Concile: Herméneutique de la rupture

Un "conte moral" mettant un scène un ex-père conciliaire, Giovanni Franzoni, partisan du grand soir dans l'Eglise et depuis lors suspendu 'a divinis' (5/11/2012).

>>> Image ci-contre: l'Abbé Franzoni à l'époque du Concile.

Cela me semble intéressant d'accorder un peu de place à des auteurs décrivant le Concile comme un évènement de rupture majeure, montrant ainsi à quel point la tension qu'il a suscité persiste au sein de l'Eglise.
La frange impliquée est peut-être en voie d'extinction (c'est ce qu'on lit souvent, du moins en France, à propos des "cathos de gauche"!), mais capte encore à son profit la totalité de l'espace médiatique (voir par exemple le documentaire de FR3 sur le Concile, et plus récemment la série Ainsi-soient-ils, où ce sont manifestement des prêtres à la Franzoni qui ont coaché le réalisteur). Le but recherché ici n'est pas (surtout pas!) de lui servir de caisse de résonnance mais d'une part de documenter des faits qui sont généralement ignorés par ceux qui, tout en étant catholiques, ne font pas partie du "laïcat" auquel Vatican II devait rendre sa voix, et d'autre part de montrer à quel point les excès que les survivants de cette "caste" persistent à prôner, même si leurs griffes sont bien émoussées, appelant de leurs voeux un "Grand soir" ecclésial, se discréditent d'eux-mêmes.
Après la réflexion du dinosaure Scalfari (cf. L'Eglise et le Concile vus par un athée militant) , voici un conte en apparence nostalgique et sympathique, sur le ton de Christine Pedotti/Pietro de P. dans son roman à clés "L'invité de Castelgandolfo".
Il m'est littéralement tombé sous les yeux, à cause d'un nom rencontré pas plus tard qu'avant-hier, sous la plume du professeur De Mattei (cf. Que restera-t-il de Vatican II? ), celui de l'ex-Abbé de Saint-Paul hors les murs, Giovanni Franzoni, ex-père conciliaire (né en 1928, il était paraît-il le plus jeune des Pères), suspendu en 1976, et marié. Je lis sur sa notice wikipedia en italien qu'il est connu pour ses prises de position marxistes, l'opposition à la guerre au Vietnam ayant laissé la place au soutien à la Théologie de la libération. Récemment, il s'est déclaré favorable à la dépénalisation de l'euthanasie; aux élections de 2006, il a voté pour le PCI, et en 2009 pour la liste anti-capitaliste. L'article est paru dans la revue mensuelle de chrétiens engagés à l'extrême-gauche, "Confronti" (http://www.confronti.net/chisiamo/).

Cinquantenaire du Concile: un Père en moins
Luigi Sandri
(dans "Confronti" de Novembre 2012)
--------------------
Giovanni ne s'attendait certainement pas à un appel de monsignor Dream (ndt: "Mgr Rêve", en italo-anglais dans le texte!!) lui communiquant que le Saint-Père, à l'occasion du cinquantième anniversaire du Concile Vatican II, l'invitait à une entrevue, le 11 Octobre. Le jour fatidique, à 13h00, il se présenta à la Porte de Bronze. Un prélat aimable le salua et, de corridors en corridors, l'emmena à la salle où le pape prenait seul ses repas. Une soeur laïque, et un majordome le saluèrent: quelques minutes passent, et voici venir le pape, qui, avec une grande affection, lui serre la main et le fait asseoir. Tout en servant le déjeuner (spaghetti avec sauce à la viande, escalopes de veau, salade, vin de Frascati), Ratzinger s'informe aimablement de sa santé et de son travail: l'invité est gêné au début, mais, peu à peu, il se détend.

Au café, tout à coup:
«Giovanni, - dit Benoît XVI - je vous demande une aide fraternelle: dites-moi franchement ce qu'à votre avis, je devrais faire pour mettre en œuvre le Concile; et quelles réformes pour rendre notre Église plus en phase avec la volonté du Seigneur» .
L'hôte, avec un crescendo d'enthousiasme, énumère une série de choix évangéliquement et pastoralement possibles pour mettre en œuvre les avancées de Vatican II sur la collégialité épiscopale, le peuple de Dieu, la volonté de renoncer aux privilèges, le dialogue au sein de l'Eglise, le respect de la liberté de conscience ... Ratzinger hoche la tête, et en même temps note tout dans un petit cahier.
«Je commencerais - résume Giovanni - par une réforme du ministère de l'évêque de Rome, qui irait vivre au Latran, abandonnant la souveraineté de l'Etat de la Cité du Vatican, et gouvernant l'Église par un synode, ouvert également aux laïcs, hommes et femmes».

Le Pape acquiesça:
«Vous savez, Giovanni, je suis bien conscient que j'ai fait une erreur en ne vous invitant pas parmi les Pères conciliaires encore vivants, pour la célébration de ce matin sur la place Saint-Pierre. Mais ce n'était pas facile, compte tenu du nouveau «statut» auquel vous avez été réduit, il y a plusieurs années, par les autorités ecclésiastiques, de vous trouver une place adéquate. Toutefois, quand j'annoncerai mes décisions à la Curie, je vous mentionnerai - parmi d'autres qui m'ont eux aussi bien conseillé».
«Non, ce n'est pas nécessaire ... ».
«Oh, que si! Et je dois vous le dire: vous avez été, et vous êtes, un père du Concile. je vous le demande: quand vous célébrerez l'Eucharistie (ndt: mais il n'est plus prêtre!) là, dans la Communauté de Saint-Paul, priez toujours pour ce pauvre pape qui ... ».

Drin, drin! Le réveil a sonné, et Giovanni ouvrit les yeux et se rendit compte qu'il avait rêvé. Il alluma la télévision: les nouvelles annonçaient que le Pape allait célébrer sur la Place Saint-Pierre à 10 heures une messe pour le cinquantenaire du Concile Vatican II entouré par les pères conciliaires encore en vie.

«On voit que je suis mort, mais j'ai l'impression d'être en vie», se dit-il. Et, avec un sourire: «Bonjour, Poudre», à une petite chatte qui sauta sur le lit, et se mit à ronronner, heureuse.

NB. En Mars 1964, il fut élu par les moines bénédictins abbé de Saint-Paul-hors-les-Murs, en tant que tel, bien que n'étant pas évêque. Giovanni Franzoni futt un père concilier, et à plein titre prit part aux troisième et quatrième sessions du Concile Vatican II. Ilfut suspendu a divinis en 1974 pour défendre la liberté du vote catholique lors du référendum sur la loi sur le divorce, et défroqué en 1976 pour avoir annoncé qu'aux élections générales de cette année il voterait pour le Parti communiste.

Bien sûr, le 11 Octobre 2012 personne, de l'autre côté du Tibre n'a fait un geste - même pas un coup de téléphone amical - pour le saluer, lui, père conciliaire encore en vie.

http://www.finesettimana.org/pmwiki/uploads/Stampa201211/121104sandri.pdf

Si ce texte reflète bien l'opinion de Giovanni Franzoni, il n'a pas changé d'un iota depuis qu'il a été suspendu.
Certes, sa déception, très humaine, inspire quelque sympathie. Mais est-il à ce point naïf? Qu'attendait-il donc, alors que sa liste de propositions n'est rien d'autre qu'un programme de dilution (donc de disparition) de l'Eglise dans le marais de la démocratie parlementaire!