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Le colonialisme juridique, c'est quand les sentences des cours de la Communauté Européenne entrent en conflit avec les Constitutions nationales.
Dernier exemple, relevé par Massimo Introvigne: Le 31 janvier, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu public un arrêt par lequel elle juge que le refus d’enregistrement d’un syndicat créé au sein de l’Eglise orthodoxe était contraire à la liberté d’association garantie à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (28/2/2012, mise à jour le 29-
Carlota).

Voir aussi:
-> Colonialisme juridique:
http://benoit-et-moi.fr/2008-II/
-> Lu sur le Salon Beige à l'instant, sur le même sujet de fond: "Face à la CEDH, David Cameron réaffirme la souveraineté juridique des Etats".

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Bien sûr, il est particulièrement choquant que des prêtres (ou des popes) aient l'idée de se syndiquer.
Mais le problème soulevé ici est un problème de fond qui déborde les limites de l'Eglise, et qui est sans doute encore plus grave. Comme le dit Massimo Introvigne, il s'agit d'une très grave ingérence dans les affaires intérieures des Eglises chrétiennes, et d'une étape supplémentaire sur la route - explicitement dénoncé par le pape Benoît XVI - d'un droit européen qui, comme souhaité par la France et d'autres pays, considère la liberté religieuse comme un droit individuel, mais pas comme un droit des communautés et des Églises.

Explication:
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A l’origine de cette affaire se trouve le refus des autorités roumaines de reconnaître civilement la création d’un syndicat composé de 31 prêtres et de 4 laïcs employés d’un diocèse. Ce syndicat, créé à l’occasion d’un conflit interne à l’Eglise pour porter les revendications de ses membres, se donnait pour mission de :

•Participer, comme organe syndical, à tous les niveaux et dans toutes les instances de direction et de décision de l’Eglise, y compris dans le Saint-Synode ;
•Obtenir de l’Archevêché qu’il présente un rapport régulier sur les décisions prises en matière de nominations, de transferts, et de répartition des budgets, ainsi que sur ses revenus et dépenses ;
•Assurer la promotion de la libre initiative, de la concurrence et de la liberté d’expression de ses membres ;
•Organiser des meetings, manifestations et grèves ;
•Œuvrer pour que les clercs et les laïcs puissent bénéficier de l’ensemble des droits dont jouissent les employés du secteur privé (protection sociale, assurance chômage, droits à la retraite, congés et les jours fériés, (samedis et dimanches, premier et deuxième jour après Pâques, Noel Pentecôte et autres jours fériés);
Les autorités roumaines[3] ont refusé d’accorder une existence légale à ce syndicat aux motifs suivants:
- Au regard du droit civil roumain qui assimile les prêtres à la catégorie des personnes exerçant des fonctions de direction et qui ne sont pas autorisées à créer des syndicats[4] ;
- Au regard du droit canonique : le statut de l’Eglise orthodoxe de Roumanie, reconnu par le droit roumain[5], conditionne à l’accord de l’Eglise la création d’associations ou de syndicats par son clergé.
- Au regard de la liberté religieuse, telle que reconnue en droit roumain, européen et international, qui garantit l’autonomie institutionnelle des communautés religieuses à l’égard du pouvoir civil et leur droit de s’organiser conformément à leurs statuts.

Le Syndicat a porté l’affaire devant la Cour européenne en invoquant une violation de la liberté syndicale, composante de la liberté d’association garantie par l’article 11 de la Convention

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Sources:
http://eclj.org/...res (Commentaires de l’ECLJ sur l’arrêt CEDH, 3e Section, 31 janvier 2012, Sindicatul Pastorul cel bun c. Roumanie, no 2330/09)

http://eclj.org/..eur (La liberté de l’Eglise contrainte à la Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Sindicatul Pastorul cel bun c. Roumanie, 14 février 2012, par Grégor Puppinck, Directeur de l’ECLJ, Expert au Conseil d el’Europe


European Centre for Law and Justice



Sentence dangereuse pour les prêtres et les syndicats
Massimo Introvigne
La Bussola
24/02/2012
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La Cour européenne des Droits de l'Homme à Strasbourg - qui ne fait pas partie de l'Union européenne, mais d'une institution différente, plus ample, le Conseil de l'Europe, qui comprend également des pays géographiquement européens mais qui ne sont pas dans l'Union - a rendu public les motivations d'une sentence concernant l'Eglise orthodoxe, mais qui est potentiellement très dangereuse pour la liberté religieuse.

