Accueil

Pontificats virtuels

Reprise d'un article du père Scalese en avril 2013 (20/4/2014)

Les médias ont donné une couverture en général flatteuse au voyage du Pape en Corée (couronné par l'interviewe en vol), certains allant même jusqu'à parler de "triomphe" et du Pape "superstar". On aurait mauvais jeu de s'en plaindre, surtout si leur enthousiasme est motivé par de justes raisons.
Difficile, cependant (et une fois de plus!), de ne pas comparer avec les réactions "saluant" chacun des voyages de Benoît XVI [(1)], du déchaînement d'hostilité occultant totalement le contenu (Bavière-Ratisbonne, Cameroun-préservatif) au boycot pure et simple (République tchèque, JMJ de Cologne, de Sidney), en passant par le choix calibré des sujets traités sans rapport direct avec le fond du voyage (Pologne et la visite à Auschwitz, Mexique et celle avec Fidel Castro; Terre Sainte et le chant de paix à Nazareth; Madrid et les manifestations des gays et des "indignés", etc..) et toutes les nuances des "réserves" et des "critiques", toujours prioritaires par rapport aux fruits évidents.

Cela m'a remis en mémoire cet article écrit par le père Scalese au lendemain de l'élection de François. Comparant les deux derniers Papes, il parle de "pontificats virtuels". A un ou deux passages près, il pourrait l'avoir écrit hier.
Que cela soit clair: de ma part (comme de celle de P. Scalese, qui le dit plus bas), cette réflexion n'est pas une critique au pape, ni même une manifestation de nostalgie, mais une triple question aux médias: pourquoi, pour qui, jusqu'à quand?

     

PONTIFICATS VIRTUELS
querculanus.blogspot.fr
1er avril 2013
------------------

Il y a quelques jours, j'ai reçu d'Allemagne un message d'une dame qui était déroutée face à l'attitude adoptée par des médias envers le Pape nouvellement élu François: «Ils sont tous à se répandre en louanges envers le nouvel évêque de Rome. Mais où étaient-ils durant ces huit ans? Le pape Benoît a été crucifié du premier au dernier jour, sauf quand il a démissionné, alors ils se sont fait entendre! La raison de cet enthousiasme, est-ce le fait que le nouvel Évêque porte la croix de fer, des chaussures noires, des pantalons noirs?».
La dame m'a demandé d'expliquer l'approche différente adoptée par les médias envers le Pape Benoît XVI et le Pape François.

Je m'en suis tiré avec une citation de l'Évangile: «Heureux serez-vous, lorsque les hommes vous haïront, lorsqu'on vous chassera, vous outragera, et qu'on rejettera votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme! Réjouissez-vous en ce jour-là et tressaillez d'allégresse, parce que votre récompense sera grande dans le ciel; car c'est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. »(Luc 6:22-23.26).

A part l'Évangile, qui reste toujours valide, j'ai continué à réfléchir sur la question de la dame: comment se fait-il que ces médias, qui depuis huit ans n'ont cessé d'attaquer Ratzinger pour n'importe quel motif, continuent aujourd'hui, pour n'importe quel motif aussi, de faire l'éloge de Bergoglio?
Qu'il existe une disparité de traitement, c'est sous les yeux de chacun.
Mercredi dernier, Raffaella , se référant au fait que le pape François, lors de l'audience générale, n'avait parlé qu'en italien, s'est à à juste titre demandé: « Qu'est-ce qui se serait passé si le pape Benoît XVI, à partir de 2005, avait adopté le même système? Lorsque Benoît XVI s'est rendu en Pologne ... (en 2006), il a été âprement critiqué par un vaticaniste parce qu'il avait décidé de faire des discours et homélies en italien. Ce dernier avait écrit: "On s'attendait à ce qu'il prenne des cours de polonais". Après le premier message Urbi et Orbi (Noël 2005), certains ont ironisé parce que le Saint-Père n'avait salué qu'en 33 langues, environ la moitié de son prédécesseur. Quand, des années plus tard, Benoît a pulvérisé tous les records précédents, personne ne lui a adressé de compliments».

Nous verrons si demain, sur les journaux, les vaticanistes trouveront à redire parce qu'hier (lors de la bénédiction Urbi et Orbi), François n'a adressé ses souhaits qu'en italien . J'en doute, et même, je suis sûr que ce sera une occasion de plus pour saluer le nouveau pape, qui aime la simplicité et le contact direct avec les foules. Il y en aura aussi qui donneront une lecture théologique de la nouvelle, affirmant que le pape Bergoglio se sent surtout Évêque de Rome et donc utilise la langue qui est parlée à Rome (alors il faudra aussi m'expliquer pourquoi nous devrions aller chercher l'évêque de Rome «au bout du monde», et déranger tellement de Cardinaux de partout, quand l'on pourrait tout faire à la maison, avec tous ces bons prêtres servant dans le diocèse de Rome).

Je ne sais pas si vous avez remarqué que, pour les medias, chaque geste du pape François devient un événement: il embrasse un enfant ou une personne handicapée, et il semble que c'est la première fois que cela se produit, alors que les derniers Papes nous avaient habitués à des gestes similaires, sans que personne n'en fasse plus de cas. Tout ce qu'il dit, même le plus anodin, devient un oracle. L'autre jour, il m'est arrivé d'entendre, je ne me souviens plus si c'est à la radio ou à la télévision: «Des mots forts du Pape Bergoglio: "Nous devons aider les uns les autres"!».
Ne vous méprenez pas: je ne critique pas le pape François et je ne compare pas ses discours avec ceux du pape Benoît. Chacun s'exprime à sa manière; il faut la lectio magistralis, et il faut aussi la simple réflexion a braccio; chaque type d'intervention peut avoir sa valeur, selon les circonstances. Ce qui me dérange, c'est l'amplification des médias.

