Vêpres conclusives de l'année Pauline
Une puissante homélie, brassant quantité de thèmes actuels, et invitant chacun de nous au "renouvellement intérieur". Le Saint-Père en personne nous informe que la tombe de Saint Paul contient des restes humains qui seraient les siens.
Et admoneste durement les "catholiques adultes". (29/6/2009)
Je ne sais pas quel retentissement elle aura (très faible, médiatiquement, c’est certain), mais pour moi, c’est une homélie qui fait date.
Plusieurs points attirent particulièrement l’attention (liste évidemment non exhaustive) :
- Le thème du renouvellement intérieur pour chacun de nous qui seul pourra assurer la réforme nécessaire de l’institution ecclésiale. Ce thème a té repris plusieurs fois à l’occasion du lancement de l’année sacerdotale.
- Une critique sévère des catholiques adultes, et une définition de ce qu’est vraiment « une foi adulte ». On peut dire que ce large passage reprend l’homélie de la messe PRO ELIGENDO ROMANO PONTIFICE , où il disait déjà :
"Nous ne devrions pas rester des enfants dans la foi, dans un état de minorité. Et en quoi consiste le fait d'être des enfants dans la foi? Saint Paul répond: "Ainsi nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine" (Ep 4, 14). Une description très actuelle!.... Une foi "adulte" ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans l'amitié avec le Christ. C'est cette amitié qui nous ouvre à tout ce qui est bon et qui nous donne le critère permettant de discerner entre le vrai et le faux, entre imposture et vérité".
- Il déplore le « vide intérieur » de nos contemporains. Ce n'est peut-être ni l'endroit ni le moment pour en parler, mais ce vide intérieur, une terrible illustration nous en est donnée par les réactions à la mort du "roi de la pop", Michael Jackson (qu'il repose en paix).
- Il nous explique très clairement le titre de sa prochaine encyclique : Caritas in Veritate (la charité dans la vérité), dont il y a beaucoup à parier qu’elle reprendra le thème du « renouvellement intérieur », longuement développé ici.
Voici ma traduction, sans doute imparfaite, mais qui m’a permis personnellement de mieux cueillir les richesses du texte.
Homélie de Benoît XVI pour la clôture de l'Année Pauline
(Source)
Messieurs Cardinaux,
Vénérés Frères dans l'Episcopat et dans le Sacerdoce,
Illustres membres de la Délégation du Patriarcat oecuménique,
Chers frères et soeurs,
J'adresse à chacun mon salut cordial. En particulier, je salue le Cardinal Archiprêtre de cette Basilique et ses collaborateurs, je salue l'Abbé et la communauté monastique bénédictine ; je salue aussi la Délégation du Patriarcat œcuménique de Constantinople. L'année commémorative de la naissance de Saint Paul se conclut ce soir.
Nous sommes réunis près de la tombe de l'Apôtre, dont le sarcophage, conservé sous l'autel papal, a fait récemment l'objet d'analyses scientifiques attentives : dans le sarcophage, qui n'a jamais été ouvert durant tant de siècles, on a pratiqué une très petite perforation pour introduire une sonde spéciale, grâce à laquelle ont été remarquées des traces d'un précieux tissu de lin coloré de pourpre, laminé d'or pur et d'un tissu de couleur bleue avec des filaments de lin. On a aussi remarqué la présence de grains d'encens rouges et de substances protéiques et calcaires. En outre, de très petits fragments osseux, soumis à l'examen au carbone 14 de la part d'experts ignorant leur provenance, se sont avérés provenir d'une personne ayant vécue entre le premier et le deuxième siècle. Cela semble confirmer la tradition unanime et incontestée qu'il s'agit bien des restes mortels de l'apôtre Paul. Tout ceci remplit notre esprit d’une profonde émotion.
Beaucoup de personnes ont, durant ces mois, suivi les chemins de l'Apôtre - ceux extérieurs et plus encore ceux intérieurs, qu'il a parcourus pendant sa vie : le chemin de Damas vers la rencontre avec le Ressuscité; les chemins dans le monde méditerranéen, qu'il a traversé avec le flambeau de l'Évangile, rencontrant contradiction et adhésion, jusqu'au martyre, par lequel il appartient pour toujours à l'Église de Rome. À elle, il a adressé aussi sa Lettre la plus longue et la plus importante.
