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La voix du Pape


Noël Les collages de Gloria Bénin Blasphème au théâtre Indignés Assise Allemagne (suite) 2011: L'Année Benoît

Homélie des vêpres à Serra San Bruno

Devant les Chartreux, le Saint-Père fait l'éloge du silence et de la contemplation. Ma traduction (10/10/2011)

Voir aussi:
-> Homélie à Lamezia Terme
-> A la chartreuse de Saint Bruno

Rappelons que le thème choisi par le Saint-Père pour la journée mondiale 2012 des communications sociales est Silence et parole : chemin d’évangélisation (voir ici: http://benoit-et-moi.fr/ete2011 )

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Vénérés Frères dans l'Épiscopat,
Chers frères chartreux
Frères et sœurs,

Je rends grâce au Seigneur qui m'a conduit dans ce lieu de foi et de prière, la Chartreuse de Serra San Bruno. En renouvelant mon salut reconnaissant à Mgr Vincent Bertolone, archevêque de Catanzaro-Squillace, je m'adresse avec beaucoup d'affection à cette communauté chartreuse, à chacun de ses membres, à commencer par son Prieur, le père Jacques Dupont, que je remercie de tout cœur pour ses paroles, le priant de transmettre ma pensée reconnaissante et ma bénédiction au Ministre général et aux religieuses de l'Ordre.

Avant tout, il me tient à coeur de souligner combien ma visite est en continuité avec quelques signes forts de communion entre le Saint-Siège et l'Ordre des Chartreux, survenus au cours du siècle dernier. En 1924 le Pape Pie XI a publié une Constitution apostolique par laquelle il a approuvé les statuts de l'Ordre, revus à la lumière du Code de Droit Canonique. En mai 1984, le bienheureux Jean-Paul II a adressé une lettre spéciale au Ministre général, à l'occasion du neuvième centenaire de la fondation par Saint Bruno de la première communauté à la Chartreuse, près de Grenoble. Le 5 Octobre de cette même année, mon bien-aimé prédécesseur était ici, et le souvenir de son passage au sein de ces murs est toujours vivant. Dans la foulée de ces événements passés, mais toujours actuels, je viens à vous aujourd'hui, et je voudrais que cette rencontre mette en évidence le lien profond qui existe entre Pierre et Bruno, entre le service pastoral à l'unité de l'Eglise et la vocation contemplative dans l'Église. La communion ecclésiale, en effet, a besoin d'une force intérieure, cette force que le Père Prieur vient de nous rappeler en citantl'expression « captus ab Uno», se référant à Saint-Bruno: «saisi par l'Un», par Dieu, «Unus potens per omnia » comme nous l'avons chanté dans l'hymne des Vêpres. Le ministère des pasteurs tire des communautés contemplatives une nourriture spirituelle qui vient de Dieu.

«Fugitiva relinquere et aeterna captare»: abandonner les réalité fugitives et tenter de saisir l'éternel. Dans cette expression de la lettre que votre fondateur adressa au prévôt de Reims Rodolphe, se trouve le cœur de votre spiritualité (cf. Lettre à Rodolphe, 13): le fort désir d'entrer dans une union de vie avec Dieu, abandonnant tout le reste, tout ce qui empêche cette communion, et se laissant saisir par l'immense amour de Dieu, et ne vivre que de cet l'amour. Chers frères, vous avez trouvé le trésor caché, la perle de grande valeur (cf. Mt 13,44-46); vous avez répondu à l'appel de Jésus d'une façon radicale: «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel: et viens! Suis-moi »( Mt 19:21). Chaque monastère - masculin ou féminin - est une oasis où, par la prière et la méditation, on creuse sans cesse le puits profond où puiser «l'eau vive» pour étancher notre soif la plus profonde.
Mais la Chartreuse est une oasis spéciale, où le silence et la solitude sont gardés avec un soin particulier, selon la forme de vie initiée par Saint-Bruno et resté inchangée au cours des siècles. «J'habite dans le désert avec des frères», est la phrase synthétique qu’écrivait votre fondateur (Lettre à Rodolphe, 4). La visite du Successeur de Pierre dans cette Chartreuse historique entend confirmer non seulement vous qui vivez ici, mais l'Ordre tout entier dans sa mission, plus que jamais d'actualité et significative dans le monde d'aujourd'hui.

Le progrès technique, en particulier dans le domaine des transports et de la communication, a rendu la vie humaine plus confortable, mais aussi plus agitée, parfois convulsive. Les villes sont presque toujours bruyantes: rarement on y est dans le silence, parce que le bruit de fond est toujours présent, dans certaines zones même la nuit. Dans les dernières décennies, ensuite, le développement des media a développé et amplifié un phénomène qui se profilait déjà dans les années soixante: la virtualité, qui risque de dominer la réalité. De plus en plus, même sans s'en rendre compte, les gens sont plongés dans le monde virtuel, en raison de messages audiovisuels qui accompagnent leur vie, du matin au soir. Les plus jeunes qui sont déjà nés dans cette condition, semblent vouloir remplir de musique et d'images chaque instant vide, comme par peur de resentir, justement, ce vide. C'est une tendance qui a toujours existé, surtout parmi les jeunes et dans les contextes urbains les plus développés, mais aujourd'hui elle a atteint un niveau tel qu'on parle de mutation anthropologique. Certaines personnes ne sont plus capables de rester longtemps dans le silence et la solitude.

