Le mauvais côté de l'histoire

Le cardinal Francis George n'a pas pu participer au Synode sur la nouvelle évangélisation, car il souffre d'un cancer. Dans un billet publié en octobre sur le site de l'archevêché de Chicago, il met en garde sur un ton prophétique contre la dérive séculariste de l'Occident (13/11/2012).
Son texte a déjà été repris par le Pr De Mattei (cf. Obama 2 ) et Sandro Magister (qui en a fait un article intitulé George et le dragon - allusion à l'Apocalypse - sur son blog perso Settimo Cielo)

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L'hymne officieux de la laïcité est aujourd'hui la chanson de John Lennon "Imagine", dans laquelle nous sommes invités à imaginer un monde sans religion. Nous n'avons pas besoin d'imaginer un tel monde: le 20ème siècle nous a donné de terribles exemples de tels mondes...

Le monde séparé de Dieu qui l'a créé et racheté se dirige inévitablement vers une mauvaise fin.


La laïcisation de notre culture est un enjeu beaucoup plus important que les causes politiques ou les résultats de la campagne électorale actuelle, aussi importants soient-ils.

     

Le cardinal Francis George, archevêque de Chicago et ex-président de la Conférence des évêques des Etats-Unis, devait participer aux travaux du Synode, mais il n'a pas pu le faire, car il a rechuté du cancer dont il était en rémission depuis 5 ans.
Chaque semaine, il écrit un éditorial sur le site de son diocèse, et le dernier en date, très beau, daté du 21 octobe, donc juste avant les élections qui ont vu la victoire d'Obama, avait été cité par le Pr de Mattei (cf. Obama 2) qui en reproduisait un passage. Il est consacré à la dérive séculariste de l'Occident, et il vaut d'être lu en entier.
Texte en anglais ici: http://www.catholicnewworld.com
Ma traduction

Le cardinal Francis George
21 Octobre - 3 Novembre 2012
Le mauvais côté de l'histoire
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Octobre est le mois du Très Saint Rosaire, dévotion associée, à l'époque moderne, avec les apparitions de la Vierge Marie à Fatima en 1917, pendant la Première Guerre mondiale. Marie réclame la prière et la pénitence, qu'elle a toujours demandées dans ces révélations privées qui font écho à la révélation publique de l'Évangile: «Repentez-vous, le royaume de Dieu est proche».

Marie, à Fatima, est aussi entrée dans l'histoire du monde moderne quand elle a dit à trois enfants de paysans illettrés que la Grande Guerre menée alors par le président Wilson, «la guerre pour mettre fin à toutes les guerres», allait bientôt prendre fin, mais qu'une plus grande menace pour la paix dans le monde allait se poser en Russie, dont les erreurs se répandraient dans le monde et apporteraient des millions et des millions de morts violentes. En fin de compte, cependant, Marie a promis que son Cœur Immaculé triomphera. Cette promesse, elle aussi, fait écho à l'Evangile lui-même: le Christ ressuscité est victorieux sur le péché et la mort.

L'éternité entre dans l'histoire humaine de manière souvent incompréhensible. Dieu fait des promesses, mais ne donne pas de délais. Visitant le sanctuaire de Fatima, les pèlerins entrent dans une immense place, avec le message des apparitions marqué par une petite chapelle d'un côté, une grande église à une extrémité, une chapelle d'adoration tout aussi grande à l'autre extrémité, et un centre pour les visiteurs et pour l'audition des confessions. Juste en dehors des principales aires, une section du mur de Berlin a été reconstruite, témoin frappant de ce que Marie avait dit il y a un siècle. Le communisme en Russie et ses pays satellites s'est effondré, bien que beaucoup de ses effets pécheurs sont toujours avec nous.

Le communisme a imposé un mode de vie global fondé sur la croyance que Dieu n'existe pas. Le laïcisme est le compagnon de lit plus présentable du communisme. Une petite ironie de l'histoire a surgi à l'ONU il y a quelques semaines lorsque la Russie a rejoint la majorité des autres nations pour vaincre les Etats-Unis et les pays d'Europe occidentale qui voulaient déclarer que tuer l'enfant à naître devrait être un droit universel de l'homme (**) . Qui est du mauvais côté de l'histoire, aujourd'hui?

La campagne politique actuelle a amené à la surface de notre vie publique le sentiment anti-religieux, en grande partie explicitement anti-catholique, qui grandit dans ce pays depuis plusieurs décennies. La laïcisation de notre culture est un enjeu beaucoup plus important que les causes politiques ou les résultats de la campagne électorale actuelle, aussi importants soient-ils.