J'ai l'impression que l'on est en train de créer un pontificat virtuel, par opposition à un précédent pontificat virtuel, de signe opposé.
Et je me demande ces jours-ci: mais que sont devenus tous les graves problèmes qui affligeaient l'Eglise sous le pontificat de Benoît XVI, et dont certains pensent qu'ils peuvent avoir été en quelque sorte la cause de sa démission?
Cela fait trois semaines que personne ne parle plus de pédophilie dans l'Eglise; on ne parle plus des Vatileaks et des poisons de la Curie romaine, on ne parle plus de l'IOR. Tout est-il résolu? A-t-il suffi d'élire un nouveau pape pour résoudre automatiquement tous les problèmes? De deux choses l'une: ou bien tout était un montage médiatique alors, ou tout est un montage médiatique aujourd'hui. Il n'est pas possible que les problèmes qui faisaient vaciller l'Église puissent de but en blanc disparaître dans le néant. Il convient de noter que, mis à part des vétilles, jusqu'à présent, aucune réforme n'a été faite; l'unique nomination a été celle du nouvel archevêque de Buenos Aires; et pourtant tout se déroule bien.
Il semblerait que l'unique problème était un certain Joseph Ratzinger.

Franchement, j'ai du mal à comprendre la raison de cette aversion. Certes, il a lui aussi commis des erreurs (qui n'en fait pas?).
Personnellement, je pense que sa plus grande limite a été l'incapacité de choisir ses collaborateurs (il suffit de voir que le conclave précédent, composé de cardinaux nommés par le pape Jean-Paul II, l'a préféré à Bergoglio, alors que ce conclave, constitué en grande partie par des Cardinaux qu'il a créés, a choisi celui qui avait été son «rival»): le pape Ratzinger, qui connaissait pourtant les mécanismes de la Curie, s'est entouré d'arrivistes qui, au moment opportun, lui ont tourné le dos. Une autre critique qu'on peut lui faire, c'est qu'il n'a pas été en mesure de mener à bien les réformes qu'il s'était proposées: d'une part, la réforme de la Curie romaine, puis la "réforme de la réforme" dans le domaine liturgique, et enfin la réconciliation avec les lefebvristes. Mais, d'autre part, comment aurait-il pu réaliser ces réformes sans l'aide de ses collaborateurs?

Dans tous les cas, ces critiques ou d'autres possibles ne justifient pas l'aversion des médias contre Ratzinger. Il doit y avoir une autre raison qui nous échappe. Quelqu'un a suggéré que son «péché originel» était ses origines allemandes. Je ne sais pas: l'Allemagne a peut-être été le pays où il a rencontré le plus d'opposition. Peut-être son principal défaut était-il d'être traditionaliste? Il y a quelques années, j'ai écrit un billet où je soutenais que Ratzinger a toujours été essentiellement un «libéral». Honnêtement, il est difficile de trouver la vraie raison pour laquelle pendant huit ans (sans compter les années précédentes), les médias se sont exercés au tir au pigeon d'argile contre le Pape Benoît XVI.

De toutes façons, je suis convaincu que l'attitude que les médias ont eue contre Ratzinger, ile pourraient à tout moment l'adopter aussi contre Bergoglio. Si j'étais à la place de Papa Francesco, je ne dormirais pas tranquille: il ne faut jamais se fier aux flatteurs; de but en blanc, ils peuvent se retourner contre vous.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais quelques "mises en garde" mafieuses ont déjà été lancées: d'abord les accusations d'avoir soutenu la dictature militaire, et maintenant celles d'avoir adhéré à la "Guadia di ferra" (sans parler du film de 2012 Mea maxima culpa, qui vient tout juste de sortir en Italie ). Qu'ensuite l'inconsistance de ces accusations ait été prouvé ne sert à rien: quand le New York Times a décidé de lancer une attaque, il n'y a pas de saint qui tienne: elle peut être complètement fausse, mais par le simple fait que les mêmes accusation rebondissent d'un journal à l'autre, elles deviennent «vérité».
À ce point, même le témoignage des prix Nobel ne sert à rien, ce qui compte, c'est ce que disent les médias: une vérité virtuelle, tout comme est virtuel le monde dans lequel nous vivons.

     

Note

(1) Voici ce que disait Mgr Ganswein prenant la parole en juin dernier à un symposium sur le thème «Voyages des papes entre diplomatie et communication».

Plusieurs fois, des voyages ont commencé avec un vent très contraire, le pape Benoît a dû s'habituer au «vent contraire», contrairement à ce qui se passe aujourd'hui. Mais je me souviens comment l'atmosphère changeait...
(...)
Malheureusement, il y avait beaucoup de préjugés contre le Cardinal Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Pour moi, cela a toujours été incompréhensible, mais c'était comme cela, et ça l'est resté (...) A partir de Ratisbonne, le 12 Septembre 2006, à partir de ce moment, les préjugés étaient un peu comme les prétoriens: ils étaient toujours là. Malheureusement. Ensuite, dans ses voyages, sa présence a fait comprendre qu'au fur et à mesure qu'il vieillissait, les verrous des préjugés fondaient comme neige au soleil (ndt: chez les foules, pas les médias). Mais avant, il y en avait, et cela a été mon expérience, je ne pouvais pas entrer dans une route où il n'y avait pas de décombres, il fallait d'abord nettoyer la route. Et ensuite, c'est aussi ce qu'il disait, et pas seulement sa présence, qui passait dans le cerveau, mais aussi touchait le cœur. Quiconque connaît la personne d'un peu près le comprend bien.
(http://benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/benoit-xvi-raconte-par-georg-gaenswein.html)

  © benoit-et-moi, tous droits réservés