Sur le blog personnel de Sandro Magister, l'historien Roberto de Mattei répond aux critiques qu'a suscitées son article paru sur "Corrispendenza Romana", "Que se passe-t-il au Vatican?" (12/6/2012)
>> Voir ici: Que se passe-t-il au Vatican?
Il y a en fait deux grandes questions.
D'abord, on ne peut pas imputer à un évènement qui remonte à 50 ans quelque chose qui s'est toujours vérifié dans l'Eglise (une question abordée aussi par Vittorio Messori).
Ensuite, ce n'est pas le Concile lui-même, qui est à incriminer, mais son interprétation.
J'avoue qu'en ce qui me concerne, sur les deux interrogations ses arguments me paraissent très convaincants.
On sent bien que le Saint-Père se livre aujourd'hui à un patient travail de réparation. La peur qu'il puisse réusir serait-elle suffisante pour motiver, chez certains, la volonté de le contrecarrer coûte que coûte - y compris par les myens que l'on voit en oeuvre en ce moment?
La question n'est pas si inepte....
Les fruits du Concile Vatican II
Roberto de Mattei,
Article en italien reproduit sur Settimo Cielo
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Mon article « Que se passe-t-il au Vatican» publié en ligne sur «Corrispondenza Romana» a suscité des adhésions chaleureuses, mais aussi, comme c'est logique, des désaccords amers.
Dans cet article, je soutenais que la lutte pour le pouvoir en cours au sein des murs léonins a ses racines dans un certain 'esprit du monde' qui a pénétré dans l'Eglise après le Concile Vatican II.
Je précisais qu'il ne fallait pas faire la confusion entre les hommes d'Eglise, avec leurs fragilités intellectuelles et morales enracinées dans les temps dans lesquels ils vivent, et l'Église elle-même, toujours pure, et sans tache de péché ou d'erreur.
Les objections qui m'ont été adressées se réduisent à deux arguments auxquels je vais essayer de répondre brièvement.
Le premier argument dit que, dans son histoire bimillénaire, l'Eglise a souvent connu des moments de difficulté et de crise, qui ne peuvent certes pas s'expliquer par le Concile Vatican II. Rappelons-nous, par exemple, la décadence des moeurs des papes de la Renaissance.
Il est facile pourtant d'argumenter que, cette décadence morale a elle aussi des racines intellectuelles, bien analysées par Ludwig von Pastor dans le premier volume de sa monumentale histoire des papes. De nombreux papes de cette époque ont tourné le dos à la réforme intégrale de l'Église à laquelle les exhortaient des saints comme Bernard de Sienne (1380-1444) et Antonin de Florence (1389-1459), pour embrasser les principes équivoques de l'humanisme.
Le premier «virage anthropologique» fut celui d'Erasme de Rotterdam(1469-1536) et de ses prédécesseurs et adeptes , qui, à travers les armes de la philologie, ont voulu liquider le culte des saints et des reliques, les indulgences, l'ascétisme monastique, les dévotions et traditions en général, théorisant l'introduction de la langue vernaculaire dans les livres et les cérémonies sacrées.
L’Opera omnia d'Érasme fut condamnée par la naissante Inquisition, mais il était déjà trop tard: Luther, faisant siennes les critiques des humanistes, avait renversé leur anthropocentrisme en primauté de l'Ecriture, qui toutefois se passait complètement de l'institution de l'Eglise .
Ce qui est important à souligner, c'est que, lorsque dans l'histoire de l'Eglise, on est confronté à une crise morale, quelle que soit l'époque où elle se produit, il faut toujours remonter à la crise intellectuelle qui l'accompagne ou la précède.
En ce sens, on ne peut pas ignorer les conséquences de cette authentique révolution dans la façon d'être de Église qu'a été le Concile Vatican II, entendu comme événement plutôt que comme magistère.
Ici se pose la deuxième objection, selon laquelle les causes de la crise actuelle de l'Eglise, que je ferais à tort remonter à Vatican II, doivent au contraire être attribués à une interprétation erronée et abusive de cet événement et de ses documents.
