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Homélies pour les amis

Sortie en Italie du tome XII de l'Opera Omnia de Joseph Ratzinger. Et un extrait en avant-première (15/5/2013)

>>> Cf.
http://www.libreriacoletti.it

Les deux articles qui suivent sont issus de l'OR daté du 15 mai. Ma traduction.

     

Homélies pour les amis

15/05/2013
L'Osservatore Romano
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Sous le titre Annunciatori della Parola e Servitori della vostra gioia, teologia e spiritualità del Sacramento dell’Ordine - "Prédicateurs de la Parole et serviteurs de votre joie. La théologie et la spiritualité du sacrement de l'Ordre" ( Libreria Editrice Vaticana, 2013, 982 pages) le tome XII de l'Opera Omnia de Joseph Ratzinger supervisée par Mgr Gerhard Ludwig Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, vient de sortir.
Le livre rassemble des études scientifiques, des méditations et des homélies - de 1954 à 2002 - sur le service épiscopal, sacerdotale et diaconal. Nous présentons ici des extraits de trois homélies: l'une a été prononcée en 1978 lors de la messe pour le soixante-dixième anniversaire de l'évêque Ernst Tewes (ndt: cf. ci-dessous), et les deux autres en 1955 et en 1962, à l'occasion de la première messe d'amis prêtres; des textes alertes et émus, dans lesquels les anecdotes personnelles sont entrecoupées de citations d'écrivains célèbres, tels que Antoine de Saint-Exupéry ou le grand écrivain russe Soljenitsyne.
Le pilote français écrivit un jour une lettre à un général: «Il n'y a qu'un seul problème dans le monde. Comment peut-on redonner aux hommes un sens spirituel, une inquiétude spirituelle, comment faire en sorte que se forme ici-bas quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. Vous comprenez, on ne peut pas vivre de réfrigérateurs, de politique, de budgets, de mots croisés. On ne peut plus». Et dans son livre Le Petit Prince il affirme: «Comme il est incompréhensible monde des adultes, des gens sages. Nous ne comprenons que les machines, la géographie et la politique. Mais ce qui est essentiel, la lumière, les nuages, le ciel et ses étoiles, cela, nous ne le comprenons plus». Soljenitsyne quant à lui racontele cri d'angoisse d'un communiste qui était dans les prisons de Staline: «Nous aurions à nouveau besoin d'églises en Russie, et d'hommes dont la vie pure fasse revivre ces églises et les transforment en espace pour l'âme». En fait, l'homme ne vit pas seulement de réfrigérateurs et de budgets, écrivait le jeune Joseph Ratzinger, plus il cherche à le faire, plus désespéré il devient, plus sa vie est vide.

     

L'homélie de Joseph Ratzinger pour la célébration du soixante-dixième anniversaire de l'évêque Ernst Tewes (1978)
par Joseph Ratzinger
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Par hasard, ces jours-ci, je lisais le récit que le grand écrivain français Julien Green fait de sa conversion. Il écrit que, dans la période entre les deux guerres mondiales, il vivait sa vie comme un homme d'aujourd'hui: il se permettait tout ce qu'il voulait, il était enchaîné aux plaisirs contraires à Dieu, de sorte que d'une part, il en avait besoin pour rendre sa vie supportable, mais, de l'autre, il trouvait insupportable cette même vie. Il cherche un moyen d'en sortir, noue des relations. Il va chez le grand théologien Henri Bremond, mais la conversation reste sur le plan académique, dans les subtilités théoriques qui ne l'aident pas.
Il établit une relation avec deux grands philosophes, les époux Jacques et Raïssa Maritain. Raïssa Maritain lui indique un dominicain polonais. Il le rencontre, et lui décrit une fois de plus sa vie déchirée. Le prêtre lui dit: «Et vous, vous êtes d'accord pour vivre comme cela?». «Non, bien sûr que non!» répond-il. «Donc, vous voulez vivre d'une manière différente. Vous repentez-vous?». «Oui», fait Green. Et puis, quelque chose d'inattendu se produit. Le prêtre dit: «Mettez-vous à genoux! Ego te absolvo a peccatis tuis -- je t'absouds». Julien Green écrit: «Alors j'ai réalisé qu'au fond j'avais toujours attendu ce moment, j'avais attendu que quelqu'un qui me dise: agenouille-toi, je t'absouds. Je rentrai chez moi: je n'étais pas un autre, non, j'étais enfin redevenu moi-même».
Si nous sommes honnêtes, si nous réfléchissons à cette histoire en profondeur, nous voyons que finalement cette attente est en chacun de nous, qu'au fond de nous, il y a un cri pour que vienne quelqu'un qui nous dise: «Mets-toi à genoux! Ego te absolvo».
Un célèbre théologien protestant a dit il y a quelque temps: Aujourd'hui, il faudrait raconter la parabole du fils prodigue de manière nouvelle, comme la parabole du père perdu.
En fait, l'égarement de cet enfant réside dans le fait qu'il a perdu son père, qui ne veut plus le voir. Mais ce fils prodigue, c'est nous.
Sa difficulté est la difficulté de notre époque qui se targue d'être une société sans père. Selon Freud, nous avons cru que le père était le cauchemar du «Super Moi», celui qui limite notre liberté, et qu'il faut nous en libérer. Et maintenant que cela s'est produit, nous reconnaissons que, ce faisant, nous nous sommes affranchis de l'amour et amputés de nous-mêmes ce qui nous fait vivre.
Mais en même temps, émerge ainsi à nouveau ce qu'il y a de plus profond dans le ministère épiscopal et sacerdotal: pouvoir représenter le Père, le vrai Père de nous tous, dont nous avons besoin pour vivre comme des hommes. Le prêtre peut le rendre présent en donnant sa paix, sa grâce, la parole transformatrice de l'absolution.

