réponse. Que cela puisse se produire aussi lorsque son vicaire a recours aux médias est un défi à la mesure de la carrure intellectuelle d'un pape qui sait enseigner. Que tout le monde , y compris les catholiques, veuillent l'aider dans ce défi , c'est une autre question.

© Copyright L'Unità, 25 août 2010
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(1) L'Unità (wikipedia)
L'Unità est un quotidien italien de sensibilité de gauche, fondé en 1924 par Antonio Gramsci.
Longtemps (1924-1991) organe officiel du Parti communiste italien (PCI), jusqu'à l'auto-dissolution de celui-ci en janvier 1991, il a ensuite été proche des Démocrates de gauche. De 1992 à 1996, le journal a été dirigé par Walter Veltroni, qui en fait un journal de centre-gauche à vocation culturelle et grand public.
En juillet 2000, le journal a été mis en liquidation, pour reparaître en mars 2001. En 2008, il est racheté par Renato Soru.