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De vrais indignés

Hommage populaire à Vaclav Havel

Photo sur le site de "Popoli"

Dans la revue des Jésuites "Popoli", le très beau témoignage d'un religieux qui a partagé avec Vaclav Havel les geôles communistes. Il en émerge deux magnifiques portraits d'hommes. (27/12/2011)

Cet article de Giacomo Galeazzi est issu du site Vatican Insider (ici).
Il reprend fidèment un article publiée dans la revue Popoli (ici).
C'est l'article de Vatican Insider que je traduis ici (je n'ai trouvé "l'original" qu'une fois mon travail achevé).

26/12/2011
«Mon ami Havel, un David contre Goliath»
Dans son témoignage, le Père Frantisek Lízna rappelle la suggestion qu'il fit à son compagnon de cellule et futur président, qui l'interrogeait sur l'opportunité d'accepter la grâce du régime.
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Dans certains cas, un conseil peut changer la vie d'un homme et plus rarement encore un conseil peut changer l'histoire d'un pays. C'est ce qui est arrivé au Père Frantisek Lízna qui rappelle le très difficile «conseil» (qui plus tard s'est révélée décisif pour la nation toute entière) qu'il donna à son «compagnon de prison Havel» . Fragments de la mémoire privée qui s'entrecroisent avec l'histoire collective d'un peuple: un témoignage émouvant qui jette une lumière encore plus radieuse sur une figure qui a profondément marqué le XXe siècle, selon la reconstruction de «Popoli», la revue internationale de culture et d'information de la Société missionnaire de Jésus.

Dans la cathédrale de Prague, l'un des lieux en Europe qui symbolisent le mieux le pouvoir dans la mémoire historique et littéraire, les Bohémiens et les Moraves accueillent l'un des leaders de la lutte pour la démocratie et les droits humains. Vaclav Havel, le dramaturge dissident, chef de la «Révolution de velours» de 1989 contre le communisme en Tchécoslovaquie, et pendant 14 ans, chef de l'Etat, est décédé le 18 Décembre à 75 ans. «Beaucoup de dirigeants étrangers se retrouvent au Château de Prague pour saluer un personnage clé dans l'histoire récente de l'Europe centrale et orientale, explique la revue des missionnaires jésuites italiens - En particulier, les Tchèques, au-delà des divisions politiques se rassemblent autour de l'ancien président. Ces jours-ci une grande foule a salué le passage du cercueil à travers les rues du centre-ville de Prague».

Parmi les nombreuses personnes qui ont rejoint la capitale, le père Frantisek Lízna. Ce jésuite, de cinq ans plus jeune que Havel, a été parmi les 250 opposants qui ont signé la Charte 77, le document de la dissidence au régime, rédigé sur l'initiative de Havel lui-même. Ils étaient croyants, ou non croyants et beaucoup d'entre eux payèrent de leur personne cette requête de voir respecter les droits de l'homme et les droits civils en Tchécoslovaquie et dans le monde.

Le Père Lízna est entré chez les Jésuites en 1968, pendant le Printemps de Prague. Quelques années plus tard, il a prononcé ses vœux, derrière les portes closes d'une petite église, en cachette de la police du régime. Déjà comme jeune homme, il avait été condamné à huit mois de prison pour avoir arraché un drapeau soviétique. Il était normal que le chemin du jeune religieux croise celui du dramaturge. «À l'époque de la Charte 77, je vivais en Moravie et Havel, je ne le connaissais que comme écrivain. Quand s'est présentée à moi l'occasion d'adhérer, j'ai ressenti en conscience le devoir de signer, et j'ai vécu l'acte comme un don. Je m'étais rendu compte qu'après un long silence, beaucoup de gens avaient le courage d'aller à contre-courant », raconte le Père Lízna à « Popoli ». Le jésuite demanda alors l'avis de son supérieur en Tchécoslovaquie, qui n'était pas favorable car il craignait les conséquences de l'initiative.

