Lire l'histoire de Noël avec Benoît

Magnifique recension par George Weigel de "l'enfance de Jésus". Une bouffée d'air pur bienvenue, quand les escrocs de la médiacratie veulent nous faire croire que les Evangiles ne sont que des fables (27/12/2012)

     

Lire l'histoire de Noël avec Benoît XVI
George Weigel
http://www.abc.net.au/
(via Teresa. Ma traduction)

Les historiens des sciences des religions considéreront probablement les deux derniers siècles comme l'apogée de l'exégèse biblique. Et il est bien vrai que nous en savons beaucoup plus sur l'époque, les coutumes, les langues, les modes de pensée, les visions du monde et les styles littéraires du peuple de la Bible et des gens qui ont écrit la Bible que par exemple, Benjamin Franklin ou Thomas Jefferson (deux Fondateurs, familiers de la Bible, bien que profondément sceptiques). Pourtant, toute cette connaissance a conduit, non pas à une renaissance de l'alphabétisation biblique, mais à exactement le contraire.

En dehors des mondes prospères du protestantisme évangélique et du monde plutôt fermé de l'orthodoxie, le scepticisme quant à la véracité et la fiabilité de la Bible est trop souvent à l'ordre du jour parmi les Chrétiens qui vont à à l'église - et même lisent la Bible - au 21e siècle en Occident. Deux siècles d'une approche historico-critique de la Bible, filtrée à travers une prédication inepte, ont conduit à des incertitudes profondes sur ce que la Bible peut nous dire. «Cela ne s'est pas vraiment produit» et «C'est juste un mythe» - des pensées qui n'auraient tout simplement pas existé chez les croyants du passé - tels sont les sceptiques «gotchas» (ndt: contraction argotique de de "I got you" que l'on pourrait traduire par "j't'ai bien eu") qui aujourd'hui sautent immédiatement à l'esprit de nombreux chrétiens quand ils entendent la Bible proclamée durant leur culte ou lisent la Bible à la maison.

Joseph Ratzinger, le 265e évêque de Rome, est un homme de la Bible, qui connaît la méthode historico-critique de l'intérieur et de l'extérieur - et c'est quelqu'un qui a passé la plus grande partie des trois dernières décennies à tenter de réparer les dommages que la lecture exclusivement historico-critique de l'Ancien et du Nouveau Testament a fait à la foi et à la culture. Dans le second volume de sa trilogie sur Jésus de Nazareth, publié en 2011, Ratzinger a mis ses cartes intellectuelles sur la table, côté face: «Une chose est claire pour moi: en deux cents ans de travail exégétique, l'exégèse historico-critique a déjà donné son fruit essentiel». Si l'interprétation moderne de la Bible ne veut pas «s'épuiser elle-même dans de constantes nouvelles hypothèses», poursuit Ratzinger, les savants devaient apprendre à lire à nouveau la Bible à travers les lentilles de la foi et de la théologie, y compris la lecture théologique de l'Écriture développée dans les premiers siècles chrétiens et au Moyen-Age.
Il faudrait, en d'autres termes, pratiquer un œcuménisme du temps en lisant et en essayant de comprendre la Bible.

Et ce qui est vrai pour les spécialistes de la Bible est certainement vrai pour les autres croyants. Nous aussi, nous devons apprendre à aborder la Bible avec ce que le philosophe français Paul Ricoeur appelait autrefois un «seconde naïveté» - non pas la naïveté de l'enfant, mais l'ouverture à l'émerveillement et au mystère, qui résulte du passage à travers le feu purificateur des connaissances modernes sans avoir vu sa foi dans la révélation ou la raison réduite en cendres et en poussière. C'est ce que Joseph Ratzinger a essayé de faire dans son triptyque Jésus de Nazareth: offrir aussi bien aux croyants du 21ème siècle qu'aux sceptiques du 21ème siècle une lecture théologiquement informée de la vie de Jésus, redevable à ce qui peut avoir été appris de l'étude historico-critique , mais qui ne traite pas la Bible comme un coroner traite un cadavre: quelque chose de mort qui doit être disséqué.