J'ai voulu mentionner cette circonstance socio-culturelle, car elle souligne le charisme spécifique de la Chartreuse, comme un don précieux pour l'Eglise et le monde, un don qui contient un message profond pour notre vie et pour l'humanité toute entière. Je résumerais ainsi: en se retirant dans le silence et la solitude, l'homme, pour ainsi dire, s'«expose» au réel dans sa nudité, s'expose à ce «vide» apparent que j'ai mentionné avant, pour expérimenter au contraire la Plénitude, la présence de Dieu, de la Réalité la plus réelle qui soit, et qui est au-delà des dimensions sensibles. C'est une présence perceptible dans chaque créature: dans l'air que nous respirons, dans la lumière que nous voyons et qui nous réchauffe, dans l'herbe, dans les pierres ... Dieu, Creator omnium, traverse toute chose, mais il est au-delà, et justement pour cela, il est le fondement de tout. Le moine, en laissant tout, pour ainsi dire «risque»: il s'expose à la solitude et au silence pour ne rien vivre d'autre que de l'essentiel, et justement en vivant de cet essentiel, il trouve aussi une profonde communion avec ses frères, avec tout homme.

Certains pourraient penser qu'il suffit de venir ici pour faire de ce «saut». Mais ce n'est pas le cas. Cette vocation, comme toute vocation, trouve une réponse dans un chemin, dans la recherche de toute une vie. Il ne suffit pas de se retirer dans un endroit comme celui-ci pour apprendre à se tenir en présence Dieu. Comme dans le mariage, il ne suffit pas de célébrer le Sacrement pour devenir réellement une seule chose, mais il faut laisser la grâce de Dieu agir, et parcourir ensemble le quotidien de la vie conjugale, de même, devenir un moine réclame le temps, l'exercice, la patience, «dans une persévérante vigilance divine - comme l'affirmait Saint Bruno - attendant le retour du Seigneur pour lui ouvrir immédiatement la porte» ( Lettre à Rodolphe , 4); et en cela réside la beauté de toute vocation dans l'Eglise: donner à Dieu le temps d'œuvrer avec son Esprit, et à sa propre humanité de se former, de grandir selon la mesure de la maturité du Christ, dans cet état de vie particulier. Dans le Christ, il y a le tout, la plénitude; nous avons besoin de temps pour faire nôtre l'une des dimensions de son mystère. On pourrait dire que c'est un chemin de transformation où se réalise et se manifeste le mystère de la résurrection du Christ en nous, un mystère que nous a rappelé ce soir la Parole de Dieu dans la lecture biblique tirée de la Lettre aux Romains : l'Esprit Saint , qui a ressuscité Jésus d'entre les morts, et qui donnera vie à nos corps mortels (cf. Rm 8,11), est Celui qui accomplit aussi notre configuration au Christ, selon la vocation de chacun, un chemin qui serpente des fonds baptismaux jusqu'à la mort, passage vers la maison du Père. Parfois, aux yeux du monde, il semble impossible de rester toute une vie dans un monastère, mais en réalité, toute une vie est à peine suffisante pour entrer dans cette union avec Dieu, dans cette réalité essentielle et profonde qui est Jésus-Christ.

C'est pourquoi je suis venu ici, chers frères qui formez la Communauté des Chartreux de Serra San Bruno! Pour vous dire que l'Eglise a besoin de vous, et que vous avez besoin de l'Église. Votre place n'est pas marginale: aucune vocation n'est marginale dans le Peuple de Dieu: nous sommes un seul corps, dans lequel chaque membre est important et a la même dignité, et est inséparable du tout. Vous aussi, qui vivez dans un isolement volontaire, vous êtes en réalité dans le cœur de l'Église, et faites couler dans ses veines le sang de la pure contemplation et de l'amour de Dieu.

Stat Crux dum volvitur Orbis - dit votre devise. La Croix du Christ est le point fixe, au milieu des mutations et des bouleversements du monde. La vie dans une Chartreuse, fait partie de la Croix, qui est celle de Dieu, de son amour fidèle. Restant fermement unis au Christ, comme des sarments à la vigne, vous aussi, Frères Chartreux, vous êtes associé à son mystère du salut, comme la Vierge Marie, qui près de la Croix <stabat> unie à son Fils dans le même sacrifice d'amour. Ainsi, comme Marie et avec elle, vous êtes insérés profondément dans le mystère de l'Église, sacrement d'union des hommes avec Dieu et entre eux. En cela, vous êtes aussi singulièrement proches de mon ministère.
Que veille donc sur nous la Bienheureuse Mère de l'Eglise et que le Saint-Père du Ciel Bruno bénisse toujours votre communauté. Amen

Homélie à Lamezia Terme Nouvelle évangélisation