Mais la première règle herméneutique, c'est celle que nous donne notre Seigneur dans l'Evangile, quand il dit que l'arbre sera reconnu à ses fruits (Matthieu 7, 17-20).
Aujourd'hui, les monastères ont été abandonnés, les vocations religieuses s'écroulent, la participation à la messe et aux sacrements a chuté; les librairies, les maisons d'édition, les journaux et les universités catholiques répandent l'erreur à pleines mains; le catéchisme orthodoxe n'est plus enseigné; Les curés et même les évêques se rebellent contre le Saint-Père; les fidèles catholiques du monde entier sont plongés dans la confusion religieuse et morale et Benoît XVI lui-même dans son homélie de la Pentecôte a parlé de la «Babel» dans lequel nous vivons.
Si tout cela n'a pas sa cause dans un certain «esprit du Concile» qui a envahi l'Eglise catholique au cours des cinquante dernières années, d'où tire-t-il son origine?
Et si ce ne sont pas les mauvais fruits du Concile, mais son interprétation erronée, quels sont les bons fruits de l'interprétation correcte du Concile?
Je ne veux pas nier l'existence de beaucoup de bonnes choses dans l'Église contemporaine. Je suis convaincu qu'avec l'aide de la grâce, nous voyons déjà les germes d'une renaissance. Mais qu'on me prouve que ces fruits bons et saints ont leur racine dans l'esprit du Concile, et non pas plutôt dans la sève de la tradition qui existait avant le Concile, et qui continue à couler dans les fibres du corps mystique du Christ, le nourrissant et le sanctifiant.
Au XVIe siècle, à la révolution anthropologique des humanistes et la pseudo-réforme protestante s'opposa la vraie Réforme catholique, ou Contre-Réforme, qui eut ses champions parmi les saints comme Saint Philippe Neri, Gaetano de Thiene, Ignace de Loyola, saint Pie V, et de nombreux autres.
C'est à cet esprit de réforme catholique que nous devons revenir, si nous ne voulons pas qu'avec l'aide des médias de masse prévale la pseudo-réforme préconisée aujourd'hui comme il y a cinquante ans par l'hérétique Hans Küng.
L'orthodoxie et la sainteté ne connaissent pas de «voies moyennes» (demi-mesures). Ou l'on interpréte Vatican II à la lumière de Trente et de Vatican I, ou le dernier Concile risque de devenir la mesure du jugement et du naufrage de la Tradition de l'Église.
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Note
Sandro Magister présente l'auteur en ces termes, sur Settimo Cielo:
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L'auteur de la note, l'historien Roberto de Mattei, est également l'auteur de la plus importante «contre-histoire» traditionaliste de Vatican II, une alternative à celle publiée par l'«école de Bologne» (ndt: référence en italien ici), par Giuseppe Alberigo et Alberto Melloni, mais unie à celle-ci par une conception du dernier Concile comme une «rupture» par rapport à l'ancienne tradition de l'Église.
Son livre, publié en Italie par Lindau en 2010 (ndt disponible en italien sur Amazon.fr) sous le titre «Il Concilio Vaticano II. Una storia mai scritta» (Le Concile Vatican II. Une histoire jamais écrite) et déjà traduit en allemand, sera bientôt publié à la veille du cinquantième anniversaire du Concile, aux États-Unis, en France, en Pologne, au Portugal, et au Brésil.
De Mattei est parmi les spécialistes de différentes nationalités, qui ont pris part ces derniers mois au débat sur l'herméneutique de Vatican II qui a eu lieu sur www.chiesa et Settimo Cielo.
Le dernier épisode de cette discussion est ici, avec une intervention du théologien Australien John RT Lamont, et avec un rappel de tous les épisodes précédents: http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350219?fr=y
(ndt: voir sur mon site Lefebvristes: vont-ils rentrer au bercail? )