Comme religieux, les jésuites subissaient une répression particulièrement dure. Après son ordination en 1974, par exemple, le père Lízna ne fut pas autorisé à célébrer et sa vie religieuse continua clandestinement: pendant seize ans, il occupa d'autres emplois, en particulier infirmier. Mais il ne renonça pas à la signature. Et au cours des années, il subit quatre arrestations et en tout quatre ans et trois mois de prison. Nombreux sont les souvenirs significatifs et poignants qu'il garde de Havel.
«En 1982-1983, nous nous trouvions détenus ensemble dans la prison de Pankrác à Prague. En arrivant dans la cellule, ils m'ont dit de regarder par-dessus les grilles, dans la cour - se souvient-il. D'en bas, Havel me vit et me salua d'un geste de la main. En retour, je lui lançai un morceau de chocolat, qui était un bien précieux en prison. Mais nous n'étions pas dans la même section et nous pouvions rarement nous rencontrer».
Il y eut un moment, cependant, où son influence sur son codétenu fut décisive. «En automne 1983, le président communiste d'alors, Gustav Husak, se rendit en visite en Autriche - explique le jésuite. Dans la prison on apprit qu'un prisonnier politique serait libéré, en signe de détente (deux ans plus tôt, une visite de Husak à Vienne avait été annulée à cause du traitement que le régime réservait aux dissidents)». Les autorités n'appelèrent que Havel dans les bureaux de la direction de la prison, où deux hauts fonctionnaires du ministère de la Justice lui offrirent la libération immédiate en échange d'une demande de grâce. Cela signifiait, cependant, admettre des fautes que Havel n'avait pas commises. La proposition le prit par surprise. Il demanda alors à consulter Olga, sa femme, et d'avoir 48 heures de temps pour réfléchir. Mais les responsables l'en empêchèrent, lui disant qu'il avait à choisir immédiatement. Alors Havel demanda de pouvoir consulter au moins trois détenus qu'il considérait comme des amis : il s'agissait de Václav Vales , un ingénieur qui avait été précédemment vice-Premier ministre, mais avait ensuite été exclu du parti communiste et emprisonné en 1980; de Jan Litomisky , un agriculteur et théologien évangélique, qui était également parmi les signataires de la Charte 77, avec une condamnation à trois ans de prison pour «subversion»; et du père František Lízna .

«Ils nous ont fait asseoir à une table. Près de nous il y avait seulement un gardien avec un magnétophone - raconte le religieux. Nous ne savions encore rien et pendant un moment nous avons pensé que nous allions être libérés: alors, à notre grande surprise, nous avons vu Havel entrer dans la pièce. Ils le firent asseoir en face de nous. Il y avait une atmosphère tendue. Il a expliqué qu'il voulait demander notre avis sur la demande de grâce . Le gardien a ensuite donné le micro d'abord à Vales, qui a dit: "Fais comme ils te disent, sors d'ici, cela n'a pas de sens que tu restes en prison". Après la chute du communisme, nous avons su qu'il était un informateur de la police secrète, mais à l'époque, Havel ne pouvait pas savoir». Ensuite, ils ont donné le micro au Père Frantisek Lízna, mais il était bouleversé et il demanda à parler après Litomisky, lequel «avait le caractère de l'agriculteur de peu de paroles, et se contenta de dire qu'il ne devait pas accepter». Enfin, ce fut le tour du jésuite de donner sa réponse qui allait être décisive. « Václav - dit-il - tu es en prison depuis quatre ans, tu es malade (il avait de graves problèmes pulmonaires), tu as une femme qui t'attend. Je n'ai pas le courage de dire oui ou non ....». Il fit une pause, puis dit: «Ne le fais pas, tu n'as rien fait de mal, dont tu doives demander pardon. Tu as aidé tellement de gens, ce sont eux qui devraient te libérer » . Immédiatement, le visage de Havel s'est assombri, il a montré sa fragilité d'homme en face de cette situation. Il s'est même tourné vers le garde, et lui a demandé, "Que dois-je faire?", mais celui lui dit brutalement qu'il ne voulait pas donner de conseils. Puis Havel a repris courage, il s'est fait plus grave et a déclaré qu'il ne présenterait aucune demande de grâce .

