Le deuxième cérémoniaire
Lettre d'une aimable visiteuse, à propos de mon petit reportage du 15 Août (21/8/2009)
Voir ici: Messe du 15 août
Chère Dame,
Quelle joie de vous lire chaque soir. Votre reportage à l'occasion de votre visite ce 15 Août à Castelgandolfo me rappelle de bons et joyeux souvenirs à l'ombre du palais d'été des Papes.
J'ai eu le grand bonheur d'être reçue en audience par le Bienheureux Jean XXIII dans les magnifiques jardins de la Résidence.
A propos de votre plus récente visite, je vous signale que le cérémoniaire qui accompagnait Mgr.Marini est le polonais Mgr.Konrad Krajewski.
Merci encore pour votre ouvrage si intéressant.
Jacqueline.
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Témoignage de Mgr Konrad Krajewski cérémoniaire du Pape Jean-Paul II
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J’ai personnellement connu Jean-Paul II en 1998, l’année où j’ai commencé à travailler au Bureau des célébrations liturgiques du Souverain Pontife.
Lorsque venait mon tour de l’assister pendant les célébrations, avec le Maître des célébrations, Mgr Piero Marini, je demeurais toujours frappé par ce qui avait lieu dans la sacristie avant et après la célébration. Lorsque le Pape venait de la sacristie et que nous nous retrouvions seuls tous les deux, il se mettait à genoux ou, pendant les dernières années du pontificat, il demeurait sur sa chaise et il priait en silence. Cette prière durait dix, quinze voire vingt minutes et parfois même davantage au cours des voyages apostoliques. Il semblait que le Souverain Pontife n’était plus présent parmi nous. Lorsque le moment de prière semblait durer trop longtemps, Mgr Stanilaw Dziwisz entrait, en tentant de suggérer au Pape de se préparer ; souvent le pape ne répondait pas à cet appel. A un moment donné, il levait la main droite, et nous nous approchions pour commencer à l’habiller dans un silence complet. Je suis convaincu que Jean-Paul II, avant de s’adresser aux personnes s’adressait – ou plutôt parlait – à Dieu. Avant de le représenter, il demandait à Dieu de pouvoir être son image vivante devant les hommes. Il en était de même après la célébration : à peine avait-il ôté les habits liturgiques qu’il s’agenouillait dans la sacristie, et priait. J’avais toujours cette même impression : qu’il n’était pas présent parmi nous.
Quelquefois, pendant les voyages, son secrétaire entrait et, l’effleurant avec délicatesse, il l’exhortait à sortir de la sacristie, parce que les personnes l’attendaient pour le saluer (présidents, maires, autorités…), mais le Pape ne réagissait presque jamais : il demeurait toujours profondément en prière et à nouveau, à un certain moment, il se levait seul, ou il nous faisait un signe pour être aidé. Ces moments de prière, avant et après l’action liturgique, me frappaient toujours profondément. Lorsque je l’assistais, que je posais la mitre, lui pasais le mouchoir, j’étais assuré de toucher une personne non seulement extraordinaire, mais véritablement sainte.
Dans les dernières années du pontificat, j’étais cérémoniaire du saint-père de manière stable : je suivais toutes les célébrations auprès du pape, je voyais sa souffrance et ses difficultés dans chaque mouvement. Un jour, alors qu’il était malade, au cours d’une célébration sur le parvis de la basilique Saint-Pierre, en me penchant vers lui, je me permis de lui dire : « Votre Sainteté, puis-je faire quelque chose pour vous aider ? peut-être quelque chose vous fait-il mal ? ». Il m’a répondu : « Désormais tout me fait mal, mais il faut qu’il en soit ainsi… ». J’étais certain et profondément convaincu que j’assistais et que je touchais une personne sainte.
Je me sentais tellement indigne d’être à côté de cet homme et de le servir, qu’au cours des dernières années du pontificat, avant chaque célébration, j’allais me confesser, même si nous avions deux ou trois célébrations par semaine. Je faisais un peu enrager les confesseurs de la basilique Saint-Pierre, mais je ressentais profondément le besoin d’être totalement « lavé » lorsque je m’approchais du Pape. Après tant d’années de service, et douze voyages à l’étranger, je suis parvenu à cette conclusion : les millions de personnes qui participaient aux célébrations liturgiques présidées par le Pape accouraient pour rencontrer Jésus, qui était représenté par Jean-Paul II, et présent véritablement en lui, dans sa parole prêchée, dans ses gestes, et dans ses attitudes liturgiques et mystiques. C’est pour cette raison que les personnes pleuraient. Elles disaient : « Il n’a parlé qu’à moi, c’est moi qu’il a regardé, il a changé ma vie… ». Comment était-ce possible lorsque quelqu’un pendant la célébration était séparé du Pape par des centaines de mètres, voire des kilomètres, comme c’était le cas pendant les voyages ? Comment cette personne pouvait-elle dire : « Il m’a vu », « Il m’a parlé » ?
Personnellement, je dois moi aussi témoigner que ma vie sacerdotale a totalement changé lorsque j’ai commencé à travailler aux côtés de Jean-Paul II. Je voudrais encore souligner certains moments très significatifs, qui m’ont profondément frappé au cours de la dernière célébration de la Fête Dieu présidée par le Pape.
