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Habemus Papa (le film!)

A une semaine de Canne, où le film est en compétition, les critiques de Francesco Colafemmina (Fides et Forma) et Vittorio Messori (4/5/2011)

Nous sommes à une semaine du festival de Canne, la grand'messe du cinéma intello-barbant, qui se déroulera du 11 au 22 mai prochain.
L'un des films-vedette en compétition est l' "Habemus Papam" de Nanni Moretti, que nous avons déjà évoqué à travers les "critiques" d'Andrea Tornielli (plutôt indulgent. Il semble soulagé de l'avoir trouvé moins méchant que ce qu'il attendait; il parle d'un film à ne pas prendre trop au sérieux), et de Salvatore Izzo, qui n'a pas vu le film, et n'ira pas le voir, estimant que ce n'est pas aux catholiques de lui faire gagner de l'argent... et surtout, que nous, les catholiques, le Pape, nous l'avons!)

Voici deux autres articles assez représentatifs du point de vue catholique: ceux de Francesco Colafemmina, du site Fides et Forma, et de Vittorio Messori, paru dans "Il Corriere della Sera", et reproduit sur son blog personnel, "et-et".

Les deux hommes n'ont pas la même sensibilité, et surtout, une génération les sépare, ce qui explique largement les différences de ton.
Francesco Colafemmina, de tempérament combatif, est sévère; il a essayé de "lire" le message subliminal envoyé par Nanni Morretti et qui est, selon lui: l'Eglise doit "changer". J'ai d'ailleurs cru comprendre que le film s'achève sur "la fin de l'Eglise". Comme si ces gens prenaient leurs désirs pour des réalités.
Vittorio Messori est plus indulgent, philosophe (au sens, ici, de sage). Il propose sa lecture du film (pas anticlérical...) et y voit surtout le témoignage d'un monde qui a fini par se lasser du dialogue et de la confrontation, des invectives et de l'enthousiasme, d'un monde où chacun tient à son idée - s'il en a une - et est trop ennuyé pour vouloir convaincre les autres.

Au final, et sans avoir vu le film (je n'irai sans doute pas), j'ai l'impression que dans sa façon de ménager le clergé, Moretti coupe l'herbe sous le pied à ses détracteurs (à lire certaines critiques, il pourrait avoir réussi) et se révèle un habile commerçant.
Le film n'est donc pas anti-clérical. Il est anti-ecclésial, ce qui est à la fois plus grave, et plus profond.
Ceci dit, j'aimerais beaucoup savoir ce qu'en pense le saint-Père...

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Francesco Colafemmina


Mardi 26 avril 2011
"Habemus papam", et ce désir d'effacer Benoît XVI de l'histoire
Francesco Colafemmina

Le film "Habemus Papam" peut être lu suivant plusieurs lignes directrices. Nous pouvons le considérer comme une réflexion sur l'inadéquation d'un homme appelé à une grande tâche, sur l'obsolescence de la hiérarchie ecclésiastique, sur le désir d'un homme de religion d'être parfois un simple laïc, se dépouillant de la soutane et de la mozette. Je l'ai lu plutôt comme une condamnation dramatique et "intellectuelloïde" de la papauté de Benoît XVI.

Le film commence avec des images du corps de Jean-Paul II, suivies de celles de son enterrement. Images d'archives, peu cinématographiques, plus dignes d'un documentaire. A ces images succède l'incipit de l'histoire morettienne, avec une théorie de cardinaux marchant vers la Chapelle Sixtine. L'histoire est désormais connue de tous: un vieux cardinal, rappelant le pape Jean (ndt: XXIII) est élu pape. Le Cardinal accepte la charge, mais à peine le proto-diacre a-t-il proclamé l'annonce "eccellentissimum ac reverendissimum dominum...", que voilà le nouveau pape lançant un cri horrible et s'enfuyant vers la chapelle Sixtine. Le Pape, en substance, n'a aucune envie de faire le Pape; déjà ici le spectateur pourrait se demander: alors, pourquoi a-t-il accepté? Mais au contraire, non ... Commence alors une série de numéros cardinalices (les cardinaux sont toujours de mignons petit vieux, trop mignons et trop bons à mon goût), culminant avec l'entrée en scène du psychologue Moretti. Le pape ne parvient pas à s'ouvrir aux lumières de la psychanalyse, et donc le porte-parole du Vatican d'origine polonaise (mais de méthodes staliniennes) décide de l'emmener secrètement, en civil, chez la femme du psychologue, elle aussi psychologue ... Et le Pape en civil s'enfuit et vagabonde dans Rome, il ne prie pas et ne dit pas la messe, il est en recherche d'identité, jusqu'à ce qu'il rencontre une troupe théâtrale, et se passionne pour la Mouette de Tchekhov, qu'il connaît depuis sa jeunesse, quand il était un fan de théâtre.

