Benoît XVI et l'Europe
Une trouvaille splendide: une conférence du Frère Divry, op ( dominicain), datant de 2005.(12/5/2011)
Elle permettra peut-être de faire justice d'un des deux gros mensonges qui court sur le Saint-Père dans certains milieux. Celui-là concerne le prétendu "oui" à l'entrée de la Turquie dans l'UE.
Certes, le Saint-Père n'a pas les mêmes responsabilités que le cardinal , et vaut ici ce que disait le Pape (Pie II) en confrontation avec sa pensée comme simple prêtre (Aeneas Silvio de Piccolomini) – " Aeneam reicite, Pium recipite ", transposable ici, en cas de contradiction avérée : " Iosephum reicite, Benedictum recipite (repoussez Joseph, accueillez Benoît)." (ndlr: par un hasard extraordinaire, nous en avons parlé récemment ici Joseph Ratzinger explique Jean-Paul II (1) )
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Malgré tout, il serait étonnant qu'il y ait un tel fossé entre les deux attitudes.
(Image ci-dessus: Le songe de Paul. Voir ici: http://benoit-et-moi.fr/2009-II/... )
Une lectrice m'ayant demandé où l'on pouvait se procurer le texte intégral en français de la conférence prononcée le 1er avril 2005 par le cardinal Ratzinger, à la réception du prix "Saint Benoît pour l’Europe" décerné au monastère Sainte Scholastique à Subiaco (j'en ai parlé ici http://benoit-et-moi.fr/2010-I/... ), j'ai cherché sur Internet si le texte était disponible online. Je n'ai pas trouvé, ma lectrice si, finalement (merci à Brigitte P), on peut donc lire le texte ici: http://pelerinageromeassise.hautetfort.com/...
Conférence à Subiaco
Ma vaine recherche m'a toutefois fait tomber miraculeusement sur une autre conférence, tenue en décembre 2005 par le Frère Edouard Divry o. p, sur le thème: Découvrir Benoît XVI
Malgré la modestie de l'auteur, il s'agit d'un travail de synthèse remarquable, avec un appareil bibliographique considérable.
Lire ce texte, six ans après l'élection, c'était vraiment une divine surprise. Comme quoi, internet, c'est parfois le meilleur.
Je n'ai pas reproduit le texte en entier, encourageant mes lecteurs à se rendre sur le site.
Introduction
Cette conférence cherche à rassembler sur l’Europe les aspects principaux de la pensée de Joseph Ratzinger lequel convient volontiers lui-même avoir pu évoluer au cours de ses missions ecclésiales successives. Dans ce dessein, nous donnons la liste des ouvrages qui nous ont servi à mieux connaître sa pensée dans la bibliographie finale, à partir de laquelle il faudrait re-situer chaque citation en respectant l’ordre chronologique des textes et l’autorité des fonctions successives (théologien, archevêque, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi).
En cas de contraste de pensée, il faudrait naturellement se fier aux écrits ayant davantage d’autorité. Bien plus, selon l’allusion comparative que Joseph Ratzinger a donnée de lui-même à propos d’un Pape (Pie II) en confrontation avec sa pensée comme simple prêtre (Aeneas Silvio de Piccolomini) – " Aeneam reicite, Pium recipite " (DzH, n. 1375) –, on pourrait dire à l’avenir en cas de contradiction avérée : " Iosephum reicite, Benedictum recipite (repoussez Joseph, accueillez Benoît)."
La modeste (!!!) conférence proposée ne permet pas d’effectuer un travail diachronique (ndt: c'est-à-dire permettant d'étudier l'évolution à travers le temps) qui pourrait faire l’objet d’une étude intéressante. Néanmoins, on a recherché à préserver l’entière homogénéité de la pensée de Joseph Ratzinger à travers ce bref survol de ses œuvres traduites en français. Les premiers textes de Benoît XVI manifestent la validité de cette présentation.
Après une notice biographique détaillée, et un paragraphe consacré à l'élection (1), un long développement s'intitule L’Europe politique, aux yeux du Vicaire universel.
Y sont référencés des considérations du préfet de la CDF, avec en particuler la dernière interviewe sur l’Europe du Préfet Joseph Ratzinger dans le Giornale del Popolo du Tessin , en septembre 2004 (2), puis les interventions de Benoît XVI, Pape, avec, en particulier, un entretien qu'il avait accordé au père E. von Gemmingen, responsable de Radio Vatican en allemand, avant de se rendre à Cologne, pour les JMJ de 2005.
