Mais enfin, qui est ce Kadhafi?
Le bal des hypocrites se poursuit: il y a ceux qui font semblant de découvrir que c'était un affreux dictateur... avec lequel ils ont fait des affaires pendant 40 ans. Et ceux qui ont oublié l'histoire: qu'ils ne comptent pas sur les medias pour leur rappeler! Deux articles éclairants sur la Bussola (27/2/2011)
J'ai expliqué ici les raisons de mon intérêt pour ce qui à a priori peu à voir avec le Saint-Père.
Je suis sûre aussi que, selon l'expression consacrée, il suit de très près la situation au Moyen-Orient, qui concerne non seulement le sort des chrétiens vivant en terre d'islam, mais plus largement, l'avenir même, le "vivre ensemble" de l'humanité.
La foire à l'hypocrisie
Riccardo Cascioli
La Bussola Quotidiana
25-02-2011
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C'était le 13 mai 2010, il y a juste neuf mois.
La Libye de Kadhafi était élue comme membre du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies par 155 voix pour, bien plus que les 97 nécessaires, une majorité "soviétique", si l'on considère que les pays ayant le droit de vote sont 192. Pour protester, il n'y eut que quelques organisations non-gouvernementales. Les États-Unis, eux aussi membres du Conseil depuis l'avènement d'Obama, ont seulement témoigné une certaine «insatisfaction» pour la présence au sein de l'organisme de l'ONU de certains pays, mais sans les nommer (le problème n'était pas seulement la Libye). Les autres pays occidentaux, démocratiques, n'ont pas bronché.
Il est bon de rappeler cet épisode encore frais en mémoire, alors que les médias du monde entier mettent en scène une extraordinaire foire de l'hypocrisie, par laquelle il semble que le monde libre a soudain découvert l'existence d'un cruel dictateur, cherchant à utiliser cette tragédie pour de sordides intérêts personnels.
La vérité est que le "tyran Kadhafi", le "Kadhafi digne de comparaître devant le Tribunal pénal international pour crimes contre l'humanité", tout le monde le connaissait et tout le monde avait fait avec lui des affaires et des accords politiques.
Ce n'est pas répréhensible en soi, parce que dans les relations internationales, on doit aussi composer avec la réalité, et souvent il faut choisir entre deux ou plusieurs maux. Le tableau du monde est plus complexe que ce qu'on voit dans les westerns où le bon a toujours raison du mauvais, et où souvent intervient le "justicier" pour couper court. L'histoire nous montre que ceux qui cherchent à interpréter les relations internationales de cette manière finissent toujours par créer plus de problèmes qu'ils n'en voulaient résoudre.
Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas avoir une opinion claire sur les gouvernements et les régimes, simplement, nous devons examiner tous les facteurs en cause et être en mesure de trouver un chemin qui mène à l'objectif du bien commun. C'est pourquoi, par exemple, l'Italie a toujours eu - que ce soit le centre, la gauche ou la droite - une attitude d'ouverture et de dialogue avec la Libye de Kadhafi. Comment peut-on oublier le "merci" public de Kadhafi à Romano Prodi, alors président de la Commission européenne en Septembre 2004, lorsque les 25 pays membres de l'UE (les 25!) décidèrent d'annuler l'embargo sur les ventes d'armes à la Libye, allant bien au-delà de la proposition italienne d'une "levée partielle de l'embargo militaire". Ou l'antichambre du ministre des Affaires étrangères Massimo D'Alema, à l'été 2009, devant la tente du dictateur libyen planté à la Villa Pamphili, afin de traiter le contrôle des migrations. Mais de la même manière, on pourrait revenir aux relations privilégiées des gouvernement Craxi-Andreotti, et à celles du gouvernement de «compromis historique» dans les années 70.