Aujourd'hui, tout le monde sait que Jean-Paul II, quand il était jeune, a été acteur, mais cette explication de la fuite théatrale du Pape renonciateur n'est qu'une solution à portée de main pour une histoire qui doit être lue non pas pour ses lumières, mais plutôt pour ses ombres, ses sous-entendus, les références à la réflexion sérieuse du réalisateur Nanni Moretti, qui ne se confond certes pas avec le cynisme histrionique de l'acteur Moretti.
Ainsi, nous mettrons en évidence certains éléments qui - paradoxalement - ont échappé à presque tous les critiques qui ont versé des fleuves de mots sur ce petit film sans réelles ambitions cinématographiques.

Tout d'abord, la première fausse note concerne le caractère névrotique et colèrique du nouveau du Pape: nous avons déjà évoqué le hurlement rageur, juste avant la proclamation, après quoi le Pape brise un verre, répond de façon bourrue et furieuse à une employée venue lui apporter de l'eau, alternant des moments de catatonie avec des moments de réflexion. En particulier, tandis que ce pape épuisé, à bord d'un tram, répète à haute voix son discours hypothétique depuis le balcon de Saint-Pierre, affirmant: "souvent, nous avons très peur d'admettre nos fautes"

À partir de cet élément - les fautes de l'Eglise - tout devrait commencer à s'éclairer. En effet, peu de temps après, voilà que le Garde suisse, que le porte-parole de la salle de presse a placé dans les appartements du pape afin de faire croire aux cardinaux encore officiellement enfermés en conclave que le pape est dans sa chambre, fait diffuser une chanson. Laquelle? Bien sûr, une chanson révélatrice: "todo cambia" (tout change), de la chanteuse argentine Mercedes Sosa.

Juste pour vous donner une idée du message, je reproduis ici une strophe:

Cambia lo superficial
cambia también lo profundo
cambia el modo de pensar
cambia todo en este mundo.

Le changement devient ainsi un élément clé pour comprendre le sens de ce film. Et en effet, alors que les Cardinaux à mi-chemin entre l'abrutissemnt sénile et l'hébétude, claquent des mains et se balancent en écoutant le morceau, le Pape en civil dans les rues de Rome écoute un groupe de jeunes (ah! les jeunes!) qui chantent la même chanson.

Changement! L'Eglise a besoin de changement, et à la place, voilà une bande (torma = horde?) de cardinaux dans leurs vieux vêtements, attachés à l'étiquette, confinés dans des bâtiments dont ils ne peuvent pas sortir, voilà un pape qui est à l'étroit dans sa mozzette et ne supporte pas le col. Voilà l'homme vrai, celui dont l'inadéquation n'est pas seulement une affaire personnelle, mais est un symbole (ce qui explique pourquoi le Pape n'a pas le nom) de l'inadéquation de toute une génération de prélats à comprendre le monde, à vivre le changement de l'époque contemporaine.

A présent, je vous demande: qui est le successeur de Jean-Paul II? Un cardinal nommé Joseph Ratzinger. Par une forme de respect envers le pape actuel, l'acteur choisi par Moretti ressemble à Jean XXIII, c'est un petit vieux débonnaire et un peu névrotique. Il a une passion pour le théâtre - réminiscence wojtylienne - et il est donc très différent de Benoît XVI. Tout ceci, à mon avis, juste pour éviter de froisser les sensibilités de nombreux catholiques. Comme par hasard, toutefois, l'unique cardinal allemand du film est un parfait incompétent, un homme dénué de sens pratique, qui semble vivre dans les nuages...

La conclusion est des plus choquantes. Le pape de retour, sous la pression des cardinaux, à Saint-Pierre, apparaît finalement à la loggia et tient un bref discours à la foule en délire. Qu'est-ce qu'il va dire? Eh bien, maintenant, nous le savons: "Aujourd'hui, l'Eglise a besoin de grands changements, de rencontre avec tous, de capacité de compréhension". Mais lui n'est pas en mesure d'offrir tout cela, il se sent inadéquat, et donc il renonce. Tragédie! Avec en fond le Miserere d'Arvo Part, les cardinaux pleurent, la foule est en deuil, l'Église semble être à la fin, mais le film s'achève.

