Le Pr. De Mattei sur Vatican II (suite)

Son histoire du Concile a été traduite en portugais, et il en a fait la présentation. Carlota a traduit l'interview qu'il a accordée à un site lusophone (5/11/2012)

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Le Professeur Roberto de Mattei a présenté son livre-somme sur le Concile au Portugal et à cette occasion il a accordé une entrevue aux journalistes du site « Fratres in Unum».
Ma traduction (original ici http://fratresinunum.com/tag/uma-historia-nunca-escrita/).
« Fratres in Unum » est un portail lusophone qui se présente comme accueillant les articles, de différents journalistes, sur les thèmes liés à l’Église catholique. Évidemment, de par son titre, on le comprend plutôt de tendance « conservatrice » mais toujours dans l’union bien que sans doute assez éloigné de l’église « protestanisée des catholiques adultes ».
(Carlota)

     

- D’abord, Professeur Roberto de Mattei, un grand merci pour avoir répondu à notre invitation. Votre œuvre a occasionné une grande agitation dans les milieux de l’Église, -qui va de l’accueil enthousiasme pour certains, et une réception pas vraiment amicale pour d’autres. Alors, qu’y a-t-il de si particulier dans votre travail pour que vous le définissiez comme “une histoire jamais écrite”?

Pr Roberto de Mattei: Le Concile Vatican II a été considéré, au cours de ces 50 ans, comme un bloc monolithique historico-théologique qui était accepté en bloc, ce qui a eu pour conséquence que beaucoup l’on rejeté en bloc. Ma façon d’aborder le concile est de distinguer les documents du Concile de l’évènement historique, en cherchant dans le domaine histoire, la vérité des faits. Cela signifie que le Concile Vatican II doit être envisagé non seulement au niveau du domaine théologique mais, surtout, comme un événement, dans un contexte historique.
Certains m’accusent d’utiliser la même méthode que celle de l’École de Bologne, bien qu’il y ait une différence substantielle. L’école progressiste de Bologne transforme l’histoire en un locus theologicus, en attribuant à l’historien un rôle de théologien. Moi, au contraire, j’affirme la distinction des rôles. Le théologien exerce sa réflexion sur les textes, l’historien, sans mépriser les textes, réserve son attention, surtout, à leur genèse, à leurs conséquences, au contexte dans lequel elles se trouvent. Les deux niveaux, l’historique et l’herméneutique, ne peuvent pas être confondus, à moins de croire que l’histoire coïncide avec son interprétation. C’est seulement après la reconstruction historique, et non avant, qu’intervient le théologien, ou le Pasteur, pour formuler ses jugements. Si, alors, les faits historiques posent des problèmes théologiques, l’historien ne peut les ignorer et doit les mettre en lumière, en se référant toujours à la doctrine de l’Église.


- Comme évaluez-vous la réception du livre par une partie du clergé, en particulier parmi les évêques? Une appréciation du Pape ou de ses collaborateurs les plus proches ? Est-il possible d’entrevoir quelque ouverture d’autorités ecclésiales à une discussion sur ce sujet, considéré jusqu’à aujourd’hui comme tabou ?

Pr Roberto de Mattei: J’ai reçu des expressions d’approbation et des compliments de la part d’évêques et de cardinaux, et pas seulement italiens. Parmi eux, le Cardinal Raymond Leo Burke et Mgr Athanasius Schneider. En Italie mon livre a été présenté avec succès dans de nombreux diocèses, dans certaines occasions, il a été présenté par les évêques eux-mêmes comme Mgr Luigi Negri, évêque de Montefeltro-Saint Marin, et Mgr Somone Giusti, évêque de Livourne. En outre, l’on sait que le Cardinal Brandmüller (voir aussi: Concile: qu'est-ce que c'est que 50 ans? ) a organisé en 2012 une série de débats « à huis clos » sur le Concile Vatican II avec des érudits de différentes tendances. J’ai été invité à ces discussions, en ayant l’opportunité de présenter ma thèse (ndt: ici en portugais) et de critiquer celles d’autres spécialistes présents. Tout s’est toujours déroulé dans un climat d’approfondissement culturel serein et utile.

