Articles Images La voix du Pape Lecture, DVD Visiteurs Index Sites reliés Recherche
Page d'accueil Articles

Articles


Le parvis des gentils, à Paris Catastrophe au Japon Jésus de Nazareth L'appel des théologiens allemands Béatification de JP II Assise Crise du monde arabe, et retombées Des nouvelles du site

L'histoire de Grisha

La belle - j'ose même dire merveilleuse, dans tous les sens du terme - histoire d'un peintre d'icônes né sans bras ni jambes, racontée sur le site espagnol forumlibertas.com, et traduite par Carlota. (29/3/2011)

Carlota:

Toute personne est sacrée : un magnifique récit qui pourrait être un conte à la manière russe, mais qui est bien plus que cela, trouvé sur Forum Libertas (original ici).
À notre époque où des parlementaires, à une voix près, peuvent décider de celui qui digne de vivre et de celui qui ne l’est pas (Lois bioéthiques : recherches embryonnaires, échographie systématique, avortements médicaux, psychologiques, etc…), l’on souhaiterait tellement que par nos prières et à la grâce de Dieu, la petite flamme du doute vienne ébranler leurs certitudes…

Grégoire Zhuravliov

Le troisième enfant de Marie Zhuravliova naquit en 1858. C’était une toute petite chose, un bébé qui n’avait ni bras ni jambes. Son père n’était pas à la maison, il avait été mobilisé pour les guerres dans le Caucase. Le pope du village accourut pour baptiser l’enfant. La famille ne pouvait s’expliquer la chose : les deux parents étaient sains, ses deux grands frères aussi. Pourquoi cet enfant était-il ainsi ? "C’est une question pour les médecins - répondit le pope. Mais moi comme homme d’Église, je crois que c’est la faute du démon, peut-être qu’il savait que Dieu prédestinait cet enfant à devenir un grand général ou un évêque, et que pour cela le Malin lui a ôté ses jambes et ses bras. Qui sait ?"

L’oncle du l’enfant, qui était le parrain, en recevant le bébé afin de l’essuyer après son immersion dans les eaux baptismales, grogna : Quel enfant! Il n’a qu’une bouche et rien de plus…
"Nous ne savons quels plans a Dieu pour lui rétorqua le Pope. Pour ce qui concerne sa bouche à laquelle vous faites référence, avec elle aussi on peut faire de grandes choses. La bouche ne sert pas qu’à se nourrir. L’Écriture dit « qu’au début était le Verbe ». Tu verras bien : peut-être que ce n’est pas toi qui lui donnera à manger mais l’inverse.

Le petit Grégoire (Grisha) fut accueilli par sa famille, mais aussi son père au retour de la guerre. Ils lui firent un petit chariot spécial. Ses frères l’emmenaient partout. L’enfant était toujours gai et souriant et très vite il gagna l’amour de tous les voisins d’Utiovka, à quelques 1200 km de Moscou, en direction de la Sibérie.

Le diacre du village venait à domicile lui apprendre à lire et à écrire. L’enfant appuyant sa poitrine contre la table et avec un crayon entre les dents, écrivait avec application ses lettres. Et ils découvrirent avec étonnement que le petit Grisha dessinait aussi. Ses voisins souvent le voyaient couché sur le sol, avec un charbon dans la bouche, ébauchant des gens, des animaux, des arbres…

Grisha, cet enfant joyeux et tellement spécial, demandait souvent à ses frères de l’amener à l’église. Là ils le portaient jusqu’à la hauteur de chaque icône et le petit regardait les images sacrées, il leur parlait et les larmes coulaient sur ses joues.

En 1873, Grisha était un jeune gars intelligent de quinze ans, et ses voisins et le gouverneur de la province de Samara l’envoyèrent étudier avec ses frères au collège de la capitale provinciale. Ils leur payèrent leurs études et le logement. Les autres élèves, après avoir vaincu leurs réserves vis à vis du nouveau compagnon infirme, l’aimèrent. Sa constante bonne humeur les surprenait, de même que la force de son courage, toutes deux si différentes des hauts et bas de l’humeur des jeunes « normaux ».

À Samara, Grégoire fit la connaissance des peintres d’icônes de l’atelier d’Alexis Seksiaev. L’atmosphère de l’atelier, plein d’images saintes et d’odeurs de peinture, le remplissait de joie. Un jour il osa montrer aux peintres ses ébauches. Les papiers passèrent de main en main et on entendit des exclamations d’approbation. C’est ainsi que Grégoire fut accepté dans l’atelier et commença le dur apprentissage de l’icônographie la plus fine.

