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Démission du Grand Maître de l'Ordre de Malte

Premières analyses à chaud (26/1/2017)

La nouvelle est tombée hier comme un coup de tonnerre: «François a demandé à Fra 'Matthew Festing, Grand Maître de l'Ordre de Malte, de démissionner et il a accepté». Et elle a immédiatement entraîné une cascade de commentaires. Dans le mileu des initiés, tout le monde en parle.
Sandro Magister consacre à l'information son billet du jour sur Settimo Cielo (Entre Rome et Malte, grand est le désordre sous le ciel). Il renvoie avec beaucoup de modestie et de correction à ce qu'il qualifie de «documentation la plus détaillée» sur la question, celle d'Edward Pentin (ICI et ICI) (1).
Antonio Socci se déchaîne, pour le moment sur sa seule page Facebook, parlant à propos de François de «despotisme qui suinte la miséricorde par tous les pores», et d'un pontificat qui «répand la terreur au Vatican».
Et un canoniste du Catholic Herald soulève la question de graves conséquences envisageable pour la Souveraineté même de l'Eglise.
Je ne peux pas tout traduire (!) et j'ai choisi deux articles assez courts de commentateurs que je suis spécialement, Riccardo Cascioli et Roberto de Mattei.

Riccardo Cascioli

LE PAPE PLACE L'ORDRE DE MALTE SOUS CONTRÔLE, À PRÉSENT ON ATTEND LA PUNITION POUR LE CARDINAL BURKE
Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
26/01/2017

* * *

L'intervention très dure et inhabituelle de François, qui a contraint à la démission le Grand Maître Robert Matthew Festing pour ensuite annoncer une sorte de mise sous séquestre de l'Ordre Souverain Militaire de Malte, semble être seulement le début d'un tremblement de terre à la fois dans l'Eglise et dans le domaine des relations internationales.

En jeu, il y a beaucoup de questions importantes: avant tout la correspondance des activités caritatives avec la doctrine sociale de l'Eglise et l'autonomie d'un organisme souverain, mais il semble désormais clair que l'exaspération des tons a comme objectif la tête du cardinal Raymond L. Burke, qui est le cardinal de patron de l'Ordre de Malte, une figure mi-aumônier mi-diplomate du Vatican pour l'Ordre. Burke, parmi les cardinaux qui manifestent le plus de perplexité envers certains choix et décisions de François, et l'un des quatre signataires de Dubia sur "Amoris Laetitia", est depuis longtemps dans le collimateur, au point que sa nomination comme patron de l'Ordre de Malte en Novembre 2014 avait été une rétrogradation par rapport au poste de préfet du Tribunal de la Signature apostolique qu'il occupait alors.

Comme on le sait, la crise a commencé quand en Novembre dernier, le Grand Maître Festing destitua le chancelier Albrecht Freiherr von Boeselager, coupable d'avoir encouragé la distribution de contraceptifs en Afrique et en Asie dans le cadre des programmes de développement financés par l'Ordre. Boeselager nie les accusations, il n'accepte pas le licenciement et appelle à l'intervention du Saint-Siège, qui de fait nomme une commission, dirigée par l'archevêque Silvano Tomasi, chargée de déterminer la façon dont les événements se sont déroulés. Au nom de l'ordre de Malte, Festing déclare la volonté de ne pas collaborer avec la commission du Vatican, considérée comme une ingérence indue dans les affaires intérieures d'un organe souverain. Prompte réponse du Secrétariat d'Etat qui revendique la légitimité de l'enquête, qui est seulement informative, mais le bras de fer continue jusqu'au tournant sans précédent du 24 Janvier.

