Le Pape-savant sur une "courbe d'apprentissage"

Catherine m'a signalé cet article de John Allen qu'elle voit comme une suite à "Who will say no to Benedict".
C'est en réalité le troisième épisode d'une série, il faut croire que le sujet lui tient particulièrement à coeur. (*)
J'avais déjà dit que je n'aimais pas trop ce commentaire-là, même si j'ai fini par être convaincue que son seul but était de défendre Benoît XVI, et peut-être de lui donner indirectement ce qu'on pourrait appeler un "conseil d'ami". Pourquoi pas?
Cette fois, analysant l'homélie de Mariazell, il y décèle la leçon de l'expérience , qui a permis au Saint-Père de désamorcer les polémiques avant qu'elles ne prennent corps. Façon de rendre hommage à sa bonne volonté évidente, et à sa capacité d'adaptation.

Article original en anglais sur le site de NCR: In Austria, the scholar-pope's on a learning curve
Ma traduction
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JOUR DEUX : En Autriche, le pape-savant est sur une "courbe d'apprentissage"
Le 8 septembre 2007
Mariazell, Autriche
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Même pour quelqu'un d'aussi érudit que Joseph Ratzinger, l'installation dans ce que l'on peut considérer comme le "job" le plus singulier qui soit au monde - celui de pape - implique une certaine "courbe d'apprentissage" (**). Jusqu'ici, sa performance en Autriche suggère qu'après quelques rudes expériences, il a résolu le problème.

Juusqu'à présent, à deux reprises durant son pontificat la difficulté de Benoît XVI à faire une distinction entre l'essence interne du christianisme et son expression historique a causé une certaine "peine de coeur" (heartache).

Le premier épisode est venu à l'université de Ratisbonne en Bavière en septembre 2006, quand le pape a parlé de la raison et de la foi, semblant impliquer que le christianisme rejette nécessairement la violence et la coercition alors que l'Islam les excuse.
Alors que beaucoup d'observateurs étaient favorables à la critique implicite par Benoît du radicalisme de l'Islam, les critiques ont insisté sur le fait que le christianisme n'a pas toujours rejeté l'épée lui non plus, pointant les chapitres bien connus de son histoire tels que les croisades et l'Inquisition.

La deuxième illustration est venue au Brésil, en mai dernier, quand Benoît a encore une fois suscité la colère en proclamant que le christianisme n'avait pas été imposé aux indigènes du nouveau monde. Pour ceux qui connaissent l'histoire mouvementée des relations étroites entre l'évangélisation et le colonialisme, cela a semblé une affirmation scandaleuse.

Dans les deux exemples, ceux qui connaissent la pensée du pape ont compris ce qu'il a voulu dire -que le christianisme en tant que système de croyance rejette la violence et répond aux désirs de toutes les cultures, même si les différents chrétiens ne se sont pas toujours comportés de manière conforme à ces convictions. Pourtant, parce que la plupart des gens dans le monde ne connaissent pas la pensée du pape, à chaque fois, Benoît a été contraint de limiter les dégâts...

Dans les deux cas, la plupart des commentaires après l'évènement suggèrent qu'une simple expression reconnaissant le souvenir historique mitigé, [..] pourrait avoir évité une grande partie de la polémique.

En Autriche, le pape a choisi de désamorcer la bombe avant qu'elle ne soit allée trop loin.

Dans son homélie, ce matin, lors de la messe en plein air de Mariazell, le sanctuaire marial le plus populaire en Autriche, le pape a développé un de ses arguments caractéristiques - que la vérité n'engendre pas l'intolérance, mais est plutôt une saine capacité à distinguer le bien du mal. La vérité est finalement censée rendre les êtres humains libres, et non pas les enchaîner.

Telle quelle, cette proclamation aurait pu être interprétée elle aussi comme un démenti aux chapitres douloureux de l'histoire de l'église, où la brutalité et la force ont été justifiées au nom de la vérité. Cette fois, cependant, le pape a apporté lui-même la nuance nécessaire, plutôt que de permettre à des porte-parole et à des "spin doctors" de le faire après coup.

« Pourtant, de l'aveu général, à la lumière de notre histoire, nous avons peur que la foi dans la vérité n'entraîne l'intolérance, » a-t'il dit. Le pape a explicitement reconnu que cette crainte est « historiquement bien fondée. »

Benoît a alors poursuivi son argumentation en disant que l'authentique foi chrétienne soutient que la vérité ne peut pas être imposée par la force, mais par la puissance intérieure de son attrait sur la conscience humaine.

Avec ces deux expressions simples, le pape a effectivement reconnu le fossé entre les principes du christianisme et le comportement concret de ceux qui se prétendent motivés par cette croyance. Et il a désarmé les critiques qui sinon pourraient l'avoir accusé de cécité historique.

Sans doute était-il inévitable que Benoît ressente ce degré supplémentaire de sensibilité en Autriche, où les abus d'autorité et la corruption des grands idéaux n'est pas un objet fabriqué d'un passé lointain, mais une partie de l'expérience récente de l'église. En 1995 et encore en 2004, deux prélats qui étaient parmi les plus enclins à une défense agressive de la vérité chrétienne ont été forcés de démissionner - l'un après des accusations d'abus sexuel, l'autre pour avoir permis des comportements sexuels indécents dans son séminaire diocésain.

Quelle qu'en soit la cause, la présentation plus nuancée de Benoît en Autriche suggère que la réaction publique négative à ses précédents discours a été pour lui une leçon d'importance -mieux vaut insérer les corrections tout de suite, plutôt que d'attendre la "peine de coeur" (heartache) qui ne manquera pas de suivre sinon.

(*)

Lire ces deux articles:
- Qui dira non à Benoit?

- La communication du Pape

(**)

A propos des "courbes d'apprentissage"
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Décidément, on s'instruit, en traduisant John Allen.
J'ignorais ce qu'était une "courbe d'apprentissage", j'ai fait une recherche dans Wikipedia qui m'a appris que l'expression appartient au jargon économique:
"Une règle informelle - qui vaut ce qu'elle vaut - dit que lorsqu'on double son expérience industrielle, on arrive à réduire ses coûts de 30 %.
.......
La plupart des contrats négociés aujourd'hui comportent donc des clauses de variation de prix tenant compte de la courbe d'apprentissage du sous-traitant, qui va sous-traiter de mieux en mieux en inventant de nouveaux procédés, en s'équipant de machines nouvelles...
"

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