Benoit XVI évoque le cardinal Scheffczyk


Benoît XVI revient sur les années d'après-concile: "j'étais presque trop timide en regard de ce que j'aurais du faire afin d'aller directement au but...".

Retour sur une interview du Saint-Père réalisée en novembre 2006, et publiée dans Il Corriere della Sera du 20 octobre dernier.
Elle a déjà été évoquée ici (Une interview du Pape en 2006 sur le Concile ), à la suite d'un article d'Andrea Tornielli, sur son blog , et Catherine s'est chargé de traduire en français la traduction de John Allen!

Article original en anglais sur le site de NCR:
Extract from interview with Benedict XVI on Cardinal Leo Scheffczyk

Extrait d’un entretien avec le pape Benoit XVI sur le cardinal Leo Scheffczyk. 20 octobre 2007

Cet extrait d'un entretien avec le pape Benoit XVI qui a eu lieu en novembre dernier fait partie d'un nouveau livre sur l’œuvre du défunt cardinal Leo Scheffczyk, un Polonais qui a travaillé principalement en Allemagne, et qui était un ami personnel de Joseph Ratzinger. Scheffczyk est mort en décembre 2005. Cet extrait a été publié le 20 octobre dans le ‘Corriere della Sera’, le plus grand quotidien italien. […]. L’entretien avec Benoit XVI a été conduit par Johannes Nebel, membre d'un nouvel ordre religieux appelé "la famille spirituelle ‘L’œuvre’" à laquelle Scheffczyk était particulièrement lié.

Saint Père, gardez-vous un souvenir de Leo Scheffczyk pendant la période du séminaire à Freising ? Certainement. Je suis arrivé au séminaire de Freising le 3 janvier 1946, et Leo Scheffczyk était là également en tant que réfugié de guerre. Je peux encore le voir, très clairement, se tenant devant moi comme un homme de silence, et si je peux dire, un homme d’une grande sensibilité. Naturellement, il y avait un grand écart dans nos études ; tandis que nous les commencions, il finissait ses études théologiques - en fait, il avait déjà fait la majeure partie de ses études théologiques à Breslau - et donc les contacts personnels entre nous n'étaient pas nombreux. Malgré sa réserve – je devrais peut-être dire, sa timidité - et sa grande humilité, il était connu de nous tous. En décembre 1946, lui et ses camarades ont été consacrés diacres, et comme diacres, ils ont eu à prêcher dans la cathédrale. De cette manière, par l'écoute, tout le cours auquel cette année était consacré est rentré, pour ainsi dire, dans nos oreilles et dans nos cœurs.

Vous avez rencontré Scheffczyk à plusieurs reprises dans votre activité professorale, en tant qu'archevêque de Munich-Freising et comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Quels souvenirs avez-vous de ces rencontres ?
Après son ordination sacerdotale, qui a eu lieu en 1947, Leo Scheffczyk est devenu aumônier de Grafing et Traunwalchen, qui est très proche de l’endroit où je suis né ; mais en ce temps-là, nous voyagions très peu. J'ai seulement su qu'il était affecté dans cette région, sans le rencontrer vraiment. Assez vite il a été rappelé afin de pouvoir étudier, et passer son doctorat sous les conseils de son professeur de Breslau, Franz Xaver Seppelt, dont j'ai également eu l'occasion de suivre les cours sur l'histoire de l’Eglise. Ensuite, il est passé à la théologie dogmatique ; Peu de temps après, nous avons appris qu'il enseignait cette discipline à Königstein.