Faisons donc un retour en arrière et essayons de comprendre ce que le film veut nous dire. Jean-Paul II meurt et les cardinaux doivent élire un nouveau pape. Personne ne voudrait être élu, tout le monde sait qu'il est impossible de tenir la comparaison avec Karol "santo subito". Toutefois, un vieux cardinal devient pape ... mais là, l'histoire se détache de la réalité. Ce n'est pas Benoît XVI qui accepte malgré son insuffisance, et semble plonger l'Eglise dans un hiver rigoureux avec tous les faux pas, les affaires Ratisbonne et Williamson, les opinions sur le préservatif, les déclarations maladroites, la participation à la couverture des cas de la pédophilie dans le clergé, etc. etc. Non, celui qui été élu pape, c'est un homme qui a conscience d'être inadéquat, de représenter une hiérarchie momifiée dans ses petits tics, son incapacité à comprendre le monde, sa façon de se contenter d'une réalité ouatée et moisie. Cet homme est vraiment courageux, car, en dépit de son anxiété et de sa dépression, il aura la force à démissionner. L'Eglise a besoin de changer, de venir à la rencontre du monde et lui, il n'est pas en mesure de donner suite au changement.

Le rêve de l'intelligentsia non anti-cléricale, mais profondément laïque, qui ne déteste pas l'Église, mais la souhaiterait mise à jour, la voudrait jeune, changée, contemporaine, c'est le rêve de Moretti qui imagine un Ratzinger renonçant.
Imagine un pape qui ne veut pas causer d'autres dommages à l'Église par son insuffisance, mais qui sait se retirer le jour de son élection.

Le film n'est pas anti-clérical, mais il m'a profondément troublé. J'ai été particulièrement troublé d'apprendre que le scénario du film avait déjà été lu par un cardinal (ndt: Ravasi) ... Et je suis troublé par la tendresse de la presse catholique, incapable d'approfondir la lecture d'un film, au-delà de la constatation de l'absence de thèmes anti-cléricaux.

La coïncidence de la sortie du film avec la date de la béatification de Jean Paul II, non seulement augmente en moi la conscience que Papa Benedetto XVI continue d'être un Pape dérangeant, un Pape que beaucoup voudraient effacer de l'histoire, malgré ses tentatives d'être compris aussi par ces «loups» toujours prêts à l'attaquer. Et cela, en tant que catholique, ne me fait certes pas crier à l'excommunication ou à la censure pour un intellectuel du calibre de Nanni Moretti, mais cela me peine et me fait invoquer d'autant plus la protection de Dieu sur notre bien-aimé Saint-Père.


Vittorion Messori


15 avril 2011

Sur les salles du Conclave, le regard du metteur en scène.
Ni ironie, ni conversion

