Articles Images La voix du Pape Lecture, DVD Visiteurs Index Sites reliés Recherche
Page d'accueil Articles

Articles


Le parvis des gentils, à Paris Catastrophe au Japon Jésus de Nazareth L'appel des théologiens allemands Béatification de JP II Assise Crise du monde arabe, et retombées Des nouvelles du site

Embrasement du M-O: la composante religieuse

Renouveler l'islam vers la modernité. Alors que l'Egypte s'embrase à son tour, c'est le message - passé sous silence - d'imams et d'intellectuels égyptiens, (qui ont peut-être accepté la main tendue par Benoît XVI).
Un article de l'islamologue égyptien, le Père Samir Khalil Samir, pour Asia News (30/1/2011)

Alors que la situation au Moyen-Orient est incertaine, et, qu'après la Tunisie, l'Egypte s'est à son tour embrasée, je n'en sais pas plus que mes lecteurs, sans doute moins que certains d'entre eux.
Mais l'information donnée par les medias français ne peut pas nous satisfaire; et l'importante communauté musulmane qui réside en France ne suit certes pas les événements à travers LCI, TF1, ou FR3, mais plutôt Al Jazeera, disponible chez nous par satellite (mais pour le moment, innaccessible en Egypte), et a donc un tout autre son de cloche.

A ce sujet, on consultera le remarquable dossier de réinformation de La Bussola: De la Tunisie à l'Egypte, les jours de la colère.

Les medias français (il faudrait plutôt dire occidentaux) parlent du bout des lèvres de la composante religieuse de l'embrasement du Moyen-Orient - pourtant d'une importance cruciale. Ils savent que c'est une inconnue de taille, mais ils ont décidé de faire l'impasse. On devine leurs raisons.
Ils avaient par contre donné beaucoup d'écho à l'intervention du grand Imam de l'Université d'Al-Hazar contre les propos tenus le jour de l'An par Benoît XVI.
Mais ils se gardent bien de nous dire qu'à cette même Université, cela bouillonnne aussi.
Les choses ne sont pas si simples qu'on ne le dit.
Il semble qu'il y ait l'amorce d'un islam modéré, qui cherche à venir à la rencontre du Pape, et de son discours de Ratisbonne. Sans ce discours prophétique, les propos que l'on va lire plus bas auraient-ils été possibles?

Cette "sécularisation" de l'islam est-elle pour le meilleur (mettre fin au fondamentalisme), ou pour le pire (la victoire planétaire du laïcisme et du relativisme)? Ou quelque chose entre les deux, dans le respect de chacun, mais avec les défauts de l'humain? Il est trop tôt pour le savoir. Mais en parler me semble relever de la simple information.
C'est ce que fait le jésuite égyptien, le Père Samir, dans ces deux articles parus sur le site Asia News..
Il parle d'une démarche qui date d'un jour avant l'embrasement de l'Egypte.
Il y a deux articles, avec une journée d'écart, le second précise, et corrige, le premier.



1. 26 janvier

Imams et intellectuels égyptiens: Rénover l'Islam vers la modernité
Source
Samir Khalil Samir
----------------------
Le programme - vraiment révolutionnaire - veut repenser la valeur de la femme, le mélange entre les sexes, la relation d'égalité avec les chrétiens. Et désire aussi "nettoyer" les interprétations des paroles de Mahomet et les mythes, du salafisme fondamentaliste, rejetant les influences venues d'Arabie saoudite.

Ce sont quelques-unes des propositions qu'un groupe de professeurs, théologiens et imams égyptiens font à leur communauté. Ils s'agit d'essayer de moderniser la vie des musulmans, de freiner (et même bloquer) les influences fondamentalistes qui viennent d'Arabie saoudite. Ce qui tient à coeur à ce groupe d'intellectuels, c'est à la fois un renouveau de l'enseignement de l'islam, et une relation d'harmonie avec les chrétiens.

Une vingtaine d'intellectuels et de théologiens d'Al Azhar ont publié un texte d'une importance énorme, intitulé "Document pour le renouvellement du discours religieux". Le texte a été "publié" sur Internet le 24 Janvier à 18h27, sur le site de l'hebdomadaire "Yawm al-Sabi " ("Le Septième Jour").
L'importance du document découle également de ses signataires, tous chercheurs incontestés et profonds fidèles musulmans.

Parmi eux, il convient de mentionner l'ex-Grand Mufti d'Egypte, le frère du fondateur des Frères musulmans,(...) le célèbre écrivain islamiste Fahmi Huwendi et de nombreux prédicateurs (Du'at), chargés de la propagande islamique...