- Ces dernières années, l’on perçoit clairement une polarisation entre les historiens de Vatican II. D’un côté les idées de l’École de Bologne qui prévalent actuellement dans le panorama ecclésial; d’autre part un courant plus récent dont la personnalité qui se détache le plus est l’archevêque Agostino Marchetto (ndt né en 1940. Nommé en 2001, secrétaire du Conseil Pontifical des Migrants et Itinérants. Depuis 2010, il a pris sa retraite et se consacre notamment à l’étude de Vatican II. Il exerce également des fonctions auprès de l’archevêque de Vecence - Vénétie). Pourriez-vous exposer dans leurs lignes générales les thèses défendues par chaque courant? Comme votre œuvre se place-t-elle dans ce contexte?

Pr Roberto de Mattei: Le courant de l’herméneutique aujourd’hui dominant est celui de l’École de Bologne qui a débuté avec le Professeur Giuseppe Alberigo, est aujourd’hui représenté principalement par le Professeur Alberto Melloni. Cette école oppose aux documents de Vatican II son « esprit », et voit dans l’événement conciliaire une Pentecôte (ndt donc réception de l’Esprit Saint et d’une inspiration divine…) pour l’Église «trahie » par Paul VI et ses successeurs. Son expression est une « Storia del Concilio Vaticano II » en cinq volumes, publiée en différentes langues, en un travail de divers auteurs de différentes nationalités cf. L'histoire du Concile ).
En opposition à l’École de Bologne, en 2005, se présente Mgr Agostino Marchetto avec le volume « Il Concilio ecumenico Vaticano II. Contrappunto per la sua storia » (Libreria Editrice Vaticana, 2005), qui a été suivi, cette année, par une autre étude : «Il Concilio Ecumenico Vaticano II. Per la sua corretta ermeneutica (Libreria Editrice Vaticana, 2012).
Mgr Marchetto n’a pas écrit une histoire alternative à celle de Bologne mais s’est limité à l’examen critique de certaines études réalisées par des auteurs qu’il considère, lui, comme des « discontinuitistes », tant du côté progressiste que du coté traditionnel (et je suis l’un d’eux). Néanmoins, contre l’histoire tendancieuse d’Alberigo et de ses partisans, il ne suffit pas d’affirmer que les documents du Concile doivent être lus dans la continuité et non dans la rupture avec la Tradition. Quand en 1619, Paolo Sarpi a écrit une histoire hétérodoxe du Concile de Trente, il ne lui a pas été opposé des formules dogmatiques du Concile de Trente mais une histoire différente, la célèbre « Storia del Concilio di Trento » écrite sur ordre du Pape Innocent X par le Cardinal Pietro Sforza Pallavicino (1656-1657), l’histoire se combat efficacement avec l’histoire et non pas avec l’herméneutique.
Avec mon livre, j’espère avoir ouvert un chemin pour que soit « réécrit » de manière objective, ce qui est arrivé, non seulement les trois années durant lesquelles se déroula le Concile Vatican II, du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965, mais les années qui l’ont précédé et immédiatement suivi, l’époque dite « post-conciliaire ».

- Certains dont Cardeais (ndt voir ici en anglais http://rorate-caeli.blogspot.com/) soutiennent que la Messe de Paul VI, ne serait pas, à proprement dit, la Messe du Concile, qu’en pensez-vous ?