Dans son arrêt Sindicatul Pastorul cel Bun c. Roumanie , publié le 31 janvier dernier, la Cour - rappelons que c'est le même organe judiciaire qui dans son jugement sur «le cas Lautsi», par la suite heureusement infirmé en appel, avait cherché à interdire les crucifix dans les écoles italiennes - a pris en considération le cas d'un syndicat de prêtres (popes) orthodoxes en Roumanie, que les autorités roumaines ont refusé de reconnaître, pour trois raisons.
La première est que dans le droit du travail roumains, les dirigeants, en particulier ceux de la fonction publique, ne sont pas autorisés à former des syndicats, et les prêtres orthodoxes sont assimilés à cette catégorie.
La seconde est que, dans une certaine mesure, le système civil de Roumanie post-communiste reconnaît l'ordre canonique de l'Église orthodoxe, lequel exclut la possibilité pour les prêtres de s'organiser en syndicats.
La troisième est que le principe de liberté religieuse doit donner la priorité à la liberté de l'Eglise orthodoxe de s'organiser comme elle l'entend en ce qui concerne le principe - important, mais hiérarchiquement inférieur à la liberté de religion - de a liberté d'association.

Les prêtres syndicalistes roumains ont porté l'affaire devant la Cour de Strasbourg , qui leur a donné raison.
Examinant les trois points qui ont fondé le refus roumain de reconnaître le syndicat, la Cour a avant tout considéré que l'assimilation des prêtres aux dirigeants est controversée et ne peut être tenu pour acquise. Déjà à ce stade, il est légitime de soulever quelque perplexité technique. Il s'agit d'une spécificité du droit du travail de la Roumanie sur laquelle la Cour n'a pas compétence pour se prononcer, sauf en cas d'application manifestement arbitraire d'une loi nationale, qui ne semble pas avoir eu lieu. Mais c'est sur le deuxième et le troisième point de que la Cour s'est engagée sur une route extrêmement dangereuse. En ce qui concerne les privilèges conférés à l'Eglise orthodoxe par la législation roumaine, la Cour a jugé que l'ordre public - qui inclut la liberté d'organisation syndicale - a la primauté sur tout accord spécifique entre l'Etat roumain et tout organisme, y compris le Patriarcat orthodoxe. Allant ensuite manifestement au-delà de ses pouvoirs, la Cour précise également que «le statut du Syndicat [de prêtres] ne contient rien qui soit contraire à la foi de l'Église [orthodoxe]».

Une affirmation de ce type présuppose que la Cour a compétence pour connaître ce qui est ou n'est pas contraire à la foi du Patriarcat de Roumanie, ce qui est manifestement absurde.

Mais c'est sur le point de la liberté religieuse que l'arrêt suscite une alarme particulière.
Les juges de Strasbourg affirment que les prêtres orthodoxes roumains reçoivent un salaire du Patriarcat: donc, sont des employés. Et «la relation fondée sur un contrat de travail ne peut pas être "cléricalisée" au point d'échapper aux règles normales du droit civil».
En réalité, c'est le contraire qui est vrai. Le sacerdoce n'est pas un simple travail comme un autre. Ceux qui choisissent de devenir prêtres savent bien que ce choix impose des renoncements, y compris celui d'interagir avec son "employeur" - l'Église - selon les paramètres habituels du droit qui s'applique à ceux qui travaillent dans un bureau ou une usine.
Comme l'a observé Grégor Puppinck, directeur de l'European Centre for Law and Justice, un centre spécialisé dans la protection de la liberté religieuse, qui avait présenté à la Cour des observations écrites en faveur de la Roumanie, l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme ne crée même pas un droit illimité à l'exercice des droits des travailleurs dans la forme syndicale habituelle. L'essentiel, pour l'article 11, est que les travailleurs aient le droit d'exprimer leurs revendications en cas d'arbitraire, possibilité que les prêtres orthodoxes roumains peuvent eux aussi exercer en utilisant les moyens prévus par leur ordre canonique.

