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La dernière contribution du «banquier du Vatican» à l'Osservatore Romano. (14/6/2012)

>> Tous les articles consacrés à Gotti-Tedeschi sur ce site
ici.

     



Ettore Gotti Tedeschi a été viré de son poste à la tête de l'IOR dans des conditions qui laissent, quelles que soient les fautes qui lui sont imputées (je ne les connais pas vraiment, mais beaucoup de ceux qui l'accablent en savent probablement encore moins que moi), le goût amer d'un lynchage superflu: qu'avait fait l'homme choisi par le Pape pour diriger la Banque du Vatican pour mériter une telle indignité, et en particulier la ruine de sa carrière? Lorque la police est venue l'interpeler chez lui, avant de faire une perquisition à son domicile, la semaine dernière, il a cru l'espace d'un instant qu'il s'agissait de tueurs à gages et qu'on voulait attenter à sa vie.
De quoi conforter la thèse d'un lien avec l'opération Vatileaks (démentie par le Père Lombardi!), et d'une attaque contre les finances du Vatican, planifiée de longue date, et destinée à discréditer l'Eglise, profitant de la confusion, dans l'opinion publique, entre l'Eglise-épouse du Christ et l'Eglise-institution humaine (1).

Marcello Foa commente par exemple sur son blog le titre d'un quotidien italien: «Finmecannica (ndt second groupe industriel italien, le premier dans la haute technologie et un des cinq premiers dans le monde): perquisition chez Gotti Gotteschi».
Et il poursuit:
«Je ne comprends pas. S'il n'est pas mis en examen, pourquoi doit-il être soumis à un fait traumatisant et invasif comme la perquisition de sa maison? Il s'agit d'une opération conduite lorsqu'il y a des indices lourds, et dans le cadre d'une enquête régulière. Ici, en revanche, on voit se passer, dangereusement, le principe opposé: on peut perquisitionner votre maison sans que vous ayiez reçu un avis de garantie...»
* * *

Ettore Gotti Tedeschi était jusqu'à des temps récents reconnu comme un ami du Pape (rien ne dit qu'il a perdu sa confiance), son conseiller technique pour l'Encyclique sociale <Deus Caritas est>.
Il a toujours défendu la vie, et dénoncé l'effondrement démographique comme une des causes de la crise économique mondiale, ce que beaucoup ne lui ont pas pardonné (voir par exemple La dénatalité à la base de la crise économique , http://benoit-et-moi.fr/2010-II/).
Il était un chroniqueur régulier de l'Osservatore Romano (dont il a été également débarqué - de façon tout aussi inutilement grossière), et sa dernière contribution date du 4 avril dernier.
Elle résonne comme un véritable testament.
Elle devrait interroger - pour le moins!! - ceux qui l'ont qualifié de «bouffon», l'accusant d'«ultra-libéralisme grossier», écrasant ainsi un homme déjà à terre avant même que soit avérée la moindre preuve contre lui (autre que l'inimitié, pour rester poli, qui remonte à cet épisode relaté ici par Sandro Magister).

Voici donc ce dernier article: il ne contient rien qui soit contraire à la doctrine sociale de l'Eglise, rien non plus qui accrédite cette accusation d'ultra-libéralisme - bien au contraire!
Texte en italien: http://www.vatican.va/..
Ma traduction.

Ce qui a changé dans le rôle de la finance et de la banque
Quand on dénature le sens de la responsabilité
par Ettore Gotti Tedeschi
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Avec sa démission annoncée publiquement et expliquée dans un article paru dans le « New York Times», un manager - qui pendant des années a travaillé à divers postes de responsabilité dans une banque d'investissement symbole de la puissance financière américaine - a explicitement accusé l'institut de «déclin moral» dans ses valeurs professionnelles et dans les choix opérationnels qui en ont résulté.

Laissant de côté les doutes légitimes sur les motifs propagandistes de la décision - la banque en question est présumée être proche du président américain - on peut tenter d'expliquer ce qui a dénaturé le métier de banquier, provoquant et alimentant ce «déclin moral» dont les effets ont été en substance indiqués par le manager démissionnaire dans la recherche exaspérée de résultats à court terme, quelle que soit la manière dont ces mêmes résultats sont obtenus. Mais qu'est-ce qui a été dénaturé?

Avant tout, ce qui a été dénaturé, c'est le contexte culturel dans lequel l'être humain, en général, a choisi ses valeurs de référence, dans lequel il a mûri ses aspirations, dans lequel il a cherché le sens de sa vie. Le choix des «valeurs partagées» (les 'shared values'), en l'absence d'un fort sentiment de responsabilité personnelle, influe sur les modèles de comportement. Comme Benoît XVI l'a dit dans l'introduction de Caritas in veritate, l'homme, en adoptant une culture nihiliste, modifie sa vision de ce qu'est le succès, de ce qu'est le résultat, de ce qu'est la satisfaction. Réduisant tout à une vision exclusivement matérialiste.
Ensuite, une autre valeur importante a été dénaturée, c'est celle de la responsabilité, essentielle pour expliquer les modèles de comportements adoptés. Ont donc disparu la figure et la direction responsable du banquier entrepreneur traditionnel. La mondialisation, accélérant la recherche de dimensions plus larges, a progressivement remplacé cette figure par les fonds d'investissement, qui peuvent avoir des exigences et des perspectives très différentes. Souvent, le fonds d'investissement - nouvel actionnaire de référence - a dû privilégier les résultats à court terme plutôt qu'à long terme, peut-être avec des attentes rigides concernant les objectifs sur lesquels il s'était engagé avec son souscripteur.