Pr Roberto de Mattei: Jean XXIII n’a jamais partagé l’idée d’une réforme liturgique qui était défendue, à ce moment, par une minorité de théologiens et de liturgistes progressistes. Peu avant l’ouverture du Concile, le 22 février 1962 , le Pape Roncalli a publié une Constitution Apostolique, Veterum Sapientia, dans laquelle il confirmait la liturgie traditionnelle et soulignait l’importance de l’usage du latin, « langue vivante de l’Église », en recommandant que les plus importantes disciplines ecclésiastique devaient être enseignées dans cette langue (n.5) et que les postulants au sacerdoce, avant d’entreprendre leurs études ecclésiastiques, devaient être « instruits dans la langue latine avec le plus grand soin avec une méthode rationnelle, par des maîtres extrêmement capables, pour la période de temps qui convenait (n.3).
Vatican II, bien qu’admettant une certaine introduction de la langue vernaculaire, a insisté sur le rôle du latin, en établissant, dans son n.36 de la Constitution Sacrosantum Concilium, du 4 décembre 1963: « On doit conserver l’usage du latin dans les rites latins, sauf directive particulière ». Le Concile a aussi demandé aux séminaristes « d’acquérir une connaissance de la langue latine avec laquelle ils peuvent comprendre et utiliser les sources de nombreuses sciences et documents de l’Église ». Néanmoins en établissant des limites, les pères conciliaires ont proposé une utilisation plus large de la langue vernaculaire. L’article 54 de la Sacrosantum Concilium , en effet, ajoute : « Si quelque part il peut sembler opportun l’usage plus large de la langue vernaculaire lors de la Messe, l’on observe ce qui est précisé à l’art. 40 de cette Constitution ». L'article 40 donne des orientations quant au rôle des Conférences Épiscopales et du Siège Apostolique sur une matière aussi délicate. Le Concile en recommandant l'utilisation de latin, a donc ouvert une brèche.


- Pourquoi le Novus Ordo de Paul VI, qui est entré en vigueur dans le monde entier le 3 avril 1969, a-t-il été présenté comme une conséquence du Concile Vatican II qui n’avait prévu aucune réforme liturgique ?

Pr Roberto de Mattei: Il s’agit, à mon point de vue, d’une application par Paul VI d’un « principe de pastoralité » de Vatican II, selon lequel l’aggiornamento (ndt la mise à jour) ne devait pas toucher la doctrine, mais la façon de l’exprimer. La dimension pastorale, en elle-même occasionnelle et secondaire au regard de la doctrine, est devenue, de fait, prioritaire, opérant une profonde révolution dans le langage et dans les mentalités. Selon le Père John O’Malley, Vatican II a été surtout, un « événement linguistique ». La nouveauté linguistique selon les progressistes était une réalité doctrinale parce que pour eux la façon dont l’on parle et l’on agit est la doctrine qui se fait tradition. La réforme liturgique a donc présenté une nouvelle lex orandi qui comportait une nouvelle lex credendi. Sous cet aspect, la réforme liturgique apparaît comme une réalisation cohérente, dans la pratique, du principe de pastoralité de Vatican II (ndt: de ma petite vision de catholique du bout du banc dont l’âge m’oblige à me dire issue des générations de Vatican II, cette idée de langue vernaculaire qui allait illuminer la vraie foi dont le peuple avait été séparé du fait du latin, Luther et cie l’avait eue bien avant. Cela aurait du faire réfléchir les « modernistes » s’ils n’avaient pas été peut-être motivés par des forces identiques à celles du XVIème siècle…Du grand art pour le Maître de la Division !)

- Quelles personnalités lusophones ont eu une action remarquable dans le Concile ? Quelle a été leur degré d’influence durant l’événement conciliaire ?

Pr Roberto de Mattei: L’épiscopat portugais comme en général les épiscopats latins se sont distingués lors du Concile par leur attachement à la Tradition de l’Église. Mais l’on doit se rappeler en particulier les protagonistes de la résistance au progressisme, réunis dans le Coetus Internationalis Patrum. Parmi eux je distinguerais les figures de Mgr Proença Sigaud, Mgr Antônio de Castro Mayer et du Professeur Plínio Corrêa de Oliveira, en particulier par rapport à la demande de condamnation du communisme qui a été illégalement laissée de côté par les commissions du Concile.


- Feriez-vous une analogie entre la situation de calamité surgie après Vatican II et une autre période de l’histoire de l’Église? En regardant le passé est-il possible d’entrevoir une solution future pour la crise que nous sommes en train de vivre ?