On peignait les icônes pour être vues à la lumière des bougies, dans les églises, c’est pourquoi on les réalisait avec une illumination particulière. Le maître de l’atelier mit Grisha sur une table spéciale avec des courroies pour soutenir son corps au dessus des planches. Il lui donna un quinquet de trois mèches et suspendit au dessus de la table une sphère de verre remplie d’eau qui reflétait la lumière du quinquet et la transformait en un rayon puissant. Ce serait sa lumière.

Le frère de Grégoire apprenait ce que ne pouvait pas faire le garçon sans bras ni jambes: il fabriquait les planches, il préparait les peintures et les amalgamait d’or. Il mettait le pinceau dans la bouche de son frère et le jeune peintre commençait à dessiner des visages, des mains et des doigts, les images des saints et de la Bible.

C’était un travail très dur et la planche devait être horizontale pour que la peinture ne goutte pas tandis que le pinceau devait être tenu perpendiculairement à la surface. Avec les yeux si près de la planche et accroché au dessus de l’icône, au bout d’une paire d’heures, Grégoire était épuisé. Des spasmes musculaires lui venaient à la mâchoire du fait de l’effort prolongé. Pour lui ôter le pinceau de la bouche il fallait lui appliquer des compresses chaudes sur le visage. Mais le dessin était réalisé droit, ferme et fin. D’autres avec leurs mains ne pouvaient pas peindre comme Grégoire avec ses dents.

Les années passèrent. Le collège et l’apprentissage terminés, Grégoire et ses frères revinrent à Utiovka. Là Grégoire continua à peintre des icônes dont on lui adressait commande. Les gens faisaient désormais la queue pour obtenir ses icônes. En plus de leur finesse et beauté, il s’agissait d'oeuvres « non faites de la main humaine » ce qui leur conférait une touche supplémentaire de sainteté. La foi faisait dire à son entourage que si, un infirme sans jambes ni bras, réussissait à peintre une icône dans des conditions si dures, c’était par l’action de Dieu.

La liste d’attente pour les commandes s’étalait sur des années entières. Grégoire commença à gagner sa vie, il organisa un petit atelier personnel et il prépara quelques assistants, il prit avec lui son oncle, son parrain de baptême, veuf et devenu vieux. Ainsi s’accomplit la prophétie : le vieil oncle fut nourri par le neveu sans bras ni jambes.

Vers 1885, à Utióvka on commença à construire une église dédiée à la Sainte Trinité. On invita Grégoire à peindre les fresques du nouvel édifice. Pour le soutenir sous la coupole, on fabriqua des échafaudages spéciaux, selon un croquis de Grégoire lui-même. Son corps accroché à des courroies pouvait se déplacer dans toutes les directions. Avec lui travaillait son frère aîné et un autre assistant qui le déplaçaient, ils préparaient la peinture et lui donnaient les pinceau. C’était un travail dans une position incommode, durant des heures. Il n’était soutenu que par une constante prière au Christ et à la Mère de Dieu.

Les courroies provoquèrent des plaies à la ceinture, aux omoplates et à la nuque. Les lèvres furent crevassées, les dents de devant s’abîmèrent et sa vue diminua énormément. Quand après une journée de travail épuisant. Grégoire ne pouvait même plus prendre une bouchée tellement il souffrait de la bouche, son frère disait en pleurant : « Tu en un vrai martyr, Grisha ». Lors de la consécration solennelle de l’église, Grégoire, malade, ne put venir.

Un jour vint au village un messager du gouverneur avec une lettre très spéciale: le ministre de la Cour impériale invitait Grégoire à Saint Pétersbourg. Comme toujours Grégoire se mit en route avec ses frères. À la capitale tout le monde voulait le connaître: des collectionneurs d’art qui se battaient pour lui passer commande d’icônes, et des médecins désireux d’étudier son cas comme invalide aux étudiants des Beaux Arts, aux dames de la Cour curieuses. Finalement l’empereur Alexandre III (ndt 1845-1894) accompagné de son épouse l’impératrice Marie Fedorovna (ndt fille du roi du Danemark) lui rendit visite. Alexandre s’assit à côté de Grégoire et l’impératrice commenta à son mari en français : « Comme il a un visage agréable de soldat ». Les gens qui étaient avec Grégoire montrèrent au couple impérial les icônes de l’artiste et en donnèrent une à l’impératrice. Le Tsar demanda à Grégoire qu'il lui montrât comme il travaillait. À l’issue de la visite de l’atelier, il l’embrassa sur le front et lui donna sa montre en or. Le lendemain, par un décret spécial, il assigna à Grégoire une pension et un véhicule à vie.