Pour cela, il semble aujourd'hui pathétique de tenter d'effacer l'histoire comme cela vient d'être fait au Palais du Conseil de l'Europe, où, selon le correspondant à Bruxelles de La Stampa, Marco Zatterin , on a fait disparaître à la hâte de la "galerie des réunions" une image de Kadhafi en visite à Bruxelles, qui montre le leader libyen avec l'ex-représentant de la politique étrangère de l'UE, Javier Solana. Pathétique, et même inconvenant, quand on veut réécrire l'histoire en faisant retomber sur le dernier qui l'a rencontré, la responsabilité pour les 40 ans d'atrocités de Kadhafi.
Par rapport à ceux qui, parmi les représentants des gouvernements, ont signé des traités et eu des relations avec Kadhafi, la situation de ceux qui, durant ces 40 années de Kadhafi, l'ont soutenu à des fins idéologiques, lui apportant une reconnaissance superflue, est cependant très différente. Il convient également de rappeler que, pendant les années de la guerre froide et au-delà, Kadhafi a été acclamé internationalement comme un champion de l'anti-impérialisme. Ce n'est pas un cas unique: aux conférences internationales de l'Organisation des Nations Unies, des dictateurs comme Fidel Castro, Robert Mugabe et Hugo Chavez (qui n'ont rien à envier à Kadhafi) ont toujours été invités et accueillis comme des stars et même reçu des standing ovation de la part des délégués, y compris des représentants des pays occidentaux.
La Libye de Kadhafi élue au Conseil des droits de l'homme de l'ONU est la conséquence logique de cette complicité idéologique, qui ne concerne pas seulement Kadhafi. Dans la même session de mai 2010 ont également été élus l'Angola, la Mauritanie, le Qatar, l'Ouganda et la Thaïlande, tous pays pour lesquels les organisations de défense des droits de l'homme ont exprimé des protestations sévères.
Mais pour en revenir à la Libye, nous ne devons pas oublier que parmi les reconnaissances certainement superflues, il y a aussi la nomination de la fille de Kadhafi, Aïcha, comme "ambassadeur itinérant du PNUD" (le Programme des Nations Unies pour le développement): c'était seulement en Juillet 2009, et le représentant d'alors du PNUD en Libye, l'Australien Brian Gleeson, lors d'une cérémonie officielle à Tripoli s'est déclaré "honoré" de pouvoir en faire l'annonce.
Dans la foulée des événements de ces derniers jours, le titre d'ambassadeur des Nations Unies à Aicha a été retiré, mais cela rend plus intolérable l'hypocrisie de ceux qui prétendent se scandaliser aujourd'hui de choses qu'ils connaissaient parfaiteement - et soutenaient - hier encore.
Kadhafi, qui c'est celui-là?
Robi Ronza
http://www.robironza.wordpress.com/
26-02-2011
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Mouammar Kadhafi, dont le sanglant crépuscule nous est donné en spectacle ces jours-ci, est ou a été au pouvoir pendant 42 ans: un record absolu, d'autant plus remarquable si l'on considère qu'il a toujours été un citoyen privé, sans jamais assumer de charge institutionnelle, seulement le titre, qu'il s'est donné lui-même, de "Guide de la Révolution". Il n'est même pas entré dans la carrière militaire, conservant indéfiniment le grade de colonel qu'il avait quand en 1969, il dirigea le coup d'Etat qui conduisit à la chute du royaume d'Idris 1er, (1889-1983, roi de Lybie de 1951 à 1969) et à la naissance de la République de Libye "arabe, libre et démocratique."
Le pouvoir n'est pas quelque chose que personne ne veut, et qui finit par rester aux mains du plus idiot. Comme chacun sait, il s'agit d'une denrée très demandée. Donc, celui qui conquiert le pouvoir et le conserve peut être un perfide et un déséquilibré (comme Hitler par exemple), mais jamais un imbécile. Pour en venir au cas de Kadhafi, le considérer comme un fou n'aide ni à comprendre qui il est, ni à comprendre comment la Libye peut lui survivre.
Durant ses 42 années au pouvoir, Kadhafi a réussi à rester en selle en jonglant avec habileté à la fois chez lui et sur la scène internationale. Il accéda au pouvoir en se proposant comme champion d'une «troisième voie» entre le communisme et le capitalisme, selon un programme dans lequel la doctrine du nationalisme pan-arabe se mêlait aux principes de matrice socialiste européenne. Ce qui lui a assuré pendant plusieurs années, la bienveillance de l'Internationale socialiste, et plus généralement des milieux de l'establishment libéral européen, ceux qui aujourd'hui font partie des anti-Kadhafi de la première heure.
