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LE SCANDALE MURDOCH
 

et l'arrêt du tabloïd News of the World. Un article de la Bussola, pour voir plus loin.... (11/7/2011)




Selon l'AFP:

Scandale des écoutes téléphoniques : Murdoch ferme le News of the World
AFP, via La Croix
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Le magnat australo-américain Rupert Murdoch a annoncé jeudi la fermeture du News Of the World, le tabloïde dominical fleuron de son empire britannique au coeur d'un retentissant scandale d'écoutes téléphoniques.
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Nombre de journaux, dont The Times, pourtant membre du groupe News Corp (ndlr: l'empire médiatique de Murdoch, au Conseil d'administration, on relève bizarement le nom de José Maria Aznar!!), se sont publiquement désolidarisés des pratiques du NOTW.
L'affaire des écoutes empoisonne la vie politique au Royaume-Uni depuis des mois. Elle s'est notamment traduite en janvier par la démission du directeur de la communication de David Cameron, Andy Coulson, ancien rédacteur en chef du NOTW éclaboussé par le scandale.
Elle est également embarrassante car le chef du gouvernement, considéré comme un proche de Rupert Murdoch, s'apprêtait à donner son feu vert définitif au rachat de la totalité du bouquet satellitaire BSkyB par le groupe du magnat américano-australien.




 

Tels sont les faits bruts, et il faut être un tout petit peu curieux pour aller derrière la surface.
Cet article de la Bussola nous y aide.
L'auteur, Claudio Siniscalchi, avait déjà écrit en janvier dernier un article sur Rupert Murdoch, intitulé "Conservateur aux Usa, progressiste en Italie", et que j'avais traduit ici.
J'ose dire qu'il vaut vraiment la peine d'être relu. On y apprenait avec surprise que le magnat de presse aux mutiples nationalités, soutenait aux Etats-Unis, les "tea parties" et... Sarah Palin, et en Europe l'euthanasie... Et qu'il était propriétaire de la chaîne de télévision américaine considérée comme "ultraconservatrice" Fox News!!
Aujourd'hui, avec le scandale de News of the world, il vient le doute (ou la confirmation!) que les véritables "maîtres du monde "ne sont pas ceux qu'on élit.




 

Scandale Murdoch, une leçon de journalisme
Claudio Siniscalchi
07/11/2011
La Bussola
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Le "requin" est ensanglanté. Jusqu'à quel point il est atteint, difficile de le dire maintenant. Sortir du placard l'habit noir pour des funérailles à venir est imprudent. Il ne fait aucun doute cependant que le coup est très dur.
Le "requin", c'est Rupert Murdoch, un Australien de Melbourne, naturalisé américain, opérant dans le monde de la communication globale ( News Corp), avec une base solide à Londres.

L'histoire est connue: écoutes illégales, publiées sur le journal à scandales "News of the world", le tabloïd du dimanche, joyau précieux de l'empire Murdoch, adoré par les Britanniques et les annonceurs, dirigé par la créativité froide et sans âme de Rébecca Brooks.
"News of the world" a cassé sa pipe.
Il a fermé ses portes définitivement, après un siècle et demi de nombreuses sorties, mort et enterré non à cause des ventes jusqu'ici florissantes (trois millions d'exemplaires), ou d'un bilan dans le rouge, ou de coûts du travail insoutenables. Ce qui s'est chargé de lui couper les racines, c'est le scandale conjugué de l'utilisation frauduleuse d'appels volés à plusieurs victimes d'événements tragiques survenus au cours de la dernière décennie, par des journalistes qui s'étaient glissés dans la peau de hackers, en plus d'avoir payé des agents de Scotland Yard pour obtenir des informations confidentielles.

Le scandale a différents protagonistes, et tous sont susceptibles de quitter la scène les uns après les autres.
Le premier à sortir a été Andy Coulson (ancien rédacteur en chef de "News of the world" de 2003 à 2007), chargé de la communication du Premier ministre conservateur David Cameron. Il a d'abord perdu son job, puis a été arrêté (il est en liberté sous caution).
Deuxième victime, l'actuelle et ultime rédactrice en chef de "News of the world" Rebecca Brooks.
La partie est-elle terminé? Beaucoup de commentateurs disent que le jeu ne fait que commencer, l'effet domino pourrait impliquer Cameron et Murdoch eux-mêmes. Cameron espère se sauver en jouant l'attaque.
Il s'est empressé de creuser publiquement une tranchée de séparation entre lui et le "requin" australien, craignant de sortir boîteux de la marée montante des critiques des nombreux ennemis de Murdoch (ou simples concurrents des secteurs de l'information et de la télévision) en Grande-Bretagne, qui tirent en rafales.

Murdoch, qui n'est pas un débutant, a immédiatement cédé la précieuse pièce d'argenterie de famille, et s'est réfugié dans des eaux lointaines. Le "requin" a beaucoup à perdre. Il était sur le point d'harponner, avec l'aval bienveillant de Cameron, BSkyB, la plate-forme satellitaire de Sky. L'acquisition assurait de fait au groupe de Murdoch une domination incontestée sur l'information britannique. Elle ne semblait qu'une simple formalité, une évidence. Mais maintenant elle ne l'est plus. Telle est la situation, presque trop fluide. Le scandale de "News of the world" peut se résumer dans l'image d'un thermomètre. Une mesure exacte de la fièvre. Et il enregistre une forte fièvre. Vraiment très élevé.
Limitons-nous à trois observations.