Une deuxième tâche du ministère sacerdotal, étroitement mêlée à celle-là, vient en lumière quand Paul dit dans le verset suivant: «Vous avez été enrichis de tous les dons, ceux de parole et de la connaissance». Prenons-le comme examen de conscience. Certes, nous sommes très richee en paroles et en connaissances. Mais sommes-nous vraiment riches de la Parole qui est connaissance et qui nous guide au milieu de tant de paroles inutiles? Ou bien est-ce justement de cela ce que nous sommes devenus extrêmement pauvres?
Revenons encore une fois à Julien Green. Il raconte comment, dès son enfance, sa mère, anglicane, l'avait littéralement immergé dans l'Ecriture Sainte. Il était évident pour lui de savoir par cœur les cent cinquante psaumes. L'Ecriture était l'ambiance de sa vie. Et il dit: «Ma mère m'a appris à la comprendre comme un livre d'amour. Et j'étais profondément imprégné de l'idée que, d'un bout à l'autre de l'Écriture, c'était uniquement l'amour qui parlait. Et tout mon être ne voulait rien d'autre qu'aimer». Ainsi, à la fin, un homme qui a reçu de telles bases ne peut pas se perdre.

Et nous? Ne devrions-nous pas, de façon entièrement nouvelle, donner une place à cette Parole, qui, d'un bout à l'autre nous enveloppe d'amour, en faire l'atmosphère de nos maisons et de nos vies quotidiennes? Ce n'est absolument pas une garantie que notre vie aura en tout le vent en poupe. Mais c'est une force motrice ultime, qui nous ramènera à chaque fois à la maison, qui nous rendra riches de la vraie connaissance.

Enfin, un troisième point. Paul dit qu'il est reconnaissant du fait qu '«aucun don spirituel ne vous manque plus». En entendant ces mots, c'est presque comme si je voyais devant moi le visage de Saint Paul, qui sourit avec une ironie subtile, légère. En effet, quelques pages plus loin, il pointe du doigt les Corinthiens parce qu'ils sont réellement assoiffés de charisme. Il ne retire pas cette phrase, ce n'est pas de la flatterie. Non, ils ne leur manque aucun charisme, aucun don de grâce. Et pourtant, ils risquent d'être malavisés, parce qu'ils ne se soucient que du particulier, parce que chacun veut dominer l'autre, et parce qu'ainsi, il n'est plus évident que tous les dons, tous les charismes ont un seul but: nous faire découvrir l'amour et construire ainsi l'organisme vivant de Jésus-Christ.
Mais il me vient aussi à l'esprit saint Philippe Neri (...), ce saint qui, avec son humour intarissable et sa foi immense fit de la Rome de la seconde moitié du XVIe siècle, une ville dans laquelle la lumière de Jésus-Christ était à nouveau sur le chandelier, et pouvait à nouveau être un critère pour les chrétiens.
Il recueillait des jeunes qui lisaient les Ecritures avec lui, s'immergeaient dans les trésors de l'histoire de l'Eglise et pour qui il était évident que ceux qui s'abreuverait à cette Parole, devraient ensuite la distribuer parmi les malades de l'hôpital voisin du Saint-Esprit et les pauvres de Rome.
Dans cette école des charismes ont grandi d'excellents hommes comme Cesare Baronio - le grand historien de l'Église - et de nombreux autres hommes et femmes en qui ces dons furent réveillés et chez qui, sans aucun ministère ou appel particulier, s'est rendue vivante la force de la Parole de Dieu. Cette Parole a pris ces hommes à son service et tout s'est rassemblé, toujours et malgré tout, autour de ce centre qui s'appelle l'amour, la foi, l'espérance.

(© L'Osservatore Romano le 15 mai 2013, Raffa)