Le message du Pape pélerin contre la haine

Regards croisés sur les deux premiers jours au Liban (16/9/2012)

 

Une image symbolique

Quand le modèle libanais de coexistence indique le chemin, pour le Moyen-Orient
Martino Diez

L'analyse du directeur scientifique de la Fondation Internationale Oasis (le think tank voulu par le cardinal Scola, "voué à la promotion la connaissance réciproque et la rencontre entre chrétiens et musulmans, avec une attention particulière à la réalité des minorités chrétiennes dans les pays à majorité musulmane", voir ici et .
Cet article est issu du site de la Fondation Oasis (
http://www.oasiscenter.eu/it/node/8556 ), et a été repris sur vatican Insider

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Une certaine rhétorique du «Pays message» n'est pas nouvelle au Liban. Officiellement, tout va bien, la guerre civile est archivée et l'harmonie règne. «Mais en règle générale, on doit toujours postuler une certaine distance entre les déclarations et les actions» nous a rappelé l'autre jour philosophe Nassif Nassar.

Et même dans les nombreux discours de nature politique programmés lors de la visite apostolique, à l'arrivée à l'aéroport vendredi, et surtout au palais présidentiel samedi matin, on pouvait suggérer le risque d'une célébration acritique de la vie en commun à l'ombre des cèdres.

En réalité, que les choses iraient bien plus en profondeur, on l'avait compris dès le discours avec lequel le Président de la République, Michel Sliman, avait accueilli le pape au palais présidentiel. Bien sûr, les salutations et les déclarations rituelles n'ont pas manqué. Mais le président libanais avait d'une part exhorté les chrétiens à participer davantage à la construction du bien commun (ce qui peut être interprété comme un aveu implicite d'une difficulté) et de l'autre avait souligné avec quelle inquiètude le Pays des Cèdres regardaient les événements aux alentours, insistant sur la neutralité du pays, autour de laquelle tous les partis politiques sont parvenus à un accord.

«Les Libanais souhaitent à la Syrie cette liberté et cette réconciliation qu'ils désirent pour eux-même» a peut-être été le passage-clé. Comme pour dire que la marque de la coexistence libanaise connaît aussi ses difficultés.

La raison de cette difficulté, le Pape l'a expliquée dans l'un des passages les plus forts de son discours. «Le mal n'est pas une force anonyme qui agit dans le monde de manière impersonnelle ou déterministe. Le mal, le diable, passe par la liberté humaine, par l'usage de notre liberté. Il cherche un allié, l'homme».

Et Benoît XVI est en particulier attristé par ce qui se passe en Syrie, comme il l'a dit dans la soirée aux jeunes. Il faut donc une conversion, qui seule peut assurer la compréhension entre les cultures et les religions et un sens de la justice et du bien commun. De là découle l'engagement pour la paix, pour la liberté religieuse, en faveur de la vie et contre toute forme de violence verbale ou physique, qui ne peut jamais trouver de justification religieuse.

De même qu'ailleurs, on parle du temps qu'il fait, au Liban, il est d'usage de commencer une conversation, surtout avec les étrangers, avec des considérations géopolitiques. Si l'on pense aux dimensions réduites du pays, coincé entre de puissants voisins, et à son histoire mouvementée, l'option est tout à fait légitime et compréhensible. Le Pape a rappelé, cependant, que ces considérations sur le contexte général ne doivent pas remplacer l'action concrète des individus. Comme celle de la jeunesse libanaise impliquée avec la Caritas pour apporter une aide aux réfugiés syriens. Ils font face à une réalité presque cachée, pour éviter de perturber les équilibres du Pays, et chaque jour, ils touchent de la main la souffrance et l'impuissance. «L'inaction des gens de bien, - a dit Benoît XVI, presque leur répondant - ne doit pas permettre que le mal triomphe. C'est encore pire que de ne rien faire».

Le vivre ensemble, le modèle libanais, reste un exemple dans la région. Il a une dimension providentielle («il est choisi par Dieu»), mais il n'est pas donné une fois pour toutes: il doit être conquis à nouveau chaque jour, choisissant consciemment qu'il est mieux d'être 'avec' plutôt que 'contre', c'est-à-dire valorisant le bien concret de l'être ensemble, ce «désir de connaître l'autre» que le Pape indique comme le fondement d'une société plurielle. «Au-delà des manifestations extérieures, le plus important de cette visite est que les musulmans libanais ont accueilli Benoît XVI non comme hôte de leurs voisins chrétiens, mais comme quelqu'un qui venait aussi pour eux», commente Ibrahim Chamseddine, président d'une fondation culturelle chiite basée dans le sud de Beyrouth.