C'est la première fois qu'arrive une telle tentative par des personnalités islamiques reconnues. Une fois publiés sur le site, le document a reçu 153 commentaires en un jour. La majorité (88,25%) a condamné le texte, affirmant qu'il déforme l'Islam ou tente d'établir une nouvelle religion. Seulement 18 personnes félicitent les auteurs. Cela signifie que le chemin du renouveau sera long et exigera beaucoup de temps et d'efforts.

Le texte original du document (en arabe) et les commentaires peuvent être trouvés ici .

[Là, le Père Samir énumère les 21 points du document (1)]

2. 28 janvier

L'Égypte, la révolte n'est pas seulement politique mais aussi spirituelle et islamique
Source
Samir Khalil Samir
------------------
Intellectuels et théologiens musulmans, dessinent les perspectives d'un changement aussi pour l'Islam: valeur des femmes et mélange des sexes, refus du salafisme fondamentaliste, recherche d'une religiosité du cœur et de la liberté, contre le formalisme du voile, de la barbe et les pratiques rituelles obscures. Et surtout, ils souhaitent la bienvenue à la laïcité, à la séparation entre l'islam et la politique.
* * *

Le "document sur le renouveau de l'islam" diffusé par la revue "Le septième jour" (ci-dessus ) suscite beaucoup d'intérêt sur Internet. En un jour il a été publié par au moins 12.400 sites arabes. Chacun de ces sites a reçu de nombreux commentaires du public.

Nous devons préciser une chose dont aujourd'hui, nous avons la confirmation: hier nous avons attribué le document directement à 23 personnalité du monde islamique. En réalité, les 23 personnalités ne sont pas les vrais signataires: le document a été rédigé par la revue selon les instructions reçues par plus que les 23 personnes interrogées.
L'importance de ce document est avant tout que les thèmes ont été indiqués par 23 sages et aussi que la tentative de la revue est de lancer un projet intéressant pour réformer le discours islamique.

Certes, il est inquiétant de voir que 88% des commentaires sont opposés à ce document, environ 12% sont favorables. Cependant, parmi ceux qui sont contre, il y a ceux qui s'opposent à un ou deux points seulement.

Un autre aspect intéressant est que ce projet de réforme de l'Islam a été publié le 24 janvier, un jour avant le début des manifestations en Egypte. Ces manifestations ont des raisons économiques et politiques. Cela signifie qu'en plus du courant politique, il y a un courant intellectuel qui en a assez de l'islam répandu au cours des 30 dernières années dans le pays, un islam «exteriorisé» qui met l'accent sur les choses extérieures (vêtements, barbe, voile, etc ..). Cela montre qu'il existe en Égypte est un mouvement global - à la fois spirituel et politique - qui voudrait transformer le pays. Et comme il s'agit d'un des pays leaders du Moyen-Orient, on peut s'attendre à ce que les changements conçus au Caire se répandent dans toute la région. Peut-être les manifestations qui se déroulent dans les rues de la capitale pourront-elles avoir une influence sur cet islam «exteriorisé».
Venons-en maintenant à nos commentaires sur certains points importants.

Mélange des sexes
---------------------
Il y a, par exemple, le point 3, qui parle de mélange des sexes. Le commentaire indique que les oulémas (ndt: théologiens de l'islam) doivent prendre en compte les circonstances dans lesquelles cela advient, et l'accorder avec la charia. Si le mélange des sexes est une nécessité, alors il n'y a pas de problème. Mais s'il n'est pas nécessaire, alors c'est un mal. Ils citent un exemple: à l'université, il y a des étudiants filles et garçons. Comme il s'agit d'une nécessité de l'étude, ce n'est pas un problème que les étudiants masculins et féminins se mélangent. La même chose s'applique pour le travail. Ce qui est absolument un péché, c'est quand un homme et une femme se trouvent seuls, se touchent, s'embrassent.

Au contraire, les intransigeants rejettent tout mélange. En Arabie saoudite, les étudiants universitaires mâles sont face à l'enseignant de sexe masculin, les filles sont dans une autre salle, reliées par la télévision par câble.
Les déclarations réformistes, toutefois, soulignent que malgré tout l'Islam n'interdit pas la relation entre l'homme et la femme. Ce rapport en Egypte devient un problème parce que le style «puritain» est de plus en plus la norme.
Il y a quelque temps, la fatwa émise par un docteur de la loi coranique (faqih) a fait beaucoup de bruit. Dans une émission télévisée, une femme a expliqué que pour des raisons de travail elle devait être dans le même bureau qu'un homme. Mais c'était interdit par la charia; la femme ne pouvait pas démissionner et a demandé de l'aide. L'ouléma a proposé une solution: la femme devait allaiter son collègue. Au scandale exprimé par le public présent, l'ouléma a expliqué que son collègue deviendrait ainsi "comme un fils" pour la jeune fille et qu'ils pourraient rester ensemble dans le bureau, sans relation sexuelle possible (compte tenu de leur nouveau "lien de parenté") . Devant le public interdit, l'ouléma s'est défendu en disant que "nous ne devons pas juger avec le sentiment, mais avec la loi". Cette fatwa a donné lieu à de nombreuses réactions dans le monde islamique, au point que l'ouléma a été en danger de perdre leur emploi.

