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MESSORI A VU "THERE BE DRAGONS"
 

le film de Roland Joffé sur la vie de Josémaria Escriva de Balaguer, le fondateur de l'Opus Dei. On pourrait dire, alors que le Saint-Père revient d'Espagne dans le contexte que l'on sait: "hasard du calendrier" (23/8/2011)




 

Carlota nous en avait déjà donné un aperçu, côté espagnol (ici et ici) - où la sensibilité est forcément différente, et plus aigüe.
Avec ses limites, le film fait cependant un formidable travail d'information politique, rappelant les persécutions effroyables dont furent victimes les prêtres, en Espagne, durant la guerre civile (relire l'horrible histoire de la "Casa de Fieras").
Au moment où le Saint-Père revient d'Espagne, et où les intimidations n'ont pas manqué, c'est peut-être une piqûre de rappel pour ceux qui jettent sur les indignados un regard d'angélisme peut-être excessif.

Texte en italien: http://www.et-et.it/...
Ma traduction.




 

Escriva au cinéma: «dérangeant» pour tous
Vittorio Messori
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C'est un Juif d'origine française, né en Angleterre, mais qui se déclare agnostique: il a eu des sympathies pour les communistes, il a changé plusieurs fois d'épouse. Pourtant, il y a chez le réalisateur Roland Joffé une vive attention pour la spiritualité qui se fait drame, comme en témoignent avant tout Mission , mais aussi La Cité de la joie et La déchirure, avec à la clé des nominations aux Oscars.
C'est probablement le seul homme de cinéma radicalement «laïc» à pouvoir nous donner un film sans thèse préconçue, où le protagoniste n'est autre que saint Josémaria Escriva de Balaguer. Mais oui, le fondateur de cet Opus Dei qui est le miel des conspirationistes de tous poils, ces adeptes de la théorie du complot, toujours en quête de marionnettistes cachés qui tireraient les fils de l'histoire: les possédés pour le Moyen-âge, les Jésuites pour les Lumières, les aristocrates pour les Jacobins, le bourgeoiss pour les communistes, les fascistes pour les Maçons, les Juifs pour les nazis, les multinationales pour les Brigades rouges ...
Dans les dernières décennies, le bien-pensant libéral est convaincu que bon nombre des «grands vieux» (ndt: au sens de "sage" caché) qui nous gouvernent secrètement se cachent dans ce qui, en Espagne, a un nom ténébreux: La Obra.
La méfiance envers le prêtre Aragonais qui en est à l'origine est telle que jamais dans l'histoire de l'Eglise, on n'a assisté à des protestations aussi violentes - non seulement de la part de laïcistes, mais aussi, et surtout, de clergé du type "adulte" - que quand Jean-Paul II l'a déclaré bienheureux en 1992, et saint en 2002. Comment le lui avait demandé, après tout, un tiers de l'épiscopat du monde.

Et voilà que Joffé, hyper-laïc mais ouvert aux aventures de l'esprit, a rencontré sur son chemin don Josémaria, El Padre pour les 90.000 membres de l'Oeuvre, dont 98% de laïcs. Une rencontre qui est devenue prise de conscience exigeante, jusqu'à devenir ce There Be Dragons, déjà sorti en fanfare aux Etats-Unis et en Espagne où, dans les trois premières semaines, il y a eu 300 000 spectateurs. En Italie, le film devrait sortir avant l'hiver, mais j'ai pu le voir dans la version originale anglaise (*).

Il est immédiatement évident que la production n'a pas regardé à la dépense, la distribution inclut d'excellents acteurs parmi lesquels Charlie Cox, Wes Bentley, Dougray Scott et Géraldine Chaplin.
La Obra est-elle derrière les quarante millions de dollars investis dans le film?
Lorsqu'on lui a posé la question, le metteur en scène anglo-français a répondu clairement: "Ceux qui connaissent l'Opus Dei savent qu'elle n'agit pas à la première personne, qu'elle ne suggère pas et ne finance pas, laissant aux membres leur liberté dans leurs choix professionnels. Un producteur espagnol a trouvé une centaine d'investisseurs, dont certains de l'Oeuvre, qui ont cru en ce projet".
Compte tenu des premières réactions du public, il semble que l'investissement sera fructueux.
Mais il sera utile aussi pour aider à comprendre "qui" était vraiment ce saint, l'un des plus aimés, mais aussi les plus détestés par beaucoup de ceux qui le prennent pour le prêtre espagnol typique, entre fanatisme religieux et sympathies franquisme.

