Réflexions d'un cardinal américain

Le cardinal archevêque de Chicago, Mgr George, répond aux questions de John Allen: relativisme, motu proprio, relations avec les juifs, les politiciens catholiques, tout y passe.

Texte original en anglais sur le site de NCR: Cardinal George's thoughts on the American church

Ma traduction (partielle)

Réflexions du Card. George sur l'église américaine

John Allen vient tout juste de rencontrer à Chicago le Cardinal Francis George; l'archevêque de ce qui est "un des plus grands et les plus riches diocèses au monde" depuis dix ans, est en passe de devenir très prochainement président de la Conférence épiscopale américaine. C'est aussi, selon lui, un des penseurs les plus profonds parmi les cardinaux américains. Sa récente bataille contre le cancer, et sa guérison, lui ont acquis une admiration universelle.

John Allen a dressé une liste des "moments forts" de son interview. Ils sont d'un intérêt inégal pour nous, européens, faute de connaissances suffisante sur l'Eglise américaine. Mais certains parmi eux ont une valeur qui dépasse évidemment les frontières.
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Le Résumé de John Allen

-> Mgr George a qualifié de "sociologiquements naïfs" quelques uns des mouvements de l'Eglise après le Concile Vatican II, comme par exemple le fait de réduire le jeûne et les jours fériés, en ce sens que la perte de ces pratiques a érodé l'identité catholique. Il a développé l'argument que les problèmes de l'identité catholique empoisonnent à la fois la droite et la gauche catholiques, avec une droite qui accepte souvent la foi mais pas les évêques, et la gauche qui trouve les évêques sympathiques [..] mais est dans le doute au sujet de la foi.

-> Mgr George a indiqué qu'il ne prévoit pas une extension de l'utilisation de la "messe en latin" d'avant Vatican II, en dépit de la décision récente du pape Benoît XVI de permettre l'ancienne messe sans autorisation des évêques locaux. La plupart des catholiques, selon lui, ressentent instinctivement que "ce n'est pas pour nous".

-> D'après Mgr George, les évêques américains ont demandé au Vatican une mise au point, pour savoir si le rite d'avant Vatican II peut être employé pendant la semaine sainte, une question rendue aiguë par une prière controversée du Vendredi Saint pour la conversion des juifs.
Si l'ancien rite peut être utilisé durant la semaine sainte, dit Mgr George, une prière plus positive pour les juifs dans la nouvelle liturgie sera "probablement" substituée à l'ancienne - bien que simultanément, selon George, cette discussion pourrait également être une occasion propice pour demander aux juifs de renoncer à des descriptions peu flatteuses de Jésus dans le Talmud.

-> Mgr George a admis avec franchise que les évêques sont partagés sur la question de refuser la communion aux politiciens catholiques favorables à l'avortement, et il ne s'attend pas à une politique nationale uniforme lors des élections de 2008. En ce qui le concerne, George exprime une grande hésitation à instrumentaliser le culte en refusant publiquement la communion afin de faire un éclat politique, même pour servir une bonne cause.


Vatican II, relativisme et identité catholique

NCR : En mars, le cardinal Bertone s'est adressé à l'association d'éthique et de finances de la ville de Milan. A la question "quel est l'objectif principal" du pontificat de Benoît XVI, il a proposé cette formule : "récupérer l'identité chrétienne authentique et expliquer et confirmer l'intelligibilité de la foi dans le contexte du sécularisme répandu." Pourquoi ce souci de l'identité ?

Cardinal George : Je pense qu'il y a deux aspects à cette question. L'un est ce que Jean-Paul II a souvent dit, qu'il y des cultures entières qui ont été façonnées par la foi mais qui ne le sont plus. La culture qui concerne le plus le Saint-Père actuel, Benoît XVI, est celle de l'Europe de l'ouest et de ses colonies culturelles, comme notre propre pays. Dans cette culture particulière, l'individualisme a tellement pénétré que la perte de l'identité collective est effrénée. Chacun se sent non seulement libre mais obligé de déterminer sa propre identité religieuse, ainsi nous avons une pléthore de vues sur ce que signifie être catholique aussi bien que sur ce que signifie être humain et sur ce que signifie être n'importe quoi d'autre. Il est difficile de réunir ce tout, parce que la culture ne stimule aucune sorte d'identité collective... En fonction de votre appartenance à la gauche ou à la droite, ainsi que nous définissons ces termes dans la culture d'aujourd'hui, vous avez des problèmes avec un élément d'identité catholique ou un autre. La droite dirait 'j'accepte toute la foi, mais je ne peux pas supporter l'évêque', tandis que de l'autre côté, la gauche dirait, 'la foi est dingue, mais mon évêque est un brave type.'
Au sujet de l'identité religieuse, les sociologues Rodney Stark et William Bainbridge parlent de la distinction entre religion "de haute tension" et de "basse tension", arguant du fait qu'au cours du temps, les groupe de basse tension tendent à se dissoudre dans le sécularisme. C'est exact. Dans les années 60, il était très important de montrer qu'on pouvait être américain et catholique. Des magazines entiers y étaient consacrés. Il y a eu un soupir collectif de soulagement lors du Concile Vatican II, avec la liberté humaine qui se trouvait tellement en tête des préoccupations conciliares, que la tension avait disparu. Je pense que les mouvements de l'église durant cette période semblent aujourd'hui sociologiquement naïfs, dans leurs conséquences à long terme.