M'exprimant il y a quelques années devant un groupe de prêtres, entièrement en dehors du débat politique actuel, je tentais d'exprimer de manière dramatique ce que la laïcisation complète de notre société pourrait apporter. Je répondais à une question et je n'ai jamais mis par écrit ce que j'ai dit, mais les mots ont été capturés sur un smartphone et se sont désormais répandus comme un virus sur Wikipedia et ailleurs dans le monde des communications électroniques. On me cite (à juste titre) comme disant que je m'attendais à mourir dans mon lit, que mon successeur mourrait en prison et que son successeur allait mourir en martyr sur la place publique. Ce qui est en général omis dans les rapports, c'est la phrase finale que j'ai ajouté au sujet de l'évêque qui suivrait peut-être un évêque martyr: «Son successeur ramassera les débris d'une société en ruine et lentement aidera à reconstruire une civilisation, ce que l'Église a fait si souvent dans l'histoire humaine». Ce que j'ai dit n'est pas «prophétique» mais un moyen de forcer les gens à penser en dehors des catégories habituelles qui limitent et parfois empoisonnent les discours public et privé.

Un précédent archevêque de Chicago a autrefois essayé de lire les signes de son temps. Le 18 mai 1937, le cardinal Mundelein, lors d'une conférence aux prêtres de l'archidiocèse, qualifia le chancelier allemand d'alors de «poseur de papier peint Autrichien, et sacrément mauvais à cela, me dit-on» (ndt: le texte original du cardinal Mundelein est en ligne ici).
Pourquoi le cardinal Mundelein parla-t-il d'une manière qui attira les applaudissements du New York Times et des journaux locaux d'alors, et conduisit le gouvernement allemand à se plaindre amèrement auprès du Saint-Siège? Le gouvernement allemand, déclarant son idéologie comme la vague de l'avenir, avait dissous les groupes de jeunes catholiques et essayé de discréditer chez les jeunes le travail de l'Église à travers des procès de moines, de prêtres et de religieuses accusés d'immoralité (ndt: cet épisode avait été raconté par massimo Introvigne, et traduit par moi ici: benoit-et-moi.fr/2010-I/ ). Le cardinal Mundelein avait parlé de la façon dont les protestations publiques des évêques avaient été réduites au silence dans les médias allemands, laissant l'Église en Allemagne plus «impuissante» qu'elle ne l'avait jamais été.

Il avait ensuite ajouté: «Il n'y a aucune garantie que le front de bataille ne puisse pas s'étendre un jour dans notre propre pays. Hodie mihi cras tibi. (Aujourd'hui c'est moi, demain, toi). Si nous ne manifestons aucun intérêt dans cette affaire maintenant, si nous haussons les épaules et murmurons ... "ce n'est pas notre combat", si nous ne soutenons pas le Saint-Père quand nous en avons une occasion, eh bien, quand notre tour arrivera, nous aussi, nous nous battrons seuls».

«Quand notre tour arrivera ...» .
Le cardinal Mundelein était-il un prophète, autant qu'un génie administratif? Pas vraiment. À sa mort en 1939, il était bien connu comme un patriote américain et un ami du président Franklin D. Roosevelt, mais il avait aussi la conviction catholique qu'aucun État-nation n'avait été le fruit d'une immaculée conception. L'hymne officieux de la laïcité est aujourd'hui la chanson de John Lennon "Imagine", dans laquelle nous sommes invités à imaginer un monde sans religion. Nous n'avons pas à imaginer un tel monde: le 20ème siècle nous a donné de terribles exemples de tels mondes.

Au lieu d'un monde vivant en paix, parce qu'il est sans religion, pourquoi ne pas imaginer un monde sans Etats-nations? Après tout, il n'y aurait pas eu d'ambassadeur américain tué récemment en Libye s'il n'y avait eu ni Amérique ni Libye! Il y a, évidemment, des individus et des groupes qui abusent encore de la religion comme une raison de comportements violents, mais les États-nations modernes n'ont pas besoin de la religion comme prétexte pour faire la guerre. Chaque grande guerre dans les 300 dernières années, a été menée par les Etats-nations, et non pas par l'Église. Dans notre propre histoire, la reconquête des Etats sécessionnistes dans la guerre civile a été de loin plus sanglante que la reconquête de la Terre sainte par les croisés aujourd'hui méprisés. L'appareil d'Etat pour les enquêtes civiles est aujourd'hui beaucoup plus étendu que tout ce que l'Inquisition espagnole aurait imaginé, même si les deux ont été créés pour servir le même but: préserver l'idéologie publique d'un gouvernement et contrôler la société, qu'elle soit fondée sur la religion ou sur l'ordre constitutionnel moderne .

Les analogies peuvent facilement être multipliées, si l'on veut imposer une thèse; mais le fait est que la plus grande menace à la paix mondiale et à la justice internationale est l'État-nation qui a mal tourné, affirmant un pouvoir absolu, tranchant les questions et faisant des «lois» dépassant sa compétence. Rares sont ceux, cependant, qui oseraient demander s'il n'y aurait pas une meilleure façon pour l'humanité de s'organiser pour l'amour du bien commun. Rares, au-delà d'une voix prophétique comme celle de Dorothy Day (ndt: 1897-1980; journaliste et militante catholique américaine devenue célèbre pour ses campagnes publiques en faveur de la justice sociale, des pauvres, des marginaux, des affamés et des sans-abris - selon wikipedia), parlant de façon acerbe de “Holy Mother the State” («Sainte Mère l'État»), ou la voix de l'Eglise qui appelle le monde, de génération en génération, à vivre en paix dans le royaume de Dieu.