L'Année Pauline se conclut, mais être en chemin avec Paul, avec lui et grâce à lui parvenir à la connaissance de Jésus et, comme lui, être éclairé et transformé par l'Évangile - cela fera toujours partie de l'existence chrétienne. Et toujours, en allant plus loin que le milieu des croyants, il reste le « maître des gentils », qui veut porter le message du Ressuscité à tous hommes, parce que le Christ les a tous connus et aimés ; il est mort et ressuscité pour tous. Nous voulons donc l'écouter aussi en cette heure où nous entamons solennellement la fête des deux Apôtres unis entre eux par un lien étroit.
Cela fait partie de la structure des Lettres de Paul, qu'elles expliquent avant tout le mystère du Christ - toujours en se référant à un lieu et à une situation particulière - et nous enseignent la foi. Dans une seconde partie, l'application à notre vie suit : que résulte t'il de cette foi ? Comment modèle t'elle notre existence jour après jour ?
Dans la Lettre aux Romains, cette seconde partie commence avec le douzième chapitre, dans les deux premiers versets, où l'Apôtre reprend d'emblée le noyau essentiel de l'existence chrétienne.
Que nous dit Saint Paul dans ce passage ? Avant tout il affirme, comme chose fondamentale, qu'avec le Christ a commencé une nouvelle façon de vénérer Dieu - un nouveau culte. Il consiste dans le fait que l'homme vivant devient lui même adoration, « sacrifice » jusque dans son corps. Ce ne sont plus les choses qui sont des offrandes à Dieu. C'est notre existence même qui doit devenir louange de Dieu.
Mais comment cela se produit-il?
Dans le second verset, la réponse nous est donnée : « Ne vous conformez pas à ce monde, mais laissez vous transformer en renouvelant votre mode de penser, pour pouvoir discerner la volonté de Dieu… » (12, 2).
Les deux mots décisifs de ce verset sont : « transformer » et « renouveler ». Nous devons devenir des hommes nouveaux, transformés en un nouveau mode d'existence.
Le monde est toujours à la recherche de nouveauté, parce qu'avec raison il est toujours mécontent de la réalité concrète. Paul dit : le monde ne peut pas être renouvelé sans hommes nouveaux. Ce n'est que s'il y a des hommes nouveaux, qu'il y aura aussi un monde nouveau, un monde rénové et meilleur. Au début il y a le renouvellement de l'homme. Ceci vaut ensuite pour chaque individu. Seulement si nous-mêmes devenons nouveaux, le monde devient nouveau. Cela signifie aussi qu'il ne suffit pas de s'adapter à la situation actuelle.
L'Apôtre nous exhorte à un non-conformisme.
Dans notre Lettre, il est dit : ne vous soumettez pas au schéma de l'époque actuelle. Nous devrons revenir sur ce point en réfléchissant sur le second texte que je veux méditer avec vous ce soir. Le "non" de l'Apôtre est clair et même convaincant pour quiconque observe le « schéma » de notre monde. Mais devenir nouveau - comme peut-on le faire ? En sommes-nous vraiment capables ? Avec le mot sur le "devenir nouveau", Paul fait allusion à sa conversion : à sa rencontre avec le Christ ressuscité, rencontre dont, dans la Seconde Lettre aux Corinthiens il dit : « Si quelqu'un est dans le Christ, c'est une créature nouvelle ; les choses vieilles sont passées ; voilà, de nouvelles sont nées » (5, 17).
Elle fut si bouleversante pour lui cette rencontre avec le Christ qu'il dit à ce sujet : « Je suis mort » (Gal 2, 19 ; cf Rom 6). Il est devenu nouveau, un autre, parce qu'il ne vit plus pour lui-même et en vertu de lui-même, mais pour le Christ et en Lui. Au cours des années, cependant, il a aussi vu que ce processus de renouvellement et de transformation se poursuit pour toute la vie. Nous devenons nouveaux, si nous nous laissons saisir et modeler par l'Homme nouveau Jésus Christ. Il est l'Homme nouveau par excellence. En Lui la nouvelle existence humaine est devenue réalité, et nous pouvons vraiment devenir nouveaux si nous nous livrons à ses mains et nous laissons modeler par lui.
Paul rend encore plus de clair ce processus de « refonte » en disant que nous devenons nouveaux si nous transformons notre mode de penser. Ce qui ici a été traduit avec « mode de penser », est le terme grec « nous ». C'est un mot complexe. Il peut être traduit avec « esprit », « sentiments », « raison » et, justement, aussi avec « mode de penser ». Notre raison doit devenir nouvelle. Cela nous surprend.