Vittorio Messori

Ce n'est certes pas une annonce de conversion du laïque Moretti, mais ce n'est pas non plus le ricanement de l'héritier d'une gauche "bouffeuse de curé". Ce film n'édifiera pas les catholiques, mais ne réjouira même pas les athées. Et ceux qui s'attendaient à des réflexions sur la vie et la mort entre un psychanalyste incrédule et le collège entier des cardinaux seront déçus. Prisonniers des salles du Vatican, après la fin du conclave, les vieux cardinaux en "robe de chambre " (vestaglia) font des réussites, jouent à la scopa [jeu de cartes très populaire en Italie] (en contestant le score), font des puzzles, ou se détendent en fumant dans un fauteuil. Quelques-uns projettent de sortir en catimini, pour un cappuccino ou une crème de cassis. Ils ne vont pas frapper, en passionnés de la condition humaine, à la porte de la pièce où est reclus, lui aussi, à la mode de la bourgeoisie romaine, le psychanalyste. Mais celui-ci (joué par Moretti lui-même) n'a lui non plus aucune curiosité métaphysique et ne profite pas de l'occasion de se confronter à l'entier Sanhédrin de l'Église catholique. Il feuillette la Bible, certes, mais parce que, se plaint-il ironiquement, c'est le seul livre qu'il ait trouvé sur place.
Habemus Papam de Nanni Moretti peut se prêter, comme c'est toujours le cas, pour ce que cela vaut, à plusieurs lectures. A nous, il a semblé être le témoignage d'un monde qui a fini par se lasser du dialogue et de la confrontation, des invectives et de l'enthousiasme, d'un monde où chacun tient à son idée - s'il en a une - et est trop ennuyé pour vouloir convaincre les autres. Le pape nouvellement élu (l'octogénaire mais toujours très bon Michel Piccoli) a prié intensément pour ne pas être l'élu de l'Esprit Saint, véritable inspirateur du conclave.
Moretti, en fait, retourne immédiatement les cartes: toute la littérature anticléricale nous parle de cardinaux cyniques et ambitieux qui n'hésitent pas à aller jusqu'au crime pour sortir de la Chapelle Sixtine avec la robe blanche pontificale. Ici, c'est le contraire: tous se recommandent à Dieu, pour que leur soit épargné le poids de la croix papale. L'apostolat est un travail difficile, qui exige un engagement, pour essayer de convaincre les incrédules, mieux vaut qu'il revienne à d'autres.
En fin de compte, il revient à un vieux cardinal, avec un accent français, joué par Michel Piccoli. On lui arrache une acceptation hésitante, on parvient à l'habiller des habits pontificaux, le cardinal proto-diacre (à qui revient la proclamation officielle devant le peuple) apparaît dans la loggia de Saint-Pierre, mais à son Habemus Papam! répond le cri perçant de l'élu, un refus de se présenter face à la foule en liesse, et même l'interdiction de prendre un nom. De là une situation imprévue, non seulement par le droit canonique, mais aussi par toutes les coutumes et les traditions d'une église qui a tout vu dans son histoire deux fois millénaire. Après avoir tenté de convaincre le réticent par tous les moyens, finalement, l'isolement du conclave est rompu pour faire entrer le fameux psychanalyste. Et là s'accumulent les signes de tolérance (ou d'indifférence?) pour les idées des autres. Le Cardinal Doyen, en effet, accueille le spécialiste avec cordialité et avec scepticisme, lui disant clairement qu'on a voulu essayer aussi avec lui; il tient cependant à préciser qu'il croit à l'âme, mais pas à l'inconscient. Moretti sourit, mais ne réplique pas. Le cardinal ne répliquera pas non plus quand il évoquera le «dessein intelligent» de Dieu dans Sa création, puis viendra la réponse toute prête du psychanalyste qui parle de la "grandeur de la perspective de Darwin", de la beauté morale d'accepter que tout, y compris les hommes, soient nés à partir du hasard et de l'évolution. Il s'agit juste d'un échange fortuit, tandis que tous deux arbitrent un grotesque tournoi de volley-ball entre les vieux cardinaux. Echanges sur les systèmes de pensée, mais sans résultat, personne ne veut (je l'ai dit) convaincre l'autre. À cette fin, Moretti fait tout, comme réalisateur et acteur. L 'image qu'il nous donne de l'Eglise est débonnaire, elle n'a rien de polémique ou de caustique, même avec les habituelles faciles références à la pédophilie ou à l'IOR. Les Princes de l'Eglise sont une bande de petits vieux plus ingénus que rusés, les visages pleins et les corps massifs rappellent le Pape Jean, il y a quelque profile sec, de pasteur bourru, évoquant le cardinal Tonini. Brave diable, plus gaffeur que malin, le seul laïque de l'équipe, le porte-parole du Vatican, joué par Jerzy Stuhr. C'est aussi une Église aimée des gens, comme en témoigne la foule qui bivouaque patiemment sur la place Saint-Pierre en attendant enfin de savoir qui est le nouveau pasteur pour l'acclamer.
Nul besoin, donc, de chercher ici une polémique anti-cléricale. Les apologètes catholiques n'auront pas à intervenir en défense de l'Église.
Mais cela ne donne pas pour autant au film une quelconque imprimatur, comme certains l'ont compris à tort. Une paire d'années plus tôt, Moretti a demandé à Mgr. Gianfranco Ravasi, pas encore cardinal mais déjà officieusement "ministre de la Culture" du Vatican, de donner un coup d'oeil à une ébauche de projet du film. Ravasi, homme disponible et courtois - comme le savent ceux qui le connaissent - a accepté et a trouvé le texte "intéressant", espérant que la mise en oeuvre serait adéquate. Mais comme l'a souligné le désormais cardinal, le contact ne sera pas suivi par d'autres, pour ne pas donner l'idée d'un aval et laisser sa liberté à l'artiste. Moretti, de cette liberté - pour un catholique, au moins - n'a pas abusé. Mais, tout en respectant l'institution, son Église a pour icône un pape qui a peur de l'être; un pape qui n'a pas perdu la foi, mais qui n'attend ni l'aide ni le soutien du Christ qui l'a appelé à être son vicaire. Un pape qui croit encore dans l'Evangile, mais qui préfère une placide retraite à la fatigue de le proclamer.
"Un éloge de l'inadéquation", a déclaré Moretti. Pourtant, Dante, pour ce Célestin V, qui a démissionné de la papauté, a parlé de «lâcheté». Perspectives différentes. Mais l'auteur de ce Habemus Papam nous conseille de laisser tomber toute confrontation. Que chacun cultive son jardin et laisse en paix celui de l'autre.

© Corriere della Sera

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