Les représailles ont été immédiates. «Tous ont été punis - dit le Père Lízna, renouant les fils de sa mémoire. Litomisky et moi fûmes envoyés dans une cellule de punition. Havel lui-même fut transféré à un autre poste de travail au sein de la prison. Mais un mois après, il fut envoyé à l'hôpital parce que sa santé s'était aggravée. Il n'a pas été gracié, mais la peine fut interrompue. Devant l'opinion publique occidentale, il était libéré et le régime n'avait pas perdu la face». Quelques mois avant la chute du régime en 1989, Havel fut emprisonné à nouveau.

La «Révolution de velours» l'amena rapidement de la cellule à la tête de l'Etat démocratique. Il a occupé le poste de président de la République de Tchécoslovaquie jusqu'en 1993 , lorsque le pays se divisa pacifiquement en deux nouveaux Etats , et pendant dix autres ans, il resta au Château comme président de la République tchèque . Le Père Lízna a pu continuer sa vie de religieux, mais jamais complètement éloigné du monde des prisonniers et, pendant quelques années, il a travaillé dans une prison comme aumônier. «Depuis la première fois où j'ai été emprisonné, à 19 ans, j'ai toujours été parmi les plus méprisés et persécutés - remarque le Père František Lízna. J'ai souvent partagé une cellule avec des criminels ordinaires ou des prisonniers roms. J'ai sympathisé avec ceux qui étaient en marge de la société, parce que je sentais que nous étions dans le même bateau». Il n'a plus abandonné son engagement pour les plus marginalisés de la société tchèque, en particulier les Roms, et pour son action, il a reçu l'un des plus importants honneurs nationaux.

Dans l'intervalle, il a poursuivi les relations avec Havel devenu président. «J'ai toujours eu une grande estime pour lui, mais davantage comme dissident que comme homme politique - souligne le Père Frantisek Lízna. Nous nous sommes rencontrés à nouveau, spécialement à l'occasion de la fête nationale, le 28 Octobre, quand j'ai été invité aux célébrations à Prague. Nous avons gardé le contact par lettre, cultivant l'amitié. Néanmoins j'ai été surpris par la multitude de gens qui lui rendent hommage ces jours-ci. La télévision de la République tchèque continue de diffuser des programmes qui lui sont consacrés. C'était un homme humble, je crois qu'il n'aurait pas beaucoup aimé toutes ces commémorations. Mais on voit, minute après minute, que cette participation est un sentiment non seulement répandu, mais profond».

Des milliers de personnes, des jeunes aussi, se sont réunis autour de sa personnalité. «Cela signifie que l'estime est restée grande au fil des années, même si, durant les années de la politique, il a eu de nombreux adversaires. Beaucoup de ses actes politiques étaient discutables - dit le père František Lízna -. Je n'ai pas approuvé le fait qu'il n'ait pas aboli le Parti communiste après la fin du régime. Du reste, il était impossible qu'un homme seul puisse changer complètement la situation. Pour moi, c'était un homme "petit", mais il a été un instrument de Dieu qui nous a montré la voie à suivre. C'était comme un combat entre David et Goliath, et Havel a été "notre" David ».

Les obsèques religieuses n'allaient pas de soi. «Il y avait une certaine incertitude autour des obsèques qui seront célébrées par l'archevêque de Prague. Havel avait choisi de se retirer à Trutnov, en Bohême du nord, où il a souvent vécu sous le communisme, surveillé par la police secrète - précise le Père František Lízna. Il aimait cette région. Là, des Sœurs de Saint Charles Borromée, à tour de rôle, l’ont assisté dans les derniers jours de maladie. J'ai rencontré l'une d'elles qui m'a dit combien il avait été heureux de ma dernière lettre, il y a trois mois. Avant sa mort, les sœurs elles-mêmes, à ce qu'on m'a dit, avaient pensé à moi comme le prêtre approprié pour une confession. Je ne veux pas pécher par orgueil en disant cela, quoi qu'il en soit, il n'y a pas eu de confession et Havel est mort subitement. Personne ne sait s'il souhaitait une conversation spirituelle, ou si c'est simplement une idée des sœurs qui étaient à ses côtés».

La lettre de Jeannine du 24 décembre La patience de Li, la patience de Dieu