Ce modèle peut avoir conduit à recruter des managers, motivés par des stock-options et des bonus, qui sachent générer les résultats de croissance de valeur, de rentabilité et de dividendes exigés par le Fonds. Même si cette considération ne suffit cependant pas pour clarifier la «décadence morale» dénoncé par le manager démissionnaire.
Il y a en effet une explication supérieure.

Ce qui a été le plus dénaturé dans ces dernières années, c'est le rôle de la finance et de la banque. Au cours des deux dernières décennies, la finance a en effet pourvu à la nécessité de développement, compensant la croissance réelle, qui s'est effondrée à cause de la crise démographique et du processus de délocalisation de la production du monde occidental vers l'Asie. L'économie financière a progressivement remplacé l'économie réelle, et la croissance du PIB est devenue de plus en plus financière, c'est-à-dire soutenue par la dette. Est venue ainsi progressivement à manquer la base du crédit, c'est-à-dire l'épargne, sacrifiée sur l'autel du consumérisme. Le banquier a donc dû inventer les fameux produits dérivés. La dette devait être prise en charge par tous les moyens: c'est pourquoi on a pensé à l'appréciation des actifs donnés en garantie, c'est-à-dire les immeubles et les valeurs cotées en bourse.

Pour pouvoir faire croître artificiellement le PIB, faisant monter avec des outils sophistiqués la finance nécessaire pour soutenir la dette - à son tour garantie par des valeurs artificielles vendues à des clients ignorants - un système culturel a été indispensable en plus d'un consensus institutionnel. Il a fallu la disponibilité d'outils appropriés et surtout l'absence de sens des responsabilités de la part des opérateurs qui ont renoncé à la croissance, mais pas à celle de leurs stock-options et de leurs bonus.
Des gens mal formés, avec des objectifs erronés, dans un environnement opérationnel fragile, ne peuvent que créer de l'instabilité.

(©L'Osservatore Romano, 4 avril 2012)

* * *

Note

(1) Je reproduis à nouveau ce que Jeanne Smits a écrit dans Présent daté du 13 juin (cf. Crise à la Curie: le volet financier), car c'est important pour tenter de comprendre ce qui se passe:

Une intéressante analyse de l’affaire est donnée aujourd’hui par le vaticaniste Sandro Magister sur son blog (*), il y rappelle que les documents personnels de Gotti Tedeschi – qu’un psychiatre a voulu faire passer pour « gravement atteint » – ont été saisis lors de perquisition à son bureau à Milan et son domicile de Piacenza.

Gotti Tedeschi a été embarqué pour être interrogé sans même pouvoir se faire assister d’un avocat, alors qu’aucune information n’est ouverte contre lui, et des documents saisis ont été immédiatement « fuités » vers les médias (...).
(..) ces procédés « staliniens » témoignent d’une volonté de mainmise de « l’élite financière internationale » sur l’indépendance de l’Eglise à la faveur d’accusations de corruption qui peuvent être rendues vraisemblables par une certaine façon malveillante d’exploiter et de publier des documents. Avec toute l’hypocrisie que cela suppose : la très haute finance internationale n’est, elle, soumise à aucune « transparence » ni au contrôle des gouvernements. « Vatileaks » est sans aucun doute une affaire bien plus complexe et grave qu’il n’y paraît.

(*) Gotti Tedeschi avait toujours tenu le secrétaire personnel de Benoît XVI, Mgr Georg Gänswein, informé de son action à la présidence de l’IOR et des oppositions qu’il rencontrait.
Il avait reçu du pape lui-même, à plusieurs reprises, le "mandat" explicite d’agir pour parvenir à la pleine transparence.
Et, après avoir été chassé de l’IOR, Gotti Tedeschi voulait faire parvenir au pape un mémorandum complet à propos de toute l’affaire.
Mais aujourd’hui ses papiers et sa correspondance sont dans les mains de la justice italienne, ayant été saisis lors d’une inspection judiciaire qui a été effectuée, le 5 juin, dans sa maison de Piacenza et à son bureau de Milan.
Et des extraits de ses papiers et de l'interrogatoire ont immédiatement commencé à paraître dans les médias, comme cela se produit systématiquement en Italie, au mépris du secret de l’instruction.

Et des documents confidentiels ont également recommencé à sortir des bureaux du Vatican. En plus de la lettre d’Anderson et de celle de Schmitz, on en a également vu apparaître une qui avait été écrite en mars dernier au directeur général de l’IOR, Paolo Cipriani, par un psychothérapeute en qui il a confiance, Pietro Lasalvia. Ce dernier y donnait un diagnostic catastrophique de l’état de santé psychique de Gotti Tedeschi, qu’il avait pu observer occasionnellement dans le cadre d’une rencontre entre le président et le personnel de la banque vaticane pour les vœux de Noël dernier.