Il s'agit - a ajouté Puppinck - d'un pas en arrière par rapport à l'arrêt d'appel dans l'affaire du crucifix en Italie, où il a été reconnu qu'il n'existe pas un droit unique européen en matière de religion et que la Cour doit reconnaître les spécificités nationales, en particulier dans les cas où une religion - le catholicisme en Italie, mais aussi l'orthodoxie en Roumanie - apporte une contribution particulière à l'identité nationale, qui ne peut manquer de trouver une reconnaissance juridique particulière.
Si l'on voulait être malveillant, on pourrait ajouter que la Cour - au-delà du cas spécifique, et après tout limité, des prêtres orthodoxes roumains inscrits à ce syndicat -, a voulu envoyer un message précis à l'Eglise catholique, face à des organisations et des syndicats similaires , dont elle nie généralement la légitimité, dans plusieurs pays européens. Si c'est le cas, il s'agit d'une très grave ingérence dans les affaires intérieures des Eglises chrétiennes, et d'une étape supplémentaire sur la route - explicitement dénoncé par le pape Benoît XVI - d'un droit européen qui, comme souhaité par la France et d'autres pays, considère la liberté religieuse comme un droit individuel, mais pas comme un droit des communautés et des Églises.

Le jugement, bien sûr, ouvre des problèmes pratiques pas faciles à résoudre.
Une fois qu'en obéissance à la sentence, le syndicat des prêtres roumains sera reconnu par l'État, devra-t-il aussi être reconnu par l'Eglise orthodoxe? Celle-ci répondra sans doute non, avec un nouveau recours prévisible des prêtres syndicalistes à Strasbourg. Un bourbier dont il sera difficile de sortir et dont, en même temps que la liberté religieuse, le bon sens risque de faire les frais.

Mise au point de Carlota

Pour lever toute ambigüité
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Il me paraît important de préciser que dans l'ensemble du texte intitulé « Colonialisme juridique » , en lisant le mot prêtre, il faut bien sûr comprendre prêtre orthodoxe, ou pour faire court, pope, mot que nous, catholiques de langue français (et majoritairement latins) avons l’habitude d’employer pour désigner un prêtre d'une des églises orthodoxes, afin qu'il n'y ait pas risque de confusion, même si en Roumanie majoritairement orthodoxe le mot « preot » (prêtre) se dit aussi « popă » (Cf dictionnaire explicatif de la langue roumaine en ligne ici et ).

Par ailleurs, voici le lien vers le communiqué du bureau de presse (original ici) de Monseigneur Popa (Ion Ireneu), métropolite d’Olténie (Sud Roumanie) et de l’archidiocèse de Craiova depuis 2008 (video.crestinortodox.ro/).
Ce communiqué écrit le 1er février 2012, a été émis à la suite de la sentence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme) ; il a pour titre « Une décision inadéquate à la CEDH, la vocation sacerdotale a été assimilée à une action syndicale » et se conclut ainsi :

« Nous formulons l’espoir que l’État roumain va contester avec fermeté cette décision inadéquate et nous avons la conviction que la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme corrigera cette décision hâtive dans la cause de l’auto-intitulé syndicat des prêtres (ndt: comprendre prêtres orthodoxes) de la Métropolie d’Olténie, "le bon Pasteur contre la Roumanie", qui ne tient compte ni de l’autonomie, ni de la spécificité d’organisation et de fonctionnement de l’activité des cultes religieux, telles que reconnues et garantiesdans tous les pays démocratiques ».

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Remarques complémentaires :
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De mon point de vue de catholique latine, il me semble que l’organisation particulière de l’église orthodoxe mais aussi l’attitude pour le moins « curieuse » de ces popes contestataires, ont été « pain béni » pour la CEDH et la décision qui en a découlé. C’est en tout cas un nouvel exemple significatif de la toute puissance de certaines instances qui n’ont que la puissance qu’on veut bien leur laisser et dont les membres n’ont même pas de légitimité démocratique.

Je reste néanmoins persuadée que le Seigneur peut permettre que le bien sorte du mal avec notamment un réveil des pays européens qui doivent se rappeler que leur existence ne dépend par d’une Cour même européenne et des Droits de l’Homme, mais d’abord de leur propre souveraineté nationale et du désir qu’ils en ont de la défendre. Mais aussi une réflexion pour les aspirants à la vie religieuse qui n’est pas celle d’un homme d’une autre essence que le commun des mortels, mais d’un homme à part, un homme qui est dans le monde mais qui n’est pas de ce monde. Une réflexion qui se nourrit autant des réactions de popes postulants syndicalistes d’Olténie que celle, par exemple, de curés frondeurs autrichiens. Et là dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas le bien fondé, ou non, de leur revendication qui m’importe, c’est leur attitude par rapport à l’obéissance, l’humilité, le sacrifice indissociables à la vocation sacerdotale. Et je ne peux que me rapporter aux magnifiques conseils donnés tout récemment par Benoît XVI à ses séminaristes, puis à ses prêtres romains.

Carlota