Et voici la conclusion (je n'ai pas reproduit les références très minutieuses, qu'on retrouvera sur le site):
Conclusion
Si Joseph Ratzinger a montré qu’il avait une profonde capacité à analyser la situation de chaque pays européen pris un à un, il a proposé aussi des synthèses lesquelles illuminent les enjeux de la construction actuelle de l’Europe. Il a signifié l’existence de trois idéologies qui menacent ou ont menacé l’Europe :
- 1/ le retour à une ère pré-chrétienne comme le proposait le nazisme, c’est-à-dire un réveil des forces sauvages païennes; ou de manière équivalente le retour à la Loi comme le propose l’islam.
- 2/ la fuite en avant dans la situation actuelle où la subjectivité est reine, où la raison se croit totalement autonome et où Dieu, principe d’objectivité pour tout le créé, est repoussé dans le domaine privé.
- 3/ le communisme, synthèse des deux premiers maux.
Plus tard, Joseph Ratzinger enseignera qu’il continue à exister depuis 1989 – année de la destruction du mur de Berlin – un totalitarisme occidental de la raison technique associé à la destruction de la conscience morale : une " jonction entre la foi dans le progrès, une civilisation exclusivement scientifique et technique et le messianisme politique " . " Je soutiens que même en dehors de la pensée marxiste, cette combinaison est réelle dans le monde occidental, sous des formes moins rigoureuses " .
Face à ces trois calamités indépendantes historiquement, il existe cependant quatre hérédités qui constituent l’identité européenne à défendre : l’héritage hellénique, l’héritage chrétien, l’héritage latin, l’héritage de l’époque moderne (résumé ici en une ‘séparation’ entre loi et religion).
Joseph Ratzinger propose aussi quatre thèses pour l’Europe future:
- 1/ Continuer à soutenir l’intime connexion entre démocratie [sans manipulation] et eunomie (juste loi).
- 2/ À l’inverse des mouvements athées, il faut développer le respect commun pour les valeurs morales et pour Dieu avec les obligations morales qui en découlent pour le droit public.
- 3/ Alors que les nationalismes se dressent toujours contre le futur de l’Europe, il faut soutenir les réalités culturelles fortes qui pourraient à leur tour épauler les réalités économiques et politiques qui à elles seules ne peuvent subvenir à l’unification actuelle.
- 4/ Soutenir la protection des libertés, c’est-à-dire la reconnaissance des droits fondamentaux, conquête moderne
Par ailleurs, Joseph Ratzinger comme Cardinal-Préfet a milité pour une Charte des droits fondamentaux incluse dans la Constitution européenne, impliquant trois critères organiques à défendre:
- 1/ le primat des droits fondamentaux, au-dessus du fait politique quel qu’il soit; c’est-à-dire la nécessité de proclamer une base " pré-politique " de la morale
- 2/ L’identité européenne doit passer par la reconnaissance du droit de la famille monogame, alors que la charte du projet constitutionnel était viciée par l’idéologie du gender.
- 3/ Si le respect dû au Judaïsme et à l’Islam s’avère être un bien réel, il est absurde que, de manière courante, "lorsqu’il s’agit du Christ et de ce qui, pour les chrétiens, est sacré, une totale liberté d’opinion apparaît alors comme le bien suprême ; [qu’] y mettre une limite serait considéré comme une menace de la tolérance et de la liberté en général"
Soyons réalistes, ces critères minima de la raison droite (recta ratio) ne peuvent être maintenus sans souffrance: "Apprendre à vivre signifie aussi apprendre à souffrir, ce qui requiert encore le respect du sacré ".
Dans plusieurs de ses écrits Joseph Ratzinger a développé l’idée de maladies qui atteignent profondément l’homme, selon deux types :
- 1/ les maladies des religions lorsqu’elles s’aventurent dans l’irrationnel de la coaction et de la violence comme le font l’islamisme, le fondamentalisme, les sectes, mais aussi ce que furent les camps de concentration organisés par l’athéisme militant, cette religion séculière intrinsèquement mauvaise.
- 2/ Les maladies de la raison quand l’unique critère de discernement devient la capacité humaine de réalisation sans plus aucun rapport avec ce qui est juste. L’axiome de ces maladies s’exprime ainsi : ce qui est faisable, c’est ce qui est valable. Et nous avons l’usage de la Bombe atomique, et les autres atteintes à la vie comme la Pilule contraceptive, la Pilule abortive, la recherche incontrôlable sur les embryons et sur les cellules reproductives humaines, l’abus des biens naturels en tout genre. Ces maladies doivent se guérir dans un double mouvement réciproque : la raison au secours de la religion, la religion au secours de la raison !...