A quoi pensez-vous?

Le catholicisme en tant que mode de vie particulier a été défini par des habitudes de nourriture et de jeûne, et par des jours mis à part, qui ne faisaient pas partie du calendrier séculier. Ils étaient là pour nous rappeler que l'église est notre médiateur dans notre rapport avec Dieu, et peut intervenir dans l'horarium [ calendrier ] que nous utilisons, dans les nourritures que nous mangeons, dans tous les aspects de vie quotidienne, dans la vie sexuelle. Une fois que vous dites que toutes ces choses peuvent être faites individuellement, comme quand vous choisissez de faire pénitence, par exemple, vous réduisez la présence collective de l'église dans la conscience de chacun. À ce point, l'église comme médiateur devient davantage une idée, pour la plupart des gens. Même s'ils l'acceptent, ce n'est plus une pratique. Et alors quand l'Eglise revient et dit 'vous devez faire ceci', alors larésistance est là pour dire, 'comment pouvez vous me dire cela ? Je décide de ma vie pour moi, c'est vous-même qui m'avez dit que je pouvais le faire!'

Alors, quelle est la réponse ? Reconstruire une culture secondaire ?

Je suppose que oui; non pas cependant d'une manière qui est le divorce avec la culture que nous avons maintenant, qui est à nous - que sommes-nous d'autre? ... Les laïcs doivent consacrer le monde de l'intérieur, comme leur monde, pour ne pas être séparé de lui. S'il y a une culture secondaire, elle devrait être développée de façon naturelle en relation avec la crise d'aujourd'hui. Je pense qu'on ne peut pas retourner en arrière et imaginer que nous sommes au 19ème siècle, choisissant ses solutions, aussi bonnes qu'elles aient été alors, pour être les nôtres aujourd'hui.


Motu Poprio, pratique du latin

Le récent motu proprio du Saint-Père, élargissant la permission de célébrer la messe en latin d'avant Vatican II est un centre des préoccupations sur l'identité. Prévoyez-vous une utilisation répandue de l'ancienne messe ?

Dès lors que la moitié des prêtres est incapable de manier le latin, je ne vois pas de foules énormes. Parmi les autres qui pourraient le manier, il y en a qui ont pris la décision après le Concile de ne plus employer le latin. Pour eux, c'est une question de principe. Par conséquent, 'répandu ' ne va pas se produire, je ne le pense pas, au moins pendant les années à venir... Je n'ai pas constaté une large demande pour elle. Personne ne m'a écrit de lettres disant 'Enfin, nous pouvons le faire.'

Avant la sortie du motu proprio, j'ai écrit un papier pour le New York Times, où je disais qu'il s'agissait d'un de ces documents classiques du Vatican qui, en raison de son importance symbolique, génère de beaucoup de discussion, mais ne change pratiquement rien sur le terrain. Est-ce que cela vous semble exact ?

Nous verrons, mais cela a eu du sens pour moi quand je l'ai lu, et cela a encore du sens pour moi maintenant. Symboliquement, c'est important, essentiellement parce que le pape veut insister sur le fait qu'il n'y avait aucune rupture [ entre les périodes pre et post-Vatican II ], et qu'il ne devrait pas être considéré comme une rupture. L'ancienne messe est là à présent, extraordinaire mais néanmoins actuelle, comme une sorte de 'galerie' pour entraîner les gens à célébrer l'Eucharistie avec davantage de révérence. Elle est là, et c'est utile. D'autre part, la plupart des catholiques pratiquants que je connais, y compris ceux dae ma propre famille, qui ont toujours été assidus à la messe et qui n'ont rien contre le rite Tridentine, s'en souviennent et l'apprécient, mais ils disent, 'nous sommes dans un autre monde maintenant.'


Relations avec les juifs

Une question relative à l'ancien Missel est la liturgie du Vendredi Saint, en particulier la prière pour la conversion des juifs. Où pensez-vous que nous en sommes sur ce point?