Le djihad
-----------
Le sixième point traite du djihad (guerre sainte). Selon les réformateurs qui s'expriment dans le document, le djihad , dans l'Islam est dirigé contre les occupants dans les pays musulmans: "Tuez sur le chemin de Dieu ceux qui vous combattent, mais ne prenez pas l'initiative de l'agression" (Coran 2.190). Dans les commentaires sur ce verset, il est stipulé qu'il est interdit de tuer les gens désarmés, les enfants, les vieillards, les femmes, les prêtres, les moines, les maisons de prière. Et d'ajouter: "cette vision - si moderne - est présente dans l'islam depuis 1400 ans".

Dans la mise au point de ces réformistes, le djihad ne peut être que défensif, et seulement sur des terres musulmanes. Le problème se pose lorsque les musulmans font le djihad au mauvais endroit, au mauvais moment (étant entendu qu'il est mauvais d'attaquer les gens en Europe par exemple, qui n'est pas "terre d'islam").
Quand le faire, qui peut le faire, où le faire: la réponse à ces questions rend le djihad correct du point de vue islamique. De cette façon, les réformistes condamnent tous le terrorisme islamique, les attaques contre les églises d'Alexandrie et de Bagdad. Il faut dire que cette interprétation du djihad est classique, mais malheureusement il y a des interprétations très contraires qui justifient le terrorisme.

La piété extérieure
---------------
L'article 7 explique la nécessité de "mettre un terme aux agressions sur les pratiques de piété extérieure et aux usages étrangers qui nous viennent d'Etats voisins". Ceux qui combattent cet islam extériorisé, disent que c'est un phénomène nouveau, qui date de seulement 30 ans. Cela est dû au fait que beaucoup d'Egyptiens sont allés travailler dans la péninsule arabique et en sont revenus avec des traditions non locales. La revue explique que l'Egypte a aussi ses coutumes et ses manières de s'habiller pour plusieurs charges de l'islam. Mais - est-il dit - "nous avons récemment commencé à imiter le vêtement des pays voisins [l'Arabie Saoudite, ndlr] avec la barbe jusqu'à la poitrine, la robe longue ( jilbab ), le voile .... Puis est venue l'obligation pour les femmes d'utiliser le niqab , le voile intégral comme une expression de la pudeur". Et ils citent le Coran, 24-30: "Dis aux croyants de baisser leurs regards et d'être chastes."

Le document affirme que "l'important, c'est la modestie des yeux". Il rappelle que l'année dernière il y a eu des milliers d'agressions sur les femmes qui n'étaient pas vêtues à la manière islamique. "L'extérieur - expliquent les experts réformateurs - est devenue la vraie religion. Le modèle du croyant est devenu en Egypte, l'apparence de la religiosité, sans aller voir la pureté du cœur et la chasteté de l'œil, que le niqab ne peut pas cacher".

Ces orientations sont fondamentales et très proches de l'Evangile. Il s'agit d'une nouvelle inspiration mystique qui avertit: vous ne réussirez pas à sauver la pureté de la relation entre les hommes et les femmes seulement les vêtements qu'ils portent.

Et ils ajoutent: ces gens - qui ont amené les façons de s'habiller de l'extérieur - ont divisé les familles, en mettant les uns contre les autres, parce que les garçons veulent imposer le voile et les filles le refusent. "Nous sommes devenus - conclut le commentaire - une nation qui prend soin de l'extérieur et qui a le vide à l'intérieur"

Séparation entre religion et l'État, laïcité
-------------------------
Le point 8 est, je pense, le plus important, et il traite de la division entre la religion et l'État. Le document utilise le terme "almaniyyah" , la laïcité. Lors du Synode sur le Moyen-Orient, nous avons eu peur d'employer ce mot parce qu'il est communément entendu comme "l'athéisme", indiquant ainsi seulement une laïcité ennemie de la religion et donc à rejeter.