Nous aurions peut-être attendu que cela concerne plutôt quelque attitude : ce que dans notre façon d'agir nous devons changer, un appel à l'altération (??un precetto di alterazione). Mais non : le renouvellement doit aller jusqu'au bout. Notre façon de voir le monde, de comprendre la réalité - tout notre mode de penser doit changer à partir de ses fondements.
La pensée de l'homme ancien (celui d'avant), la manière commune de penser est tournée en général vers la possession, le bien-être, l'influence, le succès, la renommée et ainsi de suite. Mais de cette façon elle a une portée trop limitée. Ainsi, en derniers analyse, il reste son « moi », centre du monde. Nous devons apprendre à penser de manière plus profonde. Ce que cela signifie, Saint Paul le dit dans la seconde partie de la phrase : il faut apprendre à comprendre la volonté de Dieu, de manière à ce qu'elle façonne notre volonté. Afin que nous mêmes voulions ce que veut Dieu, parce que nous reconnaissons que ce que Dieu veut est le beau et le bon. Il s'agit donc d'un tournant dans notre orientation spirituelle de fond. Dieu doit entrer dans l'horizon de notre pensée : ce qu'Il veut et la manière selon laquelle Il a inventé le monde et moi. Nous devons apprendre à prendre part à la pensée et à la volonté de Jésus Christ. C'est alors que nous serons des hommes nouveaux dans lesquels émerge un monde nouveau.
Cette même pensée d'un nécessaire renouvellement de notre "être" une personne humaine, Paul l'a illustré ultérieurement, dans deux passages de la Lettre aux Ephésiens, sur lesquels nous voulons donc encore réfléchir brièvement. Dans le quatrième chapitre de la Lettre, l'Apôtre dit qu'avec le Christ nous devons atteinte l'âge adulte, une humanité mûre.
Nous ne pouvons plus rester des « enfants à la merci des flots, transportés ici et là par n'importe quel vent de doctrine… » (4, 14).
Paul désire que les chrétiens aient une foi mûre, une « foi adulte ». Le mot « foi adulte » dans les dernières décennies est devenu un slogan diffus. On l'entend souvent dans le sens de l'attitude de ceux qui ne prêtent plus écoute à l'Église et à ses Pasteurs, mais choisissent de façon autonome ce qu'ils veulent croire et ne pas croire - une foi « fai da te » (à la carte), donc.
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Et on présente comme « courage » le fait de s'exprimer contre le Magistère de l'Église. En réalité, pourtant, il n'y a pas besoin de courage pour cela, parce qu'on peut toujours être sûr des applaudissements publics. Du courage, il en faut plutôt pour adhérer à la foi de l'Église, même si cela contredit le « schéma » du monde contemporain. C'est ce non-conformisme de la foi que Paul appelle une « foi adulte ».
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Il qualifie au contraire d'enfantin le fait de courir derrière les vents et les courants du temps.
Ainsi cela fait partie de la foi adulte, par exemple, de s'engager pour l'inviolabilité de la vie humaine dés le début, s'opposant en cela radicalement au principe de la violence, justement aussi dans la défense des créatures humaines les plus sans défense.
Cela fait une partie de la foi adulte, de reconnaître le mariage entre un homme et une femme pour toute la vie comme système du Créateur, réaffirmé à nouveau par le Christ.
La foi adulte ne se laisse pas transporter ici et là par n'importe quel courant. Elle s'oppose aux vents de la mode. Elle sait que ces vents ne sont pas le souffle de l'Esprit Saint ; elle sait que l'Esprit de Dieu s'exprime et se manifeste dans la communion avec Jésus Christ. Toutefois, même ici Paul ne s'arrête pas à la négation, mais il nous mène au grand « oui ».
Il décrit la foi mûre, vraiment adulte, de manière positive avec l'expression : « agir selon la vérité dans la charité » (cf Eph 4, 15). La nouvelle façon de penser, que nous offre la foi, est tournée avant tout vers la vérité. Le pouvoir du mal est le mensonge. Le pouvoir de la foi, le pouvoir de Dieu, est la vérité. La vérité sur le monde et sur nous même se rend visibles lorsque nous regardons vers Dieu. Et Dieu se rend visible à nous dans la face de Jésus Christ. En regardant le Christ nous reconnaissons encore une autre chose : la vérité et la charité sont inséparables. En Dieu, les deux sont inséparablement une chose seule : c'est vraiment cela l'essence de Dieu. C'est pourquoi, pour les chrétiens, vérité et charité vont ensemble. La charité est la preuve de la vérité. Toujours de nouveau, nous devrons être mesurés selon ce critère, que la vérité devient charité et que la charité nous rende porteurs de vérité.
