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Ce qui m'étonne, c'est la foi...

Terrible témoignage de Mgr Aguirre, l'évêque espagnol d'un diocèse de la République Centrafricaine, un pays qui subit les exactions de groupes armés musulmans. Article de JL Restàn. Traduction de Carlota (16/5/2013)

Voici un article sur l’entretien (original ici www.paginasdigital.es) accordé par téléphone à José Luis Restán par Mgr Juan José Aguirre, lors d’une émission radiophonique, il y a quelques jours.
Mgr Aguirre est l’évêque espagnol d’un diocèse de la République Centrafricaine, un pays qui subit les exactions de groupes armés musulmans.
(Carlota)

     

Ils nous ont spoliés comme Jésus au Calvaire

José Luis Restán
9 mai 2013

Il y a un an, il me parlait presque en riant de son peuple, qui a une foi comme des colonnes de bronze : il applaudissait sa dignité jamais abattue, sa capacité à survivre, plus encore, à montrer sa joie et à construire malgré l’extrême pauvreté et le fléau du Sida. Hier l’on notait une pointe de colère dans la voix, une douleur contenue qui ne le freine pas mais donne un poids singulier à chaque parole.

Le coup d’état d’origine islamiste l’a surpris à Bangui, la capitale de la République Centrafricaine, le dimanche dernier des Rameaux. Ce furent des semaines interminables, avec l’angoisse de ne pas connaître le sort de ceux qui lui ont été confiés. Finalement il a pu revenir à Bangassou, son diocèse, pour voir la dévastation et surtout pour réunir son troupeau et le soutenir dans la certitude que le Christ ressuscité vainc.
Il s’appelle Juan José Aguirre, il est évêque, et une fois de plus, en prenant cet avion, il a décidé de brûler ses navires.

« Ils nous ont spoliés dans le sens du dépouillement des vêtements de Jésus au Calvaire », m’explique-t-il rempli d’indignation, en relatant à « El Espejo » de COPE (Ndt émission de la chaîne radio catholique espagnole COPE), une kyrielle de vexations, de vols, d’abus et de violences de tout type dont ses fidèles ont souffert et continuent à souffrir. « Les gens sont terrorisés et éreintés (ndt dans le sens aussi de battus) par la présence de ces bandits et leur continuelle extorsion ».

Et il explique que à tout moment ils entrent la mitraillette à la main dans n’importe quelle maison, en toute impunité, sous le prétexte de réquisitionner des armes. Puis viennent les vols, les mauvais traitements, y compris l’abus sexuel contre les femmes. « Ils ont raflé tous nos moyens en matériel pour notre travail apostolique, et là tu restes avec une tête d’imbécile en voyant comme ils passent devant toi avec ta voiture parce qu’elle est déjà à eux».
Effectivement ils ont volé des vêtements, de l’argent, des photocopieuses, des ordinateurs, des instruments à caractère sanitaire… mais l’affaire des voitures a été particulièrement douloureux car dans un diocèse comme Bangassou de la dimension de l’Andalousie, elles sont indispensables pour le travail pastoral. Et il n’en reste plus une seule.

Les bandits dont nous parle Mgr Aguirre se trouvent intégrés dans le groupe de guérilleros SELEKA, un mouvement islamiste de tendance djihadiste (similaire à celui qui est intervenu au Mali) qui a pénétré depuis l’extérieur en République Centrafricaine s’acharnant contre les communautés chrétiennes, profanant les églises et mêmes les tabernacles. Néanmoins la minorité musulmane n’a pas été ennuyée. Aguirre sait que si ce cauchemar se termine, la guérison des blessures ouvertes actuellement entre des chrétiens et des musulmans sera très difficile dans un pays où auparavant étaient en vigueur le respect et le bon voisinage. En effet les musulmans ne dépassent pas 10% de la population de la République Centrafricaine et les SELEKA renforcent leurs troupes de Soudanais et de Tchadiens, qui comme ils sont venus peuvent repartir si la pression militaire les y pousse.

Juan José Aguirre est un homme de prière et il sait que le Christ crucifié est la clef pour interpréter tout ce qui est en train de se passer. Cela ne l’empêche pas, plus encore, l’aide à comprendre les contours politico-sociaux de cet événement douloureux et il rappelle qu’Isaïe paria pour le roi Cyrus et ses armées quand Jérusalem fut saccagée. Le roi perse fut alors l’instrument de Dieu pour libérer son peuple.
Dans les semaines précédentes, Aguirre a tempêté dans la presse et devant les institutions réclamant une intervention militaire internationale qui mette un frein à la violence et aux abus en Centrafrique. Il espère que va s’accomplir l’engagement pris des pays limitrophes d’envoyer, à la fin mai, une force de 2000 soldats, la FOMAC, qui mettra fin à ce qu’il nomme une situation abominable.

Mais la vie ne s’arrête pas au fracas des mitraillettes. À peine arrivé, l’évêque a assumé personnellement la catéchèse de confirmation des jeunes, pour les amener jusqu’à la Pentecôte. Il a bien présentes les situations de ces prêtres et religieuses, ceux qui restent à leur poste et ceux qui se sont vus forcés à passer la frontière du Congo. De l’un il n’a pas encore obtenu de nouvelles. Il célèbre la messe dans toutes les chapelles où il peut se rendre à pied et il ne cesse de prononcer le jugement de la foi sur ce qui est en train de se passer. « Les bandits sont en train de tout faire pour nous faire perdre courage, mais nous allons jeter plus de viande à la broche (ndt terrible image), nous allons mettre plus de force, plus d’espérance, nous allons plus travailler, nous allons raviver notre foi avec la force du Saint Esprit et de la grâce de Dieu, et ainsi nous serons plus forts ».

L’entretien se termine et je ne lui révèle pas mes peurs pour sa sécurité au vu de sa façon d’affronter, poitrine découverte, l’arbitraire de ses violents. Mais je l’interroge sur sa santé car il a souffert d’un infarctus avant Noël. Il me dit qu’il est bien, quoiqu’il se fatigue parfois. « Marcher quatorze kilomètres par jour fait du bien à son cœur, me commente-t-il avec un demi sourire dont j’ai l’intuition à l’autre bout de la ligne téléphonique. Je lui recommande de bien se soigner et ingénument je lui pose la question d’un suivi médical là-bas: « Si quelque chose se passe, je ne peux pas non plus sortir, les routes sont coupées et ils ont fermé l’aéroport… Je suis dans les mains de Dieu ».

Je vois des larmes parmi mes compagnons qui assistent à l’entretien.
« Ce qui me surprend toujours c’est la foi », je me rappelle qu’une foi un théologien nommé Joseph Ratzinger a dit cela.
C’est l’étonnement que continue à provoquer deux mille ans plus tard, le fait que le Christ est présent et génère des hommes comme celui-ci.