Au contraire, ce document utilise justement le mot. Et il explique qu'il est basé sur l'idée de séparation entre la religion et l'État. La laïcité - disent-ils - ne devrait pas être considérée comme l'opposé de la religion, mais nous devons voir en elle une mesure de sauvegarde contre l'utilisation politique ou commerciale de la religion. "Dans ce contexte - affirme le document - la laïcité est en harmonie avec l'islam et pour cette raison, la laïcité est donc juridiquement acceptable. La même chose peut être dite au sujet du contrôle des activités (islamiques) de l'Etat. "

Dans le même temps il est dit: "Ce qui éloigne la religion de la vie ordinaire est inacceptable". Et d'expliquer qu'il est nécessaire d'affirmer "les droits de Dieu" et "les droits du serviteur de Dieu", à savoir les droits de l'homme.

Le sécularisme athée, au contraire, regarde la religion comme une chaîne et exige donc une liberté absolue. Cette laïcité est opposée à l'Islam, qui impose certaines limites. Qui veut choisir la foi doit le faire par conviction et, par conséquent, accepter les règles de la religion, et ne peut pas jouer avec elles.

Il est donc dit qu'il existe une laïcité extrémiste, et une bonne. Sur Internet, ce point sur la laïcité attire beaucoup de critiques. Par exemple, le site "Les gardiens du dogme" publie une critique. "Chacun doit savoir que la laïcité signifie non-religiosité, et la non-religiosité est le chemin rapide qui mène à l'athéisme. L'islam doit la combattre parce que la laïcité a en elle le germe de tous les maux, etc .. ".

Ce point, bien que beaucoup discuté, montre qu'en Egypte est en train de naître le concept de société civile, ne coïncidant pas immédiatement avec la communauté islamique.

Attitude face du salafisme
------------------------


Le point 9 est intéressant. Il demande à "purifier l'héritage des premiers siècles de l'Islam" (salafisme), éliminant les mythes (khurâfât) et les agressions contre la religion".

Le document affirme que "la liberté, l'égalité, la connaissance, la justice et la science sont les valeurs les plus importantes que le Coran a portées jusqu'à nous quand il a été révélé il y a 14 siècles. Ce sont les valeurs-mêmes sur lesquelles est fondée la société constituée par le Prophète à Médine. Ce sont des valeurs claires sur lesquelles il n'y a pas d'opposition. Il n'est pas permis de minimiser ces valeurs. Nous avons un grand besoin de ces grandes valeurs, plus encore que par le passé". Il ajoute: "Les pays ne se peuvent se développer qu'en conformité avec ces valeurs et ils n'auront aucune Renaissance (nahda) sans l'abolition de ce patrimoine salafiste qui devrait être considéré comme un frein à la société islamique, avec ce qu'il comporte de mythes (= inventions humaines), ou des inventions de rapiéçage, ou d'attaques contre la religion. "

Ces déclarations prennent de front les pratiques de l'intégrisme (le vêtement, le pur et l'impur, la loi, etc ...) qui veulent reproduire la société du Prophète. Pour un salafiste, par exemple, il est interdit de s'asseoir sur la chaise parce que le prophète était assis sur le sol; il ne faut pas utiliser des cure-dents ordinaire, mais se nettoyer les dents avec un batonnet issue d'une plante d'Arabie Saoudite (miswak)! Grâce à ces critiques, le document vise à réformer l'islam, poussant vers un élan religieux plus spirituel.

Réflexion finale
--------------------------
A en juger par les commentaires trouvés sur Internet, nous voyons que la grande majorité, contraire à ce document, est la proie de l'Islam de l'extérieur, traditionnel, formel, "pharisien". Il y a aussi de nombreux intellectuels et religieux qui pensent de façon moderne, mais ils n'ont pas le soutien des institutions.

Face à l'agitation sociale et aux pressions pour le changement qui se produisent dans plusieurs pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, il faut dire que le salafisme est une sorte d'"opium du peuple", il concentre l'attention des gens sur des pratiques religieuses extérieures et secondaires, sans se soucier de la société, du développement du bien-être. De leur côté, les pouvoirs politiques laissent faire, à condition qu'il ne s'occupe pas de politique.

En Egypte, le pouvoir politique n'est pas une dictature pure, mais pour se maintenir, il s'allie ou fait de plus en plus de concessions au salafisme. Le pouvoir politique se montre «islamique» afin de ne pas s'exposer aux critiques du salafisme, ou les Frères musulmans. Mais chaque concession renforce cet islam extérieur et conduit à de nouvelles concessions.

Note (1): les points du document

La fin d'un monde Bientôt, Jésus de Nazareth, tome 2