José-Luis Restan part de cette formule de Georg Gänswein pour son dernier billet, une réflexion très profonde sur "les forces qui tendent à la destruction de l'Eglise". Traduction de Carlota (13/6/2012)
>> Cf. Le programme du Pape? Rien que l'Evangile!
(..) la question qui aujourd’hui se fait jour, c’est si les forces qui tendent de fait à la destruction physique et morale de l’Église comme réalité vivante, et par conséquent présence dans l’histoire, sont plus, ou moins, puissantes que les forces qui l’alimentent, la reconstruisent, la soignent et la vivifient.
Une épine dans le flanc du monde postmoderne
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José Luis Restán
12/06/2012
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Cela ne sert pas à grand chose de se lamenter, car les attaques dont souffre l’Église tout au cours des âges, les faiblesses et le péché de ses membres, les bourrasques de neige et les inondations, étaient déjà prévus dans l’acte constitutif.
Le Seigneur les permet, plus encore, il les considère comme des facteurs décisifs dans son appel constant à l’Église pour qu’elle soit fidèle à sa nature et à sa mission. Et cela ne signifie pas se retirer dans une tour de guet séraphique tandis que le désastre se produit. Bien sûr qu’il faut rechercher, protéger, dénoncer et châtier. Améliorer et graisser la machinerie, favoriser la transparence, faire maigrir le mastodonte…tout cela il faut le faire et c’est en train de se faire avec plus ou moins de bonheur. Mais l’essence de la question est autre.
En pleine bourrasque, le journal l’Avvenire (cf. Le programme du Pape? Rien que l'Evangile!) a publié une page avec quelques extraits de la préface élaborée par don Georg Gaenswein pour un livre sur l’impact du « Jésus de Nazareth » de Joseph Ratzinger dans les Universités, que je ne crois pas un hasard.
Le secrétaire titre ainsi l’écrit : « Le programme du Pape ? Seulement l’Évangile ». C’est un texte à lire entre les lignes. Par exemple quand il dit que Benoît XVI a obtenu (en suivant l’héritage de son prédécesseur) quelque chose qui pour beaucoup paraissait impossible : « La revitalisation de l’Église dans un moment difficile ». Et il ajoute que « à la Curie, il a donné une nouvelle sève à des formes anciennes et en même temps il a élagué les branches mortes… ». Don Georg dit en outre que déjà dans sa tâche comme Préfet de la Foi, Ratzinger « s’était transformé en une épine dans le flanc d’un monde postmoderne où la question de la vérité était considérée comme dépourvue de sens, de la part d’une société de l’opulence entêtée à tourner le dos à Dieu ». C’était déjà à cette époque un homme dérangeant et inclassable, imaginons maintenant alors qu’il a chaussé les sandales du pêcheur.
Il y a ici matière à réflexion.
D’un côté il existe une culture du nihilisme, avec ses réseaux et ses terminaux de pouvoir très précis, qui n’est pas disposée à considérer comme bon le fait que l’Église ne se résigne pas au rôle de vénérable vieillerie oude simple consolatrice spirituelle des malheurs de la crise. Pour cette culture le Pape doux et tranquille qui utilise la raison comme un chirurgien son bistouri, est une épine véritable et inattendue. Qu’il ait abordé de face la pensée laïque au Bundestag ou à Westminster doit être insupportable.
Mais à l’intérieur de l’Église aussi il y en a qui résistent à la correction et à l’élagage que Benoît XVI a mis en marche, à sa façon de renouer entre la foi et la raison, à son idée si « newmanienne » du chemin de l’Église, comme une rénovation dans la continuité. Je ne veux pas contribuer à de nouveaux fantasmes, mais une coalition « de facto » entre les intérêts des uns et des autres ne me paraît être une absurdité comme rideau de fond de ce qui arrive depuis des mois.
Quoiqu’il en soit, ces jours plein d’amertume ne nous laissent pas d’échappatoire; il ne sert à rien de pérorer contre les pouvoirs du monde (qui ont harcelé l’Église depuis ses débuts et continueront ainsi jusqu’à la fin) ni de gaspiller sa bile sur le compte des traîtres (qui depuis Judas jusqu’à nos jours ont poussé comme de la mauvaise herbe dans le champ et il en sera ainsi jusqu’à la fin). L’important c’est que l’Église, c'est-à-dire chacun de ses membres, communautés et institutions, sache écouter l’appel de son Seigneur en cette heure. Parce que dans la vie de ceux qu’Il appelle, Dieu ne permet pas qu’il arrive quelque chose (absolument rien !) qui ne soit pas pour sa maturation dans la foi. Plus encore, les situations d’une difficulté toute particulière sortent à la lumière ce qui est caché dans le cœur de chacun. C’est pour cela que c’est tellement formidable d’écouter Benoît XVI ces jours-ci, et que cela en devient « curieux » de « suivre ce que disent et commentent les uns et les autres, à l’intérieur comme à l’extérieur. Parce que là, il est inutile de se cacher.
Et il y a un premier appel qui me paraît évident parmi les titres de presses et les romans-fleuves imbuvables de ces jours-ci : que le temps presse. Qu’il y en a assez des paroles en l’air, que les discours lieux-communs sont de trop, que tout, absolument tout dans la vie de l’Église doit être ordonné pour que les hommes et les femmes de cette époque retrouvent l’amitié simple avec le Mystère dont le visage est Jésus fait homme. Parce qu’il n’y a que la foi dans le Christ qui donne aux hommes la joie, l’espérance et la liberté pour vivre debout, et si nous qui le savons et l’éprouvons, nous nous embarquons dans d’autres affaires, nous serons très sévèrement jugés au final. Par conséquent, la main à la pâte, en commençant à nous presser autour de Pierre et à le suivre…
Lors d’une situation terrible du peuple d’Israël, le prophète Isaïe affirme quelque chose de particulièrement significatif pour ce moment, et avec des implications pratiques très salutaires : « ceux qui te construisent vont plus vite que ceux qui te détruisent ».
L’assertion a été valable et continue à l’être pour l’Église dans toutes les étapes de son histoire. Et là je crois que le concept «vite » n’a pas seulement une connotation de temps mais aussi de profondeur et de densité. À savoir que la question qui aujourd’hui apparaît, c’est si les forces qui de fait tendent à la destruction physique et morale de l’Église comme réalité vivante, et par conséquent présente dans l’histoire, sont plus ou moins puissantes que les forces qui l’alimentent, la reconstruisent, la soignent et la vivifient. Passionnant spectacle, dramatique croisée des chemins.
Et pour ceux qui comme moi peuvent ressentir une sorte de frisson, il est recommandable de se rappeler ce qu’écrivait Joseph Ratzinger dans ces lointaines années 70 du siècle dernier : « il me semble certain que des temps très difficiles attendent l’Église. Sa crise véritable a encore à peine commencé. Il faut compter sur de fortes secousses. Mais je suis aussi totalement sûr de ce qui restera finalement : non pas l’Église du culte politique qui a déjà échoué chez Gobel (1), mais l’Église de la foi. Ce ne sera sûrement pas la force dominante dans la société dans la même mesure qui fut celle d’il y a encore peu de temps. Mais elle fleurira de nouveau et se fera visible pour les êtres humains comme la patrie qui leur donne vie et espérance au-delà de la mort ».
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Ndt:
(1) Allusion, sans doute, à l’évêque alsacien Jean-Baptiste Gobel, qui fut le chef de fil des quelques rares évêques jureurs de la Révolution et même se « convertit » à la déesse Raison. Cela ne lui réussit pas d’ailleurs car il finit aussi guillotiné