Si une référence personnelle est permise, à la suggestion de Leonardo Mondadori - retourné à la foi grâce à son amitié avec certains numéraires -, en 1994, je publiai un livre-enquête sur l'Opus Dei, fruit de recherches sur le terrain. Je sais bien, donc, combien est tenace la «légende noire» de l'homme appelé à vivre dans un moment où se déchainèrent les dragons du film, les dragons de la haine et la violence de la guerre, d'abord civile, entre espagnols, puis mondiale (ndt: en réalité, selon Joffé, ce n'est pas le sens qu'il faut attribuer au titre, comme cela est expliqué ici).

Le film de Joffé est peut-être une première étape pour au moins réfléchir et pousser à en apprendre davantage sur le personnage.
Un mérite du réalisateur, selon moi, est de n'avoir pas caché la volonté de la part de la gauche espagnole, de génocide du clergé, massacré uniquement parce que catholique. Le mot génocide n'est pas excessif: dans le diocèse de Barbastro, ville natale de Don Escriva, 88% des prêtres ont été tués de la façon la plus barbare, dans les premières semaines de la guerre civile et le massacre s'étendra à des laïcs, s'ils étaient «des amis de prêtres ».
Les sœurs furent violées, souvent par des dizaines de "compagnons", jusqu'à la mort. Les Salésiennes de Madrid furent massacrées par la canaille (en français dans le texte) , à qui on avait fait croire qu'on avait donné aux fillettes amenées à leurs oratoires des bonbons empoisonnés.
Au final, le bilan est là: tués, non seulement sans procès mais dans des tortures indicibles, 4184 prêtres diocésains, 2365 moines, 2830 religieux, sans compter 13 évêques et archevêques. En outre, des dizaines de milliers de laïcs catholiques. Certains ont été crucifiés sur les portes de leurs églises, empalés, attachés à la bouche des canons, écartelés. Même les parents ont été punis pour la faute d'avoir ces enfants: la mère d'un jésuite fut étouffée par un crucifix enfoncé dans la gorge, beaucoup ont été brûlés vifs, d'autres jetés en face des taureaux, avec les assassins en uniforme, pour acclamer dans l'arène.
Le pape Jean Paul II a procédé à la béatification de quelques centaines de ces martyrs seulement parce qu'ils étaient chrétiens. Aucune église, dans des zones tenues par le gouvernement, n'échappa à l'incendie, ou tout au moins à la dévastation; disparut ainsi la moitié du patrimoine artistique espagnol. Quant aux franquistes, il ne furent certes pas non plus des chérubins ou des séraphins: eux aussi ont beaucoup travaillé avec le peloton d'exécution (à la fois pendant et, pire encore, après la guerre) et ils ont également fusillé des prêtres; mais pour des raisons politiques et non religieuses. Il s'agissait de quelques prêtres basques militants pour la sécession de l'Espagne.

Défiant le refoulement actuel de ces massacres (les plus sanglants, après ceux de la France de la Terreur ), le Juif agnostique Joffe accomplit certainement une oeuvre politiquement incorrecte, donc méritoire. Mais il fait aussi un travail d'information honnête en montrant comment le jeune don Josémaria, non seulement n'eut aucune part dans cette guerre, mais bien que parmi les persécutés, ayant échappé au carnage, il ne demanda pas à se venger, n'exhorta pas à la croisade, mais chercha par tous les moyens à apporter la paix et la tolérance.
Aucune prise de partie, chez lui, mais seulement la pratique de ce que Don Bosco a appelé «la politique du Pater Noster».
Franco? Dans son dernier gouvernement, certains membres de l'Opus Dei, des économistes, posèrent en tant que ministres (acceptant librement, par choix personnel, des charges techniques) les bases de la spectaculaire renaissance espagnole. Mais peu de gens parlent des nombreux membres de l'Obra contraints par la dictature à l'exil, au silence, parfois à la prison. Invité une seule fois à prêcher devant Franco, le futur Saint parla de la mort qui attend chacun, même les puissants, et de la justice de Dieu, particulièrement sévère pour eux.
Il ne fut jamais plus invité au palais du Caudillo.

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(*) Ndt le film, déjà annoncé en France pour mai 2011, n'est pas encore sorti chez nous...
Site officiel ici: http://www.escriva-lefilm.org/




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