Tout d'abord, nous devons clarifier quelque chose, parce qu'il y a deux avis et nous avons demandé au Saint-Siège de mettre ceci au clair. Pendant le Triduum [ la fin de la semaine sainte ] on ne peut pas avoir une messe privée. Ainsi la première réaction est "Bien, cela veut dire qu'on ne peut pas employer l'ancien Missel pendant le Triduum, cela règle le problème". D'autres insistent, et disent que non, si vous avez une paroisse qui est uniquement Tridentine, alors elle aura également les cérémonies de la semaine sainte avec ce Missel. Je ne suis pas sûr que c'est autorisé, et c'est ce que nous demandons.

Si cela se produit, votre préférence serait-elle d'utiliser la langue du nouveau Missel pour cette prière du vendredi Saint, même lorsque les gens célèbrent selon le rite Tridentin?


Si vous célébrez selon le Missel de 1962, cela implique de changer le texte de la prière.

Cela peut-il être fait?

Naturellement cela peut se faire, et je soupçonne qu'il en sera probablement ainsi, parce que l'intention est d'être certains que nos prières ne sont pas blessantes pour les personnes juives qui sont nos ancêtres dans la foi. Nous ne pouvons quand même pas les insulter dans notre liturgie... Il n'est pas question que chaque communauté ait un droit de veto sur les prières des gens, parce que vous pouvez parcourir les textes juifs et trouver du 'matériel' qui est blessant pour nous. Mais si nous voulons maintenir un dialogue fort, et nous devons le faire, nous devrions être très prudents au sujet de toute prière qu'ils trouveraient insultante. 'Ils, 'cependant, est un grand mot. Ce que mon ami juif rabbin... trouve insultant est différent de ce que Abraham Foxman [directeur national de la ligue d'Anti-Diffamation] trouve insultant. En outre, cela fonctionne dans les deux sens. Peut-être s'agit-il d'une ouverture pour dire, "vous devriez vous inquiéter de quelques descriptions de Jésus dans la littérature Talmudique , le traitant de bâtard, et ainsi de suite, et peut-être pourriez-vous y apporter quelques changements?

Les catholiques dans la vie publique:

....pas d'instrumentalisation
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Une autre arène dans laquelle ces tensions d'identité s'extériorisent est la question des catholiques dans la vie publique. Allons-nous voir en 2008 un remake des tensions qui ont entouré la question de la communion pour les politiciens catholiques 'pro-choix' en 2004 ?

Cela dépend de ce que les médias vont mettre en avant. Les évêques sont partagés dans l'approche de cette question... Il y en a qui disent que c'est une question de théologie morale relative à la conscience de l'individu.

Voulant dire que c'est leur affaire de prendre la décision appropriée ?

Oui.. que c'est notre affaire de les informer, c'est leur affaire de prendre la décision. D'autres disent que ce n'est pas entièrement le cas, parce qu'il y a également scandale public, et donc la loi publique de l'église intervient. Il y a un canon qui dit que le ministre de la communion, pas l'évêque, doit déterminer si c'est un cas de scandale public, auquel cas quelqu'un doit se voir refuser la communion. Mais il s'agit du ministre qui donne la communion sur place. L'évêque peut soit encourager, soit décourager cette pratique, mais dans le canon lui-même c'est avant tout le ministre donnant la communion à ce moment qui prend sa décision ... le célébrant, ou le ministre extraordinaire de l'eucharistie, ou le diacre, ou celui qui donne la communion.

Pour prendre le cas du catholique très probablement en passe de devenir le candidat d'un important parti, si Rudy Giuliani est le candidat républicain et assiste à la messe dans l'archidiocèse de Chicago, lui donneriez-vous la communion ?

Je ne pense pas qu'il soit marié à l'église, de sorte que c'est un cas facile. Nous n'en viendrons même pas à la question de sa position sur l'avortement.

Conviendriez-vous que les deux débats, à la fois sur la liturgie et sur les catholiques dans la vie publique s'enracinent dans un élan vers une plus grande clarté sur ce qui rend le catholicisme différent - en d'autres termes, l'identité catholique ?

Oui. Il est scandaleux qu'après tant d'années d'enseignement constant de l'église, il y ait autant de politiciens catholiques pour qui c'est un non-problème... La question est la suivante utilisez-vous un moment sacramentel pour envoyer votre message, et risquer ainsi de politiser le sacrement? C'est mon plus grand souci. Le sacrement lui-même, qui parle de notre unité devient une occasion de vacarme et de division. Je pense que nous devrions réfléchir longuement avant de permettre à l'eucharistie de devenir cela... Le problème est d'instrumentaliser l'eucharistie et l'église, même pour une bonne cause. Le culte ne devrait jamais être manoeuvré par qui que ce soit. Le culte est le culte, même pour une bonne cause. Je ressens cela très fort.

Démission de Mgr Marini
Relations avec les musulmans