1. Le journalisme .
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"News of the world" n'est pas un journal quelconque. Il est le meilleur de ce que le tabloïd à scandale anglo-saxon a été capable de réaliser. Un journal parfait, riche, lu, suivi, constamment cité.
De quoi parle-t-il? De ragots, mouchardages, calomnies, scandales, amours anciennes et nouvelles, réelles ou imaginaires, de préférence de gens célèbres, presque célèbres, à la recherche de célébrité ou qui ont perdu la célébrité. Toujours extrêmement informé. Une machine de guerre de la révélation, souvent occupé à traquer la famille royale. La langue anglaise, concise, comme toujours, a forgé un mot, "gossip". Et "News of the world", il n'y a aucun doute, était devenu la Bible du "gossip". Le sermon du dimanche avidement suivi de l'Angleterre sécularisée. Le vide des églises a trouvé un substitut dans les couvertures, les reportages, les annonces (anticipés sur le site du tabloïd) de "News of the world". Du reste, c'est un Anglais, Chesterton, londonien anglican converti au catholicisme, qui a remarqué combien les êtres humains, après avoir cessé de croire en Dieu, ont commencé à croire en tout. Et ce tout, ils l'ont souvent trouvé, heureux et avides de le feuilleter, dans les pages de "News of the world". La spirale du "gossip" réclamait de plus en plus de nouvelles victimes. Le lecteur ne se contente pas de bagatelles, d'aventurettes, de déceptions et de succès professionnels. Le côté morbide de l'humanité réclame des aliments d'une saveur plus forte. Le passage du "gossip" à la violation de la "vie privée" a été une étape indirecte, quoique fatale.

2. Caractère exceptionnel du journalisme anglais.
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Depuis toujours, le mythe du journalisme anglo-saxon a été un rappel professionnel. Dans les universités, on enseignait (continue-t-on à le faire?) l'histoire de l'objectivité (inexistante) du modèle anglo-saxon, garantie maximale de séparation entre les faits et les opinions, dérapant toutefois, avec la contribution décisive de "News of the world", dans la boue des interceptions.
On dira que tous les journaux sont égaux, et cela est vrai. Servons-nous encore d'un grand écrivain britannique, George Orwell, et de l'histoire de l'égalité des cochons, illustrée dans "La ferme des animaux". Les cochons sont tous égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres.
Le "gossip" journalistique n'est pas un produit typique "Made in England". Il a envahi tous les médias, sous chaque latitude et chaque longitude. Mais en Grande-Bretagne, il a atteint des sommets sublimes, inaccessibles. S'il n'y a pas de nouveau scandale, repérable par les méthodes traditionnelles, alors repérons-les par de nouveaux moyens, au-delà du bien et du mal. Des nouvelles, des révélations, des couvertures, toujours plus attrayantes et intéressantes. Des exemplaires vendus, et des publicités.
Mais à quel prix? Celui de la fermeture, comme nous le rappelle la fin de cette histoire de mauvais journalisme. Pas besoin de fouiller dans la malle des grands-parents pour récupérer les invectives à la "perfide Albion", mais il ne fait aucun doute que dans l'Angleterre post-moderne, si attachée à la tradition et pourtant si occupée à s'en débarrasser le voyeurisme journalistique a touché le zénith. En somme, qu'ont-ils fait à "News of the world"? Ils ont mis dans les pages ce que le lecteur, de façon morbide, voulait savoir et voir.
Le succès médiatique, une fois atteint, tend facilement à se mélanger avec le succès électoral. Les lecteurs de tabloïds, par millions, sont-ils oui ou non, des électeurs? Et ce n'est pas un élément secondaire si le directeur de "News of the world" a fini au 10 Downing Street, employé par le maître de maison pour l'aider dans sa communication.

3. Désintégration de la classe politique européenne.
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Nous avons pensé que l'affaire Strauss-Kahn était en soi emblématique pour décrire dans la métaphore la déconnexion entre les membres des élites et les sociétés qu'ils sont appelés à diriger.
La légèreté et la désinvolture de David Cameron représentent la énième confirmation du fait que désormais, toute distinction entre droite et gauche, progressistes et conservateurs, les politiciens jeunes et vieux, est en réalité inutile. Comment pouvons-nous oublier que le "requin" a été un bon allié du travailliste Tony Blair et du conservateur David Cameron?
La post-moderne (et peut-être post-démocratique) Grande-Bretagne est un excellent poste d'observation pour scruter ce qui adviendra (ou est déjà advenu) dans le reste de l'Europe.
La Grande-Bretagne, depuis le XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui, a toujours eu des antennes pointées vers le changement.
Si tel est le tableau, cela signifie que nous sommes vraiment mal partis.






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