Quant à Joseph Ratzinger, il affiche malgré tout ce qui précède un credo serein dans la reconnaissance de nos racines : " La grandeur de l’Europe repose sur une sagesse dans laquelle la raison n’oublie pas, au-delà de toute quête et de toute science, son bien le plus haut : être la faculté du divin ".
Fr Edouard Divry o. p.
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Notes
(1) L’élection
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Le cardinal Ricardo Maria Carles Gordo archevêque émérite de Barcelone, sans trahir le secret de l’élection de Benoît XVI a déclaré : " Lorsqu’un candidat obtient les deux tiers des votes, le Doyen du Collège cardinalice lui demande s’il accepte la charge. Dans ce cas, toutefois, le Doyen était le cardinal Ratzinger ; ainsi la question fut posée par le Vice-Doyen, le cardinal Sodano, Secrétaire d’Etat. Et le cardinal Ratzinger a répondu en latin : " Malgré mon indignité, par obéissance j’accepte ". Ensuite ayant déclaré son nouveau nom, le pape a éclairci les raisons de son choix toujours en latin : " L’admiration qu’il portait à Benoît XV, qu’il considérait comme un maître.""
Après avoir consenti à sa nouvelle charge, le pape s’est isolé dans le salon des larmes qui jouxte la chapelle Sixtine où il a revêtu l’habit blanc : " De retour dans la chapelle Sixtine, tous les cardinaux ont embrassé le pape. À ce moment-là, a déclaré le cardinal Carles, j’ai vu le cardinal Meisner qui pleurait comme un enfant, profondément ému. On voyait que c’était son ami."
Quant au Cardinal Meisner, il a déclaré : " Je connais le pape depuis 35 ans – il est intelligent comme douze professeurs et dévot comme un premier communiant –, et nous sommes amis " (interview du 4 mai à " La Razon", quotidien espagnol).
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(2) Invité à un congrès à Velletri (Latium), consacré à l’exhortation apostolique Ecclesia in Europa, le cardinal Ratzinger a évoqué le vendredi 17 septembre 2004, la question des racines chrétiennes de l’Europe, c’était quelques jours avant l’avis que la Commission européenne devait prononcer sur les progrès de la démocratie en Turquie, et son aval sur l’ouverture de négociations officielles en vue de son adhésion à l’Union européenne. En mai dernier, le cardinal Camillo Ruini, président de la conférence des évêques italiens, "avait lui aussi exprimé quelque perplexité devant cette éventualité". En France, c’est le cardinal Philippe Barbarin, qui a exprimé les mêmes doutes, la veille de la visite de Jean-Paul II à Lourdes, invitant chaque partenaire à s’enraciner d’abord dans sa propre identité.
C’est l’idée même du cardinal Ratzinger : "La Turquie doit être respectée dans ses valeurs identitaires", car elle a "une autre mission à accomplir" Cette mission, c’est celle de "pont culturel", entre l’Europe et le monde arabe. Précisément, "la Turquie devrait former un continent culturel" avec les pays arabes, même si "le moment n’est pas propice, à cause des tensions existantes".
Toujours modeste, le cardinal a déclarer se prononcer sur cette question en tant que "petit historien qui a toujours conservé amour et attention pour cette discipline". Pour l’historien Ratzinger, l’Europe est un concept non pas d’abord "géographique" mais "culturel", qui s’est forgé au cours d’un processus historique parfois conflictuel, et fondé sur la foi chrétienne.
Le cardinal fait observer que l’empire ottoman a toujours été en opposition avec l’Europe. Même si, dans les années vingt, Kemal Attaturk a construit une Turquie laïque, elle demeure le noyau de l’ancien empire et a un fondement islamique. Elle est ainsi très différente de l’Europe, qui est elle-même un ensemble de nations laïques, mais avec un fondement chrétien, même si elles semblent aujourd’hui le nier.
L’entrée de la Turquie dans l’Union européenne serait donc, selon le cardinal Ratzinger, "anti-historique". Ce serait aller à l’encontre de "l’âme européenne" et des réalités, et donc une "grande erreur", et la conséquence de raisons économiques. "Mais quelle Europe aurions-nous, qui serait construite seulement sur l’économie?", s’est demandé le cardinal.
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