Le Liban est dynamique sur le plan économique, du moins dans les quartiers chics du centre-ville de Beyrouth, mais bloqué au niveau institutionnel par la peur qui empêche de toucher au statu quo . En ce sens, l'invitation du pape à donner de sa personne pourrait contribuer à créer un climat de confiance renouvelée, condition préalable à tout changement, même au niveau de l'architecture politique.

 

La leçon de paix du professeur Ratzinger
Avant en Terre Sainte, aujourd'hui au Liban, le message du pape pèlerin contre la haine
Giacomo Galeazzi, La Stampa
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La liberté religieuse a une «dimension sociale et politique indispensable pour la paix: elle permet - a dit Benoît XVI aux autorités institutionnelles et du corps diplomatique - une coexistence harmonieuse et vivante à travers un engagement commun au service de nobles causes et à travers la vérité qui ne s'impose pas par la force».
«Pensées de paix, paroles de paix, gestes de paix - a-t-il ajouté - créent une atmosphère de respect, d'honnêteté et de cordialité, dans laquelle les erreurs et les offenses peuvent être reconnues en vérité pour avancer vers la réconciliation. Que les hommes d'Etat et les responsables religieux y réfléchissent».
Et un petit geste symbolique de paix a été concrétisé par le pape, qui a planté un cèdre dans le jardin du palais de Baabda avec le Président Michel Sleiman.

Un autre signe d'attention que le Pape a voulu extérioriser, ce furent les paroles prononcées en arabe, soit en public, en rencontrant les autorités, soit en ouvrant la fête avec les jeunes, «Salami o-Tikum», a prononcé Joseph Ratzinger, une expression qui signifie «Je vous donne ma paix».
Dosant bien les paroles et multipliant les gestes et les rencontres destinés à construire l'amitié, Benoît XVI a terminé sa deuxième journée au Liban.
«Un vrai croyant ne peut pas donner la mort» et la coexistence au Liban, qui ne nie pas la pluralité des voix, reste un exemple pour le Moyen-Orient et pour le monde traversé par des tensions souvent déclenchée au nom de Dieu. Mais si ici, il y a des familles avec des croyants des deux religions en leur sein, demande le Pape, pourquoi la même chose n'est-elle pas possible ailleurs?
Benoît XVI l'a déclaré aujourd'hui solennellement au palais présidentiel de Baabda devant les autorités politiques et les chefs religieux, chrétiens et musulmans, ouvrant la deuxième journée de sa visite apostolique au Liban. Une journée qui a vu une grande foule saluer le Pape durant le trajet vers la résidence présidentielle.
Dans la soirée, ensuite, dans un scenario moins solennel, entouré par plus de 20.000 jeunes sur l'esplanade de Bkerké, le pape a appelé les jeunes musulmans et chrétiens à agir ensemble contre la violence, contre les «graines de haine» pour devenir des adultes capables d'arrêter la guerre et de construire la coexistence. Et une pensée particulière a été réservée à un groupe de jeunes Syriens, qui ont apporté des cadeaux lors de la cérémonie avec le Pape: «Je veux vous dire combien j'admire votre courage. Dites autour de vous, à votre famille, à vos amis que le Pape ne vous a pas oublié. Dites autour de vous que le pape est triste à cause de vos souffrances et de vos chagrins. Il n'oublie pas la Syrie dans ses prières et dans ses préoccupations».
Une journée dense de rencontres et des contextes très divers, pour Papa Ratzinger au Liban. Mais un point commun: l'ouverture à la religion, à l'islam, qui au Liban se décline sunnite, chiite, druze et alaouite, comme les quatre représentants musulmans qui ont reçu en cadeau de ses mains chacun une copie manuscrite de l'Exhortation «Ecclesia in Medio Oriente». Collaboration et amitié, une rencontre de religions non pas superficielle, mais respectueuse de la diversité, aussi en raison du fait que dans l'image de l'autre, avait dit le pape dans l'avion pour Beyrouth, se reflète l'image de Dieu

 