Cela lui a permis d'expulser de Libye, en 1970, en l'espace de deux mois, 20 000 colons italiens, après avoir confisqué, sans aucune compensation, tous leurs biens, sans mobilisation importante de la presse italienne et même sans aucune résistance sérieuse du gouvernement de Rome à l'époque. On eut alors l'impression que l'assentiment à cette expulsion de masse était la compensation de la présence tranquille de l'ENI (ndt: Ente Nazionale idrocarburi, société nationale italienne des pétroles )en Libye. La majorité de ces colons étaient des fermiers qui cultivaient en Cyrénaïque des fermes qui leur avaient été allouées par le régime fasciste, lorsque la Libye était encore une colonie italienne. Donc il se peut que leur présence en Libye n'était plus politiquement soutenable. Le fait demeure que notre gouvernement de l'époque, non seulement se laissa prendre par surprise par l'initiative de Kadhafi, mais ne fit même aucune tentative pour que l'exode se produise progressivement et que les colons se voient attribuer une compensation pour la valeur que leur travail avait ajouté à des terrains qui à l'époque de leur assignation étaient le plus souvent mal cultivées, ou en friches.
L'épisode est aussi important pour comprendre l'évolution ultérieure du régime de Kadhafi. Le Colonel en retirait la conviction qu'en tapant du poing sur la table, à Italie et à l'Occident en général, on pouvait faire avaler n'importe quoi.
Par la suite, il assuma des positions encore plus fortement anti-américaines et anti-israéliennes, jusqu'à soutenir des groupes terroristes. En avril 1986, le Président Reagan alla jusqu'à ordonner un raid de bombardement à l'improviste sur son lieu de résidence. Les bombardiers, lancés depuis un porte-avions qui croisait en Méditerranée, détruisirent le bâtiment, mais Kadhafi échappa à l'attaque, apparemment parce que le Premier ministre italien de l'époque, Bettino Craxi (ndt: socialiste), l'informa de ce qui allait arriver, considérant (probablement à juste titre) que sa disparition soudaine en Libye aurait créé un vide politique qui serait sans doute comblé par quelqu'un d'encore pire que lui.
Après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide en 1991 avec la défaite de l'Union soviétique, pour Kadhafi et de nombreux autres personnages comme lui, disparut la possibilité de continuer à jongler en jouant sur l'antagonisme Etats-Unis / URSS. Le colonel décida donc de modifier sa politique: il cessa tout soutien au terrorisme, intervint dans plusieurs conflits africains dans le rôle de pacificateur inhabituel pour lui, et puis à partir de 2003, il se rapprocha ouvertement de l'Occident, surtout de notre pays, qui était resté le principal partenaire économique de la Lybie. Du côté italien, il s'agit d'un processus qui s'est accompli avec Berlusconi (pour des motifs raisonnables sur lesquels je ne m'étendrai pas ici), mais qui avait commencé avec D'Alema (ndt: PD, gauche, premier ministre de 98 à 2000), ce qui serait utile de rappeler aux dirigeants du PD qui maintenant attaquent l'actuel premier ministre pour avoir signé le traité de Benghazi en 2008 (ndt: accord sur la limitation de l’immigration clandestine, la réparation des dommages causés par la colonisation de l’Italie en Libye, concrétisée par un investissement de 5 milliards de dollars dans les infrastructures libyennes par les entreprises italiennes en vingt ans et un partenariat économique, Kadhafi prenant 1% des actions d’ENI), puis d'avoir invité Kadhafi en visite d'Etat à Rome, avec les inévitables conséquences pittoresques.
Et maintenant?
Maintenant, il faut tout faire pour que la transition en cours en Libye se fasse le moins catastrophiquement possible. Notre pays a beaucoup de cartes à jouer à cet égard. Espérons qu'il saura les jouer.