Une icône peinte par Grégoire

Grégoire et ses frères restèrent trois ans dans la capitale puis revinrent dans leur village natal. La vie villageoise était simple : à la première heure Grégoire allait à l’église qu’il avait peinte lui-même. Les voisins racontent que souvent il y allait en se roulant sur l’herbe depuis sa maison jusqu’au bâtiment qui était à côté, en se passant de l’aide des autres. Il y allait en chantant d’une voix claire et puissante. Il enchantait les enfants du village et souvent pour les amuser il prenait un fouet entre les dents et le faisait bouger en produisant des claquements assourdissants. Il déjeunait ensuite et il baignait dans un monde pur et saint, libre des bassesses et faiblesses humaines. Ainsi sur des planches de tilleul et de cyprès, son talent donné par Dieu donnait vie à un Évangile en couleurs.

Grégoire peignit de très nombreuses icônes. Il fut célèbre dans toutes la Russie et dans d’autres pays orthodoxes. Mais en 1916, durant la guerre contre l’Allemagne, il tomba malade et remarqua que sa joie de toujours l’abandonnait. Dans un songe il eut une révélation : «D’ici peu plus personne n’aura besoin de moi et de mes icônes ». Il mourut peu après.

Vint la Révolution qui allait libérer l’homme de la superstition religieuse. Les communistes détruisirent le clocher et aplatirent la tombe du peintre avec les véhicules à chenille de leurs excavatrices. Les piques bolcheviques arrachèrent les icônes des murs de son église. Et comme c’était habituel en Union Soviétique, l’on chercha une nouvelle utilisation à l’église: elle devint un magasin pour stocker les légumes. La nuit en secret les communistes amenèrent les icônes de bois de l’église au rucher du kolkhoze pour fabriquer des ruches. Mais on les sauva par miracle : l’apiculteur Dimitri Lobachiov, également en secret, répartit les icônes entre les villageois qui lui apportèrent un nombre correspondant de planches et ils cachèrent les saintes images, peintes sans main humaine, pour les soustraire à la persécution communiste.

Le régime communiste qui devait transformer le monde dura 70 ans. En 1989 l’église de la Sainte Trinité fut rendue à la communauté orthodoxe. L’administration communale dédia une somme d’argent pour la restauration du clocher. Huit cloches furent apportées. Sur la plus grande, en honneur du peintre, était écrit : « Grégoire ».

Les icônes cachées pendant des décennies commencèrent à revenir. Quelques unes revinrent endommagées. Ainsi, une image qui, grâce à sa décoration typique dorée avait été dans un musée de collège, portait des marques de profanation et avait un aspect lamentable. Une autre, tellement grande qu’elle n’avait pas sa place sur le mur d’une maison villageoise, avait été coupée en son milieu.

Une des voisines la plus vieilles dUtiovka put indiquer le lieu où avait été enterré Grégoire. Aujourd’hui sur sa tombe se dresse une croix orthodoxe. Les compatriotes du peintre promeuvent sa canonisation. La notoriété de sainteté est déjà là, on est en attente des miracles. La voix populaire lui a déjà donné la catégorie de protecteur céleste de sa terre natale.

En 2008 on a célébré à Samara le 150ème anniversaire de la naissance de Grégoire Zhuravlio. L’écrivain Serguey Zhigalov, auteur d’un livre ayant pour but tout spécialement de faire connaître la vie de cette extraordinaire fils de la terre de Samara, a été interrogé par le correspondant d’un journal russe :
- Est-ce que votre travail sur le peintre des icônes sans bras ni jambes a été pour vous d’une quelconque influence ? Est-ce que Gregori Zhuravliov vous a aidé à comprendre plus profondément la foi ?
- Oui, a répondu Zhigalov, - La personnalité de Zhuravlio m’a amené vers Dieu.

Comme disait Leskov (ndt Nikolaï Semionovitch Leskov 1831-1895, écrivain et journaliste russe, considéré par beaucoup comme le plus russe de tous les écrivains russes), il m’a fait toucher le bord du manteau du Christ. Sans comprendre la foi orthodoxe c’est impossible d’écrire un livre ainsi. Au cours de son élaboration j’ai fait la connaissance de la Mère Agnia, une religieuse du monastère de Notre Dame d’Iver, qui est responsable d’un atelier d’icônes. Et peu à peu moi-même j’ai commencé à fréquenter l’église les dimanches, à me confesser et à communier, lire la vie des saints. Et maintenant, après avoir écrit ce livre, je ne peux plus vivre d’une autre manière.

Droits d'auteur pour le Pape Parvis des Gentils à Paris (3)