Le Pape subjugue par la clarté de sa pensée

Edito sur L'Orient Le Jour
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Benoît XVI subjugue par la clarté de sa pensée.
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Fallait-il une visite du pape pour que le Liban se redécouvre ? Après ce qui s’est passé ces deux derniers jours, après les fêtes de Baabda et de
Bkerké, et en attendant les surprises de la messe d’aujourd’hui et de la rencontre œcuménique de Deir el-Charfé, la réponse à la question pourrait bien être positive.
Et parmi les paroles les plus « vraies » prononcées hier en réaction aux discours prononcés par Benoît XVI, figurent celles qui sont sorties de la bouche de personnalités musulmanes.
« Nos relations privilégiées sont notre message au monde », a affirmé sans détour le mufti de la République dans un mémorandum adressé au pape inspiré des travaux du Comité national pour le dialogue islamo-chrétien.
« Le Liban est un havre de dialogue », a renchéri le ministre de l’Agriculture, Hussein Hajj Hassan. Un havre non seulement pour le dialogue islamo-chrétien, mais aussi pour le dialogue entre les Églises, et pour le dialogue entre sunnites et chiites, a précisé en substance le ministre du Hezbollah.
En donnant le bon exemple, et en se rendant de sa propre initiative à la rencontre du pape avec les jeunes où il s’est assis sur l’une des chaises en plastique installées pour l’occasion, le président Michel Sleiman a affiché devant tout le monde l’importance qu’il accorde personnellement à la parole du pape. Un hommage à sa simplicité n’est pas de trop. Ni à l’exubérance de la foule qui a acclamé le pape sur la route du palais présidentiel.

Deux conquêtes
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Au second jour de sa visite, et après la signature vendredi d’une Exhortation dont on découvrira la beauté dans les prochains jours, Benoît XVI a donc inscrit hier à son palmarès deux nouvelles conquêtes : celle des esprits et celle des cœurs.
Des esprits adultes, subjugués par la clarté de son discours devant les corps constitués ; des cœurs des jeunes, durant la grande fête de Bkerké.

Prisonniers de leurs préjugés, de leurs égoïsmes et même de leurs prérogatives, nos dirigeants n’ont plus d’excuses. Dans le discours de Baabda, ils disposent des points d’appui nécessaires pour remonter la pente. Cachées dans le texte figurent des perles qui orneront dignement les esprits les plus arides. Ainsi, l’allusion au combat spirituel qui fait obstacle à l’éducation et à la paix, thème central du discours.
« Nous devons être bien conscients que le mal n’est pas une force anonyme qui agit dans le monde de façon impersonnelle ou déterministe. Le mal, le démon, passe par la liberté humaine, par l’usage de notre liberté. Il cherche un allié, l’homme. Le mal a besoin de lui pour se déployer. C’est ainsi qu’ayant offensé le premier commandement, l’amour de Dieu, il en vient à pervertir le second, l’amour du prochain », a gravement averti le pape.

Sur le plan concret
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Homme de réflexion, Benoît XVI s’est montré en outre homme de décision. « Il est temps que musulmans et chrétiens s’unissent pour mettre fin à la violence et aux guerres », a-t-il lancé devant les jeunes chrétiens et musulmans qui se côtoyaient à Bkerké, à l’heure même où des flambées irréfléchies de violence dans tout le monde musulman confirment et renforcent les islamophobes dans leurs préjugés.
Le pape a également fait preuve de tendresse à l’égard des jeunes en leur parlant du « grand honneur » qu’il y a à vivre dans une partie du monde qui a vu naître le Christ, et en les encourageant à imiter les saints du temps jadis. Sur le mode spirituel, il a plaidé auprès d’eux pour une « rencontre personnelle du Christ » qui éclaire et donne sens à leur vie.
Mais c’est en les mettant en garde contre les réseaux sociaux où s’efface la frontière entre réel et virtuel, contre le « miel amer » de l’émigration ou les « mondes parallèles » de la drogue et de la pornographie, que Benoît XVI s’est montré le plus paternel.
« Pourquoi Dieu a-t-il choisi cette région du monde qui semble connaître les douleurs d’un enfantement sans fin ? Pourquoi cette région vit-elle dans la tourmente ? Dieu l’a choisie, me semble-t-il, afin qu’elle soit exemplaire, afin qu’elle témoigne à la face du monde de la possibilité qu’a l’homme de vivre concrètement son désir de paix et de réconciliation ! Cette aspiration est inscrite depuis toujours dans le plan de Dieu, qui l’a imprimée dans le cœur de l’homme. C’est de la paix que je désire vous entretenir, car Jésus a dit : « Salami Outikom », a lancé hier matin l’homme de paix.
Fête du matin, fête de midi, fête du soir. La messe en plein air de ce matin ne risque pas de décevoir.