Désormais, le Pape ne marchait plus. Le Maître des célébrations liturgiques et moi-même l’avions placé avec son fauteuil sur la plate-forme de la voiture aménagée spécialement pour la procession : devant le Pape sur le prie-Dieu était placé l’ostensoir avec le Très Saint Sacrement. Au cours de la procession, le Pape s’est adressé à moi en polonais, en me demandant de pouvoir s’agenouiller. J’étais très embarrassé par cette demande, parce que physiquement, le Pape n’était pas en mesure de le faire. Avec une grande délicatesse, je lui ai fait part de l’impossibilité de s’agenouiller, car la voiture oscillait pendant le parcours, et il aurait été très dangereux de faire un geste de ce type. Le Pape a répondu avec son célèbre doux « murmure ». Un peu plus tard, à la hauteur de l’Université pontificale « Antonianum », il a de nouveau répété « Je veux m’agenouiller ! », et moi, avec beaucoup de difficulté à devoir renouveller un refus, je lui ai suggéré qu’il aurait été plus prudent d’essayer de le faire à proximité de Sainte-Marie-Majeure ; et j’ai a nouveau entendu ce « murmure ». Toutefois, après quelques instants, arrivés à la maison des pères rédemptoristes, il s’est exclamé avec détermination, et presque en criant, en polonais : « Jésus est ici ! S’il vous plait… ». Il n’était plus possible de le contredire. Mgr Marini a été témoin de ces moments. Nos regards se sont croisés et, sans rien dire, nous avons commencé à l’aider à s’agenouiller. Nous l’avons fait avec une grande difficulté, et nous l’avons presque porté sur le prie-Dieu. Le Pape s’aggripait au bord du prie-Dieu et tentait de se retenir, mais ses genoux cédaient sous lui, et nous avons dû le remettre immédiatement sur le fauteuil, avec des difficultés qui n’étaient pas seulement physiques, mais dues également à la gêne des parements liturgiques.
Nous avions assisté à un grande démonstration de foi : même si le corps ne répondait plus à l’appel intérieur, la volonté demeurait ferme et forte. Le Pape avait montré, malgré sa grande souffrance, la force intérieure de la foi, qui voulait se manifester à travers le geste de s’agenouiller. Nos suggestions de ne pas faire ce geste n’avaient aucune valeur. Le Pape a toujours estimé que, devant le Christ présent dans le Saint Sacrement, il faut être très humble et exprimer cette humilité à travers le geste physique.
Enfin, je veux souligner que, à travers mon simple service au Souverain Pontife, moi aussi je suis devenu meilleur, comme homme et comme prêtre. Il nous a enseigné que « le véritable ami est celui grâce auquel je deviens meilleur » alors, je peux dire, que d’après cette définition, Jean-Paul II était mon véritable ami.
A travers son témoignage, je me suis approché encore davantage de ce Dieu, que Jean-Paul II représentait. J’ai pu voir comment, au cours de sa vie, il se consacrait et s’abandonnait totalement à Dieu, à l’occasion des célébrations liturgiques, et c’est dans cet état de don qu’il s’est éteint.
Lorsqu’il est mort, je marchais dans les loges du Vatican, en exerçant la fonction de Cérémoniaire pontifical et je pleurais. Peut-être pour la première fois de ma vie d’adulte, je n’avais pas honte de mes larmes. Toutefois, c’étaient des larmes pour moi-même : parce que je ne suis pas comme lui, je ne suis pas un prêtre saint, parce que je ne me suis pas donné pleinement au Seigneur, parce que je ne suis pas totus tuus…
Je ne me souviens pas parfaitement de ce que je pensais en portant l’évangéliaire devant le cercueil très simple de Jean-Paul II. Je voulais seulement le porter avec dignité, comme l’on porte le livre le plus important de sa vie : le livre de la vie de Jean-Paul II.
Ce livre, je l’ai déposé avec Mgr Marini sur le cercueil, et je ressentais combien j’étais indigne de ce geste. Je me sentais tellement petit et tellement pécheur… Je priais le Seigneur de pouvoir porter le livre de l’Evangile dans ma vie, comme l’avait porté Jean-Paul II. Et de ne jamais le refermer.
Depuis que Jean-Paul II est retourné dans la maison du Père, je vais chaque jour confesser dans l’église « Santo Spirito in Sassia »à 15h. l’« heure de la miséricorde » au cours de laquelle un très grand nombre de personnes chantent le chapelet de la miséricorde et suivent le Via Crucis. Il m’est arrivé plusieurs fois de suggérer à différentes personnes d’aller sur la tombe du serviteur de Dieu Jean-Paul II pour prier. Parce qu’il se dépassait lui-même, il dépassait son propre corps, ses propres souffrances. Lorsqu’il apparaisait à la fenêtre, et qu’il avait désormais cessé de parler, nous savions tous ce qu’il aurait voulu dire. Lorsqu’il levait la main avec difficulté, nous faisions immédiatement le signe de croix, parce qu’il nous bénissait toujours. Alors que je finissais de prononcer ces paroles, beaucoup me répondaient : « Mais je viens précisément des Grottes vaticanes, de la tombe de Jean-Paul II et c’est pour cela que je me confesse. Je ne savais même pas qu’à cette heure-là on pouvait se confesser».
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Mgr Konrad Krajewski