En fin d'après midi, François a convoqué Festing et lui a demandé sa démission immédiate, l'obligeant à écrire une lettre à cet effet en sa présence. Nous ne connaissons évidemment pas tout le contenu de l'entretien, mais la pression morale a dû être très forte si Festing a accepté de revenir sur le communiqué d'il y a quelques jours, dans lequel il revendiquait avec fierté la souveraineté de l'Ordre. Et il y a même des rumeurs selon lesquelles dans la lettre de démission, il pourrait y avoir des références au rôle actif que le cardinal Burke aurait eu dans le licenciement de Boeselager.

En fait, depuis que l'affaire a éclaté, dans les milieux proches de François on insiste beaucoup sur la responsabilité présumée de Burke, qui aurait vanté un soutien inexistant du pape à la décision de torpiller le Grand Chancelier. Il est intéressant de ce point de vue de noter l'insistance sur ce poinr de Vatican Insider, dont le travail de "sniper" - comme on le sait - est implacable. En vain, Burke nie la circonstance et le fait qu'en tant que cardinal patron, il n'a pas son mot à dire dans les décisions qui sont le résultat de procédures internes de l'Ordre. Les accusations portées contre lui connaissent un crescendo, mais il est clair que derrière le conflitdans l'Ordre il y a des divisions qui traînent depuis des années entre les différentes "cordées" nationales, récemment enrichies par un contentieux autour d'un legs de 120 millions d'euros déposés dans un trust en Suisse (1)

En tout cas, hier, 25 Janvier, le Bureau de presse du Saint-Siège - avec un humour involontaire - a annoncé l'acceptation de la démission du Grand Maître Festing. Il a également annoncé la nomination prochaine d'un délégué pontifical appelé à gouverner l'Ordre (confié dans l'intervalle au Grand Commandeur). En d'autres termes , l'Ordre de Malte est considéré comme «contrôlé» (commissariato) par le Saint-Siège.

Il s'agit d'une décision sans précédent qui a provoqué une grande confusion et ne manquera pas d'avoir des répercussions internationales: l'Ordre de Malte est en effet un Etat souverain, un Etat sans territoire, qui a aussi accrédité un ambassadeur auprès du Saint-Siège. Comme l'a noté l'hebdomadaire britannique The Catholic Herald la décision du pape équivaut à une annexion pure et simple, une violation flagrante du droit international qui, en fin de compte, menace même l'indépendance du Saint-Siège. Avec un précédent de ce genre, comment pourrait-on en effet légitimement défendre le Saint-Siège, si par exemple, un jour «le gouvernement italien choisissait de voir l'indépendance de la Cité du Vatican comme une formalité anachronique»?

Pendant ce temps, dans le présent, la décision risque de détruire l'activité millénaire de l'Ordre de Malte, présent dans le monde entier avec des «œuvres de miséricorde envers les malades, les pauvres et les personnes privées de patrie», comme il est dit dans la Constitution. La présence de l'Ordre de Malte dans plus de cent pays est garantie par la représentation diplomatique, qui pourrait désormais être mise en discussion pour cette perte de souveraineté.

Ce serait un dramatique "autogoal" (but contre son camp, ndt) de la part de l'Eglise, et ce serait incompréhensible s'il se confirmait ensuite qu'un objectif est la tête du cardinal Burke. L'insistance avec laquelle il a été accusé de s'être servi de l'appui du pape pour torpiller un personnage indésirable - en ignorant par ailleurs ses dénégations - laisse présager la volonté d'une lourde peine (pour un cardinal, c'est parmi les pires accusations). A plus forte raison si la «confession» imposée au Grand Maître Festing était confirmée. On pourrait même penser qu'on veut profiter de cette occasion pour arriver à cette punition - invoquée par certains prélats après la publication de Dubia - pour les cardinaux qui les avaient signés: c'est-à-dire la révocation de la pourpre.

Quoi qu'il en soit, l'impression est que nous n'en sommes qu'au début.

Roberto de Mattei

LE PAPE ET L'ORDRE DE MALTE: UNE VICTOIRE À LA PYRRHUS?