Pr Roberto de Mattei: L’histoire n’est jamais « nouvelle ». Benoît XVI a comparé notre temps à la décadence et la chute de l’Empire Romain d’Occident. Cette époque a été caractérisée non seulement pas les invasions barbares mais aussi par une tragique crise à l’intérieur de l’Église, qu’a été l’arianisme (ndt Arius, né en 256, mort en 336. Il diffusa l’hérésie qui pour faire court niait à Jésus Christ sa nature divine identique à celle de Dieu le Père. Le Concile de Nicée en 325 réaffirma que le Christ avait été : «Génitum, non factum, consubstantiálem Patri»). La lecture de l’œuvre du Bien heureux Newman sur « Les ariens du IVème siècle » me paraît éclairante pour comprendre l’époque actuelle (ndt l’arianisme très diffusé dans notamment dans la partie africaine en « rabaissant » le Christ à une créature, aurait évidemment facilité de facto au VIIème siècle l’islamisation massive des populations, en cela aidé évidemment par des cimeterres convaincants,).


- En sortant de la sphère de l’historien pour vous questionner comme le fidèle, que vous êtes Roberto de Mattei: comment voyez-vous l’arrivée de tant de jeunes intéréssés par la Messe Traditionnelle et sa diffusion après le motu proprio Summorum Pontificum ?

Pr Roberto de Mattei: Je crois qu’il y a au moins deux raisons d’origine naturelle qui expliquent ce phénomène si encourageant: la première est le changement de climat psychologique qui a été donné dans l’église avec le pontificat de Benoît XVI et, en particulier, avec son Motu Proprio Summorum Pontificum de 2007. Le second est le rôle d’internet, qui a permis qu’ainsi s’expriment et s’unissent, principalement les jeunes, qui sinon seraient restés isolés et sans voix. Mais il y a, évidemment, une raison plus profonde, d’ordre surnaturel: l’indubitable existence de nouvelles grâces qui surabondent l’Église qui apprend, dans une période historique où abonde, malheureusement, la désertion des Pasteurs.


- Enfin Professeur, présenterez-vous votre livre au Brésil?

Pr Roberto de Mattei: Ce serait une énorme satisfaction une présentation de mon livre au Brésil et je serais content d’y participer, mais il me semble que ce n’est pas encore à l’ordre du jour (*).

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Note de la traductrice

(*) L’on voit beaucoup au Brésil une certaine église « conciliaire », pour faire bref, avec ses extrêmes de la théologie de la libération, mais aussi ses formes plus « show évangélique », avec l’énorme et méritant travail accompli par exemple par le célèbre Père Marcelo, face à la terrible et pourtant très récente « concurrence » protestante ou néo-protestantes et sectes diverses d’origine plus ou moins estatsunienne à choisir dans les stands des bateleurs du supermarché du religieux, sans parler évidemment des syncrétismes africains.
Dans cet immense pays particulièrement sécularisé et soumis au mondialisme le plus sauvage (avec évidemment l’imposition démocratique des « nouveaux droits sociétaux eux-aussi très marchands »), où c’est plus le non respect des règles qui a permis le décollage économique du pays (exploitation des ressources naturelles, comme exportation y compris des céréales bétaillères à la France, et de produits industrialisées, à une Europe moins consommatrice car sans enfants et sans emploi…), il existe aussi un renouveau traditionnel même s’il paraît dérisoire (cf ici). Mais en France combien existe-t-il de paroissiens (hormis la FSSPX) qui peuvent vraiment vivre leur foi selon l’usage ancien, celui de toujours, du baptême jusqu’à la sépulture, et ce malgré leur désir de le faire ? L’on n’ose même pas dire le chiffre, pourtant la libération du rite latin dans sa forme dite extraordinaire a été faite par Benoît XVI presque dès le début de son pontificat. Et combien (toujours sans la FSSPX) aujourd’hui de séminaristes français reçoivent une formation conforme à celle rappelée pourtant par Jean XXIII, en France ? Ces jeunes qui veulent cette forme de préparation à la prêtrise sont le plus souvent dans des séminaires étrangers fondés par des prêtres français ! Il y a assurément beaucoup d’attente mais aussi énormément de possibilités. N’en doutons pas.

Avant les JMJ, il serait donc, évidemment, très profitable que l’œuvre de Roberto de Mattei pénètre au Brésil. Son escale portugaise est de bon augure .