Le troisième volet du triptyque de Ratzinger, «Jésus de Nazareth: Les récits de l'enfance» ("The Infancy Narratives" est le titre anglais de "L'Enfance de Jésus"), vient d'être publié. Et, dans une nouvelle démonstration de la maxime selon laquelle aucune bonne action ne reste impunie, Ratzinger, longtemps caricaturé comme le «Rottweiler de Dieu» par les idiots les plus vicieux de la presse mondiale, s'est rapidement métamorphosé en "The Papal Grinch" qui a volé Noël (1), au fur et à mesure que des journalistes analphabètes soulignaient l'un après l'autre des points totalement hors de propos:

¤ Le Pape note 'en passant' que les traditionnels boeufs et ânes de millions de crèches ne sont en fait pas mentionnés dans le récit de l'enfance de Luc;
¤ Le Pape écrit que, selon le texte, les anges dans les champs au-dessus de Bethléem ont <dit> et non pas <chanté>: «Gloire à Dieu au plus haut»;
¤ Nick Squires, correspondant à Rome du Daily Telegraph, a même affirmé que la reconnaissance - pas vraiment inédite - par le pape Benoît XVI, que Jésus naquit probablement en ce que nous nommons 6 ou 7 avant JC - la date est dûe à une erreur d'un scribe médiéval - pourrait soulever «des doutes sur l'un des les pierres angulaires de la tradition chrétienne », comme s'il s'agissait d'une «clé de voûte» de la foi chrétienne que Jésus soit né le 25 Décembre de l'an 0!

Mais ce n'est que de la mousse, et de la mousse fine. Ceux qui ont lu Benoît sur les récits de l'enfance sans les lunettes déformantes à double foyer du scepticisme postmoderne et de l'ignorance pure trouveront une riche réflexion sur le sens de l'histoire de Noël. Et dans le cadre de son exégèse théologique centrée sur ces textes anciens bien-aimés, le savant-pape fait plusieurs remarques d'une importance capitale pour nos circonstances culturelles actuelles et ce, dans sa prose limpide si typique.

Le premier de ces points concerne les généalogies de Jésus dans les évangiles de Matthieu et de Luc, qui induisent le clergé peu instruit dans la prononciation hébraïque vers la confusion. Ces généalogies, insiste Benoît, ne sont pas du remplissage littéraire. Ils réalisent ce point théologique essentiel, que Jésus est de façon unique, le 'particulier universel' : un homme né à une époque et dans un lieu spécifiques, qui remplit néanmoins la promesse que «toutes les nations de la terre seront bénies» par Abraham et sa descendance; le fils du Très-Haut qui, néanmoins, est légalement un fils de la maison de David, à cause de la loyauté de Joseph acceptant cet enfant du mystère comme le sien, le nommant, et le prenant, lui et sa mère dans sa maison: le Fils éternellement engendré qui n'est pas venu «dans l'intemporalité du mythe», mais qui appartient, comme Ratzinger l'écrit et comme l'évangile de Luc insiste, «à un moment qui peut être spécifiquement daté et dans une zone géographique qui est définie avec précision». Ici, avec l'enfant dans la crèche, «l'universel et le concret convergent», car c'est en lui que «le Logos, la logique créatrice derrière toutes choses, est entré dans le monde», de sorte que «le lieu et le temps» participent pleinement à la rédemption - une rédemption ancrée dans l'histoire et la géographie, et non pas rendue abstraite dans la mythologie.

Tout cela a reposé sur un acte de liberté humaine, qui est le deuxième point crucial de Benoît, et l'essence de son analyse de l'histoire de l'Annonciation. Sur les traces d'un théologien médiéval et docteur de l'Église, Bernard de Clairvaux, le pape décrit la visite de l'ange Gabriel à la Vierge de Nazareth en ces termes dramatiques:

«Après la faute de nos premiers parents, le monde entier a été plongé dans les ténèbres, sous la domination de la mort. Maintenant, Dieu cherche à entrer à nouveau dans le monde. Il frappe à la porte de Marie. Il a besoin de la liberté humaine. Le seul moyen par lequel il peut racheter l'homme , qui a été créé libre, c'est par l'intermédiaire d'un libre "oui" à sa volonté. En créant la liberté, il se fait lui-même dans un certain sens dépendant de l'homme. Son pouvoir est liée au "oui" non forcé d'un être humain» (page 57).

