Impossible dialogue théologique avec l'Islam

L'actuel général des jésuites, qui doit céder sa place au début de l'année prochaine, s'exprime dans une revue spécialisée italienne.
Ce qu'il dit sur l'Islam est digne d'intérêt, puisqu'il connaît semble-t'il très bien le sujet, ayant vécu de longues années au Liban
John Allen a traduit de l'italien l'entretien original, pour faire son papier.

Article en entier sur le site de 'National Catholic Reporter':
Theological dialogue with Islam 'impossible,' top Jesuit says
J'ai traduit la partie qui concerne les relations avec l'Islam
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Le dialogue théologique avec l'Islam 'impossible' affirme un haut dirigeant de l'ordre des jésuites

En parlant d'une église ayant plus de 2000 ans d'histoire, on n'a pas très souvent l'occasion d'utiliser le mot "sans précédent". Au début de janvier, cependant, quelque chose va se passer à Rome qui est (presque) une nouveauté: La Société de Jésus, le plus grand et le plus influent ordre religieux au sein de l'église catholique, va élire un successeur à son père général alors que l'occupant actuel de la fonction est encore en vie et en bonne santé.

Lorsque le père néerlandais Peter Hans Kolvenbach, 79 ans , a été élu à ce poste en septembre 1983, il a remplacé un Père général encore en vie, le père Pedro Arrupe. La différence, cependant, est que Arrupe avait subi un accident vasculaire cérébral invalidant en 1981 et n'avait pas été en mesure de continuer à diriger le société; Kolvenbach, au contraire, reste aussi alerte et agile que jamais, et se retirera de façon à permettre à de nouveaux dirigeants de prendre les rênes.

Alors que les "handicappers" (terme du vocabulaire hippique, désignant ceux qui déterminent les handicaps lors des courses de chevaux, ndt) du monde entier spéculent sur celui qui pourrait émerger comme nouveau "pape noir", titre traditionnel du général de l'ordre des jésuites, Kolvenbach a accordé un long entretien à la revue jésuite italienne "Popoli", jetant un regard sur ses 24 années à la tête de l'ordre.

Les observations de Kolvenbach sur l'islam, à la fin de l'interview, sont d'un intérêt particulier. C'est un domaine dans lequel il a des compétences particulières, non seulement parce que, parmi les grands spécialistes de l'Islam dans l'Eglise, beaucoup sont membres de la Société de Jésus, mais parce que Kolvenbach a passé de longues années de sa vie au Liban, où il a servi comme provincial durant la guerre civile de ce pays.
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Question: L'islam réveille chez de nombreux Européens la peur de l'invasion…

Réponse: Tout d'abord, il faut préciser quelque chose: nous parlons avec trop de désinvolture des "musulmans", comme s'ils étaient tous pareils. En réalité, il existe des fanatiques musulmans, et il y a des musulmans convaincus qui, une fois arrivés en Europe, ne ressentent plus le besoin de suivre le Coran parce qu'ils sont loin de la terre d'islam. L'islam n'est pas monolithique: réfléchissez à la différence, par exemple, entre les sunnites, la majorité, et les principaux piliers de l'islam, et les chiites, une minorité (même si aujourd'hui parler des chiites revient à parler de beaucoup de "points chauds", comme l'Iran, l'Iraq et le sud du Liban.) Nous ne pouvons pas non plus oublier que l'Islam a toujours eu ses mystiques, les soufis. Beaucoup dépend également de la nationalité: un musulman au Pakistan - un mot qui signifie "pays des purs" - est très différent d'un musulman en Algérie, qui a vécu pendant si longtemps avec les français.

Cela dit, je peux parler de l'expérience de Beyrouth, qui est ma ville. Les Jésuites y ont choisi d'être un pont entre les musulmans et les chrétiens. La raison en en est en partie géographique: les principales maisons jésuites à Beyrouth sont sur ce qu'on nomme la "Ligne verte", la frontière entre l'aire de majorité chrétienne et le quartier musulman. Notre université est également là, parce que nous avons toujours souhaité la bienvenue à tous. Cela nous coûte beaucoup. Nous avons souvent été la cible de bombardements. Quand j'étais provincial au Liban, pendant la guerre, je ne pouvais pas ouvrir les fenêtres parce qu'il y avait des tireurs d'élite en travers de la rue. Mais le coût n'est pas seulement matériel: certains chrétiens disent que notre approche est erronée, car nous avons formé des avocats musulmans, des ingénieurs musulmane, et ainsi de suite. Certains préféreraient que les musulmans restent dans une sorte de ghetto, y compris ghetto intellectuel, afin de ne pas perdre le contrôle du pays.

Q: Sur le plan strictement religieux et théologique, est-ce que le dialogue avec l'islam est possible?

R: Je crains qu'à un niveau théologique et dogmatique, le dialogue avec l'islam ne soit impossible. Souvent, à Beyrouth, les musulmans me demandaient: "Comment est-il possible qu'une personne éduquée, un professeur, croie en trois dieux?" De toute évidence, ils faisaient référence au dogme chrétien de la Trinité. Voilà un exemple des difficultés de dialogue. Certains de ceux qui sont favorables au dialogue théologique avec les musulmans oublient qu'arrivé à un certain point, il faut choisir. Ils le chantent cinq fois par jour.

Sur le plan personnel, en revanche, il est non seulement possible mais beau d'avoir des amis musulmans. En effet, dans le climat général des changements religieux, en particulier en Europe, il est important que des chrétiens véritablement croyants et des musulmans réellement croyants eux aussi, se rencontrent. Sur de nombreux points qui nous touchent tous, la souffrance, la prière, la mort, le dialogue est possible. Je pense, comme le pape l'a souvent dit, que nous avons à promouvoir un dialogue de la vie, en partie pour résister à la tentation si forte au Moyen-Orient: le ghetto, la séparation.

Par ailleurs, nous avons à faire cause commune pour le bien de l'humanité. De nombreux musulmans aujourd'hui sont sensibles au thème de la paix, et y sont très attachés. Après le 11 septembre, tout le monde a parlé de l'islam en termes de djihad, de guerre sainte, de violence. C'est vrai qu'on peut trouver cela dans le Coran, mais certains passages de l'Ancien Testament ne sont pas non plus si pacifiques… Aujourd'hui, de nombreux musulmans sont fermement attachés à la cause de la paix. C'est une bonne occasion de travailler ensemble, dans l'intérêt de toute la communauté humaine.

Sur ce thème

A signaler, la parution en novembre 2007 d'un livre d'un père Jésuite égyptien, lui aussi spécialiste des relations avec l'Islam, Samir Khalil, intitulé "Les raisons de ne pas craindre l'Islam".
Le titre n'engage que l'auteur, évidemment, mais comme je crois l'avoir déjà dit, sa réaction apaisante au moment de "Ratisbonne" semblent faire de lui - au moins - un homme honnête.
Voir ici (La Procure)

Samir Khalil a lui-même déjà été cité par John Allen (Réactions catholiques à la lettre des musulmans )

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