Dieu soutient le monde, dans les bons moments comme dans les mauvais. Les Catholiques, avec beaucoup d'autres, pensent que seule une personne a vaincu et a sauvé l'histoire: Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de la Vierge Marie, sauveur du monde et tête de son corps, l'Église. Ceux qui se rassemblent autour de sa Croix, et près de son tombeau vide, peu importe leur nationalité, sont du bon côté de l'Histoire. Ceux qui mentent sur lui, et persécutent ou harcèlent ses disciples, à n'importe quelle époque, peuvent imaginer qu'ils apportent quelque chose de nouveau à l'histoire, mais ils finissent inévitablement par rabâcher la vieille histoire humaine du péché et de l'oppression. Il n'y a rien de «progressiste» dans le péché, même s'il est promu comme "éclairé".

Le monde séparé de Dieu qui l'a créé et racheté se dirige inévitablement vers une mauvaise fin. Il est du mauvais côté de l'histoire qui compte finalement. Le Synode sur la Nouvelle Evangélisation se déroule à Rome ce mois-ci parce que des sociétés entières, en particulier en Occident, se sont placées du mauvais côté de l'histoire.
Ce mois d'Octobre, prions le chapelet afin que l'Esprit Saint guide et renforce les évêques et les autres au synode, tandis qu'ils délibèrent sur les défis à prêcher et à vivre l'Évangile en ce moment de l'histoire humaine.

(**) Note

Lu ici: http://www.c-fam.org/
5 octobre 2012
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Les délégations diplomatiques des pays européens et des Etats-Unis ont essuyé une défaite lorsque, la semaine dernière, le Conseil des droits de l’homme adoptait une résolution réaffirmant l’existence d’un lien positif entre valeurs traditionnelles et droits de l’homme. Les délégations européennes et américaines, voient dans la tradition une menace pour les femmes, et les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transsexuelles.
Cette résolution sur les valeurs traditionnelles est la troisième depuis 2009. La Russie pu faire passer cette résolution malgré les tentatives des autres Etats membres de faire échec à l’initiative.

La résolution actuelle, soumise par la Russie et rédigée en collaboration avec plus de 60 Etats (tous n’étant pas membres du Conseil), affirme que les valeurs traditionnelles sont communes à l’humanité entière et jouent un rôle positif dans la promotion et la protection des droits de l’homme.
Elle énonce que « une meilleure compréhension et appréciation des valeurs traditionnelles partagées par l’humanité entière et incarnées dans les instruments universaux des droits de l’homme contribue à la promotion et à la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le monde entier ».

Faisant écho à la Déclaration universelle des droits de l’homme, la résolution souligne que « les droits de l’homme ont pour origine l’inhérente dignité et la valeur de la personne humaine », et reconnaît le rôle positif de la famille des communautés et des systèmes éducatifs dans la promotion des droits de l’homme, appelant les Etats à « renforcer leur rôle par le biais des mesures positives appropriées ».

Les Etats européens et les Etats-Unis avaient déjà fait entendre leur opposition au concept de valeur traditionnelle lorsqu’une résolution ainsi intitulée avait été proposée par la Russie en 2009. Ils avaient aussi voté contre une telle résolution sollicitant un rapport du Comité consultatif du Conseil sur le lien étroit entre les valeurs traditionnelles et les droits de l’homme, en mars de l’année dernière. Lorsque cette mesure est passée, ces Etats ont pris contrôle du Comité consultatif et rendu un rapport dont le contenu est contraire aux intentions de départ de la résolution.

Les délégations européennes et américaines ont à plusieurs reprises contesté un concept de « valeur traditionnelle » qu’ils jugent trop vague et est souvent utilisé pour justifier la violence et la discrimination à l’encontre des femmes, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles (LGBT). Cet argument n’ayant cependant pas pu émouvoir suffisamment de pays, ils ont tenté de faire obstacle à la résolution en demandant au Conseil d’attendre le rapport du Comité consultatif, celui-là même auquel ils s’étaient opposés dès le début.

La Russie a malgré tout soumis la résolution, confiante d’obtenir le nombre de votes nécessaires. Celle-ci a été adoptée avec 25 voies favorables, 15 voies défavorables, et 7 abstentions.

A l’occasion son adoption, le Ministère des affaires étrangères russe a déclaré : « La Fédération de Russie ainsi les corédacteurs [de la résolution] continueront à promouvoir l’idée de l’inséparable connexion entre les droits de l’homme et les valeurs morales traditionnelles au Conseil des droits de l’homme. »