Une autre pensée importante apparaît encore dans le verset de Saint Paul. L'Apôtre dit que, en agissant selon la vérité dans la charité, nous contribuons à faire en sorte que le tout - l'univers - croisse en tendant vers le Christ.
Paul, sur la base de sa foi, ne s'intéresse pas seulement à notre droiture personnelle et pas seulement à la croissance de l'Église. Il s'intéresse à l'univers : ta pánta. Le but ultime de l'oeuvre du Christ est l'univers - la transformation de l'univers, de tout le monde humain, de l'entière création. Celui qui avec le Christ sert la vérité dans la charité, contribue au vrai progrès du monde. Oui, il est ici entièrement clair que Paul connaît l'idée de progrès.
Le Christ, sa vie, ses souffrances et sa résurrection ont été le vrai grand saut du progrès pour l'humanité, pour le monde. Maintenant, cependant, l'univers doit croître en vue de Lui. Là où augmente la présence de Christ, il y a le vrai progrès du monde. Là où l'homme devient nouveau ainsi le monde devient nouveau.
La même chose est rendue évidente par Paul à partir d'un autre point de vue. Dans le troisième chapitre de la Lettre aux Ephésiens, il nous parle de la nécessité d'être « renforcé dans l'homme intérieur » (3, 16). Il reprend ainsi un argument que précédemment, dans une situation de tribulation, il avait traité dans la Seconde Lettre aux Corinthiens :
« Si notre homme extérieur va en se défaisant, celui intérieur au contraire se rénove de jour en jour » (4, 16).
L'homme intérieur doit se renforcer - c'est un impératif très approprié pour notre temps où les hommes si souvent restent intérieurement vides et en conséquence doivent s'agripper à des promesses et à des narcotiques, qui ensuite ont comme conséquence une croissance ultérieure du sentiment de vide dans leur être intime. Le vide intérieur - la faiblesse de l'homme intérieur - est un des grands problèmes de notre temps. Il faut renforcer l'intériorité - la capacité de percevoir par le coeur ; la capacité de voir et comprendre le monde et l'homme de l'intérieur, avec le coeur. Nous avons besoin d'une raison éclairée par le coeur, pour apprendre à agir selon la vérité dans la charité.
Ceci, toutefois, ne se réalise pas sans un rapport intime avec Dieu, sans une vie de prière. Nous avons besoin de la rencontre avec Dieu, qui nous est donnée dans les Sacrements. Et nous ne pouvons pas parler à Dieu dans la prière, si nous le laissons pas parler d'abord, si nous ne l'écoutons pas dans la Parole, qu'il nous a offerte. Paul, à ce sujet, dit : « Que le Christ habite dans vos coeurs grâce à la foi, et qu'ainsi, enracinés dans la charité, vous soyez en mesure de comprendre avec tous des saints quelle est ampleur, la longueur, la hauteur et la profondeur, et de connaître l'amour du Christ qui dépasse toute connaissance » (Eph 3, 17). L'amour voit plus loin que la simple raison, c'est ce que Paul dit avec ces mots. Et il dit aussi que seulement dans la communion avec tous les saints, dans la grande communauté de tous les croyants - et non pas contre elle ou sans d'elle - nous pouvons connaître l'étendue du mystère du Christ. Cette étendue, il la circonscrit avec des mots qui veulent exprimer les dimensions du cosmos : ampleur, longueur, hauteur et profondeur. Le mystère du Christ a une étendue cosmique : Il n'appartient pas seulement à un groupe déterminé. Le Christ crucifié embrasse l'univers entier dans toutes ses dimensions. Il prend le monde dans ses mains et le porte en haut vers Dieu.
À commencer par Saint Irénée de Lyon - donc depuis le IIème siècle -des Pères ont vu dans ces mots d'ampleur, longueur, hauteur et profondeur de l'amour du Christ une allusion à la Croix. L'amour du Christ a embrassé dans la Croix la profondeur la plus basse - la nuit de la mort, et la hauteur suprême - l'élévation de Dieu lui-même. Et il a pris dans ses bras l'ampleur et l'étendue de l'humanité et du monde dans toutes leurs distances. Toujours, il embrasse l'univers - nous tous.
Prions le Seigneur, afin qu’il nous aide à reconnaître quelque chose de l'étendue de son amour. Prions-Le, afin que son amour et sa vérité touchent notre coeur. Demandons que le Christ habite dans nos coeurs et nous rende des hommes nouveaux, qui agissent selon la vérité dans la charité. Amen !