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Un frange de l'Eglise Conciliaire, qui ne veut pas des lefebvristes, en veut au Saint-Père de leur tendre la main, et le fait savoir. Comme en témoigne un livre à peine sorti en Italie, qui fait l'objet d'une recension - pour le moins agacée - de Lucetta Scaraffia, éditorialiste de l'OR. (4/1/2012)