Corrispondenza Romana
Ma traduction

* * *

La démission du Grand Maître de l'Ordre de Malte Matthew Festing, imposée le 23 janvier par François, risque d'être pour ce dernier une victoire à la Pyrrhus. Le Pape Bergoglio a en effet obtenu ce qu'il voulait, mais il a dû recourir à la force, faisant violence à la fois au droit et au bon sens. Et c'est destiné à avoir de lourdes conséquences non seulement au sein de l'Ordre de Malte, mais parmi les catholiques du monde entier, de plus en plus perplexe et déconcerté par la façon dont François gouverne l'Eglise.

Le pape savait qu'il n'avait aucun titre juridique pour intervenir dans les affaires intérieures d'un ordre souverain, et encors moins pour exiger la démission de son Grand Maître. Il savait aussi que le même Grand Maître ne pouvait pas résister à la pression morale d'une demande de démission, même illégitime.

En agissant ainsi, le pape Bergoglio a exercé un acte d'empire ouvertement contraire à l'esprit de dialogue qui a été le leitmotiv de l'année de miséricorde. Mais, ce qui est plus grave, l'intervention est advenue pour «punir» le courant qui dans l'Ordre est plus fidèle au Magistère immuable de l'Eglise et soutenir au contraire l'aile laïque, qui voudrait transformer les Chevaliers de Malte en une ONG humanitaire, distributrice «pour le bien», de préservatifs et de produits abortifs. La prochaine victime désignée apparaît être le Cardinal patron Raymond Leo Burke, qui a la double faute d'avoir défendu l'orthodoxie catholique au sein de l'Ordre et d'être l'un des quatre cardinaux qui ont critiqué les erreurs théologiques et morales de l'Exhortation bergoglienne Amoris laetitia .

Lors de sa rencontre avec le Grand Maître, François lui a annoncé son intention de «réformer» l'Ordre, c'est-à-dire la volonté de dénaturer son caractère religieux, même si c'est précisément au nom de l'autorité papale, qu'il veut commencer son émancipation des normes religieuses et morales. Il s'agit d'un projet de destruction de l'Ordre, qui naturellement ne pourra se produire que grâce à la reddition des Chevaliers, lesquels semblent malheureusement avoir perdu l'esprit militant qui les distingua sur les champs des croisades et dans les eaux de Rhodes, Chypre et Lépante. Mais ce faisant, le pape Bergoglio a perdu beaucoup de sa crédibilité, aux yeux non seulement des Chevaliers, mais d'un nombre croissant de fidèles, qui relèvent la contradiction entre sa façon de parler, engageante et mielleuse, et d'agir, intolérante et menaçante.

NDT

(1) Dans son dernier billet sur l'affaire, hier, Edward Pentin donnait quelques précisions:

La question apparente derrière l'appel à la démission de Boeselager était qu'il avait été jugé responsable, à la suite d'une commission d'enquête, d'avoir permis la distribution de contraceptifs par la branche humanitaire de l'Ordre. Mais l'Ordre a également dit qu'il y avait eu d'autres facteurs «confidentiels» en jeu, ainsi qu'un «défaut de confiance».
Boeselager a protesté contre ces accusations, et a protesté contre la manière de sa démission. Il a fait appel au pape qui a nommé une commission de cinq membres pour examiner les circonstances inhabituelles de son limogeage. Fra 'Festing a refusé de coopérer, affirmant que la commission interférait dans la souveraineté et le droit de l'Ordre à régir ses affaires internes.
Derrière le différend, il y avait aussi des allégations d'une ambitieuse association allemande en lice pour le contrôle de l'Ordre, des accusations que le Grand Maître était trop autoritaire, et des conflits d'intérêts parmi les membres de la commission du Saint-Siège.
Trois membres de la commission ainsi que Boeselager ont également été impliqués dans un don de 118 millions $ détenu dans un trust en Suisse. En dépit de documents prouvant le contraire, le trust a nié tout lien avec l'Ordre.