Puis nous sommes tous les deux devenus professeurs – je pense à peu près en même temps – lui à Tübingen, et moi à Bonn - de sorte que nous avons commencé à suivre les publications l’un de l’autre. À ce moment-là, il publiait des essais sur le moyen-âge que j'ai lus, en particulier une de ses publications consacrée à Johannes Scotus Erigena. Déjà dans cet essai, j'ai noté son extraordinaire culture. J'ai également trouvé particulièrement significative une de ses publications importantes, une brochure sur la création qu'il avait éditée en tant qu'élément d'un manuel sur l'histoire du dogme, dans laquelle son érudition à la fois dans l'histoire du dogme et en théologie était évidente. Assez vite, j'ai commencé à me rendre compte de sa capacité à prendre position sur des questions de notre temps : En partant du thème de la création, par exemple, il s'est engagé dans une discussion sur les thèses de Teilhard de Chardin. Sa théologie était toujours imprégnée par une grande richesse de compréhension et de spiritualité.Concrètement, nous nous sommes rencontrés de nouveau quand, après le concile, la Commission Doctrinale de la Conférence Episcopale Allemande a été instituée, où nous participions tous les deux en tant que théologiens. À ce moment-là, la situation était extrêmement confuse et agitée, et la position doctrinale de l'église n'était pas toujours claire. En fait, des thèses circulaient qui semblaient soudainement devenues possibles, quoiqu'en réalité elles ne fussent pas conformes au dogme. Dans ce contexte, les discussions au sein de la commission doctrinale étaient pleines de positions fortes, et extrêmement difficiles. C’est à ce moment là que j’ai pu me rendre compte comment Leo Scheffczyk, cet homme de silence, plutôt timide, était toujours le premier à prendre une position très claire.Moi-même, dans ce contexte, j’étais presque trop timide en regard de ce que j’aurais du faire afin d’aller directement au but. Lui, au contraire, disait toujours immédiatement et avec la plus grande clarté, et en même temps, avec une parfaite justification théologique, ce qui allait et ce qui n’allait pas. Leo Scheffczyk était, en ce sens, le véritable ‘briseur de glace’ au cours de ces discussions. Si avant cela nous nous étions connus à distance, à partir de ce moment là, nous sommes devenus plus proches. Nous nous sommes rendus compte que nous combattions ensemble pour la vitalité de la foi dans notre époque, pour son expression et son intelligibilité, dans la fidélité, finalement, à son identité la plus profonde.
Pour toutes ces raisons, notre travail commun à la Commission Doctrinale de la Conférence Episcopale Allemande est le souvenir personnel le plus fort que j'ai de Léo Scheffczyk, un souvenir qui, en même temps, est vraiment plein de gratitude pour la profondeur de sa pensée, pour sa culture, aussi bien que pour son courage et sa clarté.
Plus tard, nous avons tous les deux été invités en 1975 avec un groupe assez nombreux de l'académie catholique de Munich à faire un pèlerinage en terre sainte. De cette façon, nous nous sommes retrouvés ensemble à nouveau. À cette occasion, évidemment, il ne s’agissait pas de prendre part à des débats théologiques ; mais plutôt, chacun de nous était invité à faire une homélie. Quand nous étions en autobus, Leo Scheffczyk et moi nous sommes souvent assis ensemble, et cela nous a donné la chance, en quelque sorte, de confirmer et d’approfondir notre fraternité théologique, si je peux m’exprimer ainsi. Quand j'étais archevêque de Munich-Freising, Leo Scheffczyk était pour moi une garantie que - tenant la chaire de dogmatique à Munich - on enseignerait correctement la discipline dans mon diocèse.
De temps en temps, nous nous rencontrions lors de réunions rassemblant la faculté théologique au complet ; mais à ces occasions, bien sûr, nous n’avions pas le temps pour des entretiens approfondis.
Je dois ajouter que Leo Scheffczyk était le pilier de l’association religieuse de Linz, la pierre angulaire sur laquelle s’appuyer, dans une situation théologique particulièrement confuse. [Note : l’association des prêtres de Linz, ou Linzer Priestkreis, est considérée comme le principal forum de la pensée catholique traditionnelle. Elle organise tous les ans une académie d’été dans la petite ville autrichienne de Aigen.] Il participait chaque année à l’académie théologique d’été, et enrichissait les rencontres par ses présentations. En ce sens, Léo Scheffczyk a fait beaucoup pour l’Autriche.
Pendant mon activité de préfet à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, nous avons souvent demandé à Scheffczyk d’élaborer un votum. (Note : le terme se rapporte à un jugement théologique formel). Nous nous sommes rendu compte que, à partir du moment où nous lui demandions quelque chose, il le faisait non seulement efficacement, mais aussi très bien. C’était le fruit d’un chemin commun que nous avions pris depuis de nombreuses années, et ainsi Léo Scheffczyk a été d’une grande aide pour moi.
Un jour, le saint père m’a demandé s’il y avait en Allemagne un théologien de plus de 80 ans, et qui mériterait d’être fait cardinal. J’avais déjà parlé plusieurs fois au pape Jean-Paul II de Léo Scheffczyk ; et le pape le connaissait aussi personnellement. En fait, c’est Jean-Paul II qui m’a dit que le nom Scheffczyk est un nom polonais qui signifie ‘petit tailleur’. Nous savons tous comment il est bon que Scheffczyk ait été créé cardinal. Au cours de cette période, nous avons été amenés à nous rencontrer de nouveau.

Quelle est la signification de l’élévation de Léo Scheffczyk au rang de cardinal ?
Je pense que la signification est de rendre sa théologie plus accessible au grand public, puisqu’elle est reconnue par l’Eglise, le pape et le magistère comme véritablement catholique et inscrite dans notre temps. En fait, les livres écrits par Scheffczyk avait déjà rencontré un public, mais dans un cercle relativement restreint. C’est seulement quand il est devenu cardinal que sa théologie a été vraiment diffusée en Allemagne au niveau de toute l’Eglise, et qu’il a pu prendre place dans les grands débats avec tout le poids du à un membre du sacré collège. Dans ce sens, le Cardinal Scheffczyk a toujours assuré son rôle public avec beaucoup de force, rendant sa culture et sa profondeur spirituelle véritablement fécondes, et avec une clarté de jugement qui venait de sa foi. Il était très important que Scheffczyk devienne une figure publique de l’Eglise, parce que ce faisant, il pouvait prendre part, avec une influence notable, à toutes les grandes discussions du temps présent, et ne pouvait pas être ignoré ou être mis de côté comme simplement un professeur parmi d’autres.

Johannes Nebel 19 octobre 2007

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