Ce «oui», ce «qu'il advienne de moi selon ta parole» (Luc 1:38), est, avec la Résurrection, l'un des deux piliers de la foi chrétienne. Dieu ne contredit pas sa création dans la naissance virginale ou la Résurrection de Jésus de Nazareth de la mort, écrit le Pape.

«Mais ici, nous ne sommes pas face à l'irrationnel ou au contradictoire, mais précisément au positif - avec la puissance créatrice de Dieu, embrassant la totalité de l'être ... Si Dieu n'a pas aussi le pouvoir sur la matière, alors il n'est tout simplement pas Dieu. Mais il a ce pouvoir, et à travers la conception et la résurrection de Jésus-Christ, il a marqué le début d'une nouvelle création».

Dieu a finalement obtenu, pourrait-on dire, ce qu'il avait prévu et souhaité tout au long. La puissance de l'amour divin, d'abord répandu dans la création, est devenue la puissance définissant l'histoire et changeant le cosmos de la rédemption.

Cette dimension cosmique de ce qu'une génération antérieure, un peu trop redevable aux néologismes exégétiques Teutoniques, appela l'«événement Christ» est soulignée dans le traitement fascinant que Benoît XVI fait de l'histoire des mages. Le théologien, prédicateur et catéchiste, Benoît XVI est, bien sûr, beaucoup moins intéressé par l'identité des mystérieux "sages" d'Orient que par ce que signifiait et signifie encore - leur aventure.

Tout d'abord, le fait que ces visiteurs étaient des Gentils signifie que la promesse notée ci-dessus, selon laquelle toutes les nations seraient bénies en Abraham et sa postérité, est en train de s'accomplir dans ce «roi des Juifs nouveau-né». Et en second lieu, «l'étoile qui s'élève à l'Orient (Matthieu 2:2), et qui conduit à l'enfant Jésus à Bethléem, met fin à l'astrologie et nous donne un indicateur important de la vérité sur l'homme et son destin. L'antique croyance dans les étoiles comme des pouvoirs divins qui façonnaient, et même déterminaient, le sort des hommes et des nations est supplantée par la vérité de la question: comme le Pape l'écrit: «ce n'est pas l'étoile qui détermine le destin de l'enfant, c'est l'enfant (et son Père, dont la volonté est de révéler la vérité sur l'homme à l'homme) qui dirige l'étoile»

Et là, pour les sceptiques et les cyniques, réside la vérité au sujet de ce Soi que la postmodernité met au centre de tout. Là est ce que le Pape appelle la véritable «révolution anthropologique»: la «nature humaine assumée par Dieu - comme révélée dans le Fils unique de Dieu - est plus grande que tous les pouvoirs du monde matériel, plus que l'univers entier». Alors, qui prend l'humanité le plus au sérieux: Richard Dawkins ou Benoît XVI?

«Jésus de Nazareth: Les récits de l'enfance» se termine par une brève explication d'un passage de l'Évangile qui a réconforté des générations de parents aux prises avec les mystères des adolescents: le curieux épisode de la découverte du jeune Jésus dans le Temple. Ici, comme dans l'Annonciation, l'accent de Benoît est sur la liberté bien comprise: le genre de liberté qui conduit à - et non s'éloigne de -la piété authentique.

Dans ce premier exercice rappelé de sa liberté humaine, le jeune Jésus ne défie pas ses parents, ni ne conteste la piété juive de son temps. Comme le Pape l'écrit: «la liberté de Jésus n'est pas la liberté du libéral» la liberté du Soi autonome, impériale.

«C'est la liberté du Fils, et donc la liberté de la personne vraiment dévote. Jésus apporte une nouvelle liberté: pas la liberté de quelqu'un sans aucune obligation, mais la liberté de quelqu'un totalement uni à la volonté du Père, quelqu'un qui aide l'humanité à atteindre la liberté de l'unité intérieure avec Dieu».
Ainsi, le point culminant de l'histoire de Noël et des récits de l'enfance des Évangiles, offre aux Occidentaux, à travers la sagesse de Benoît XVI, quelque chose d'important à méditer alors que nous, et même l'Occident tout entier, considèrons le vrai sens de la liberté et la puissance libératrice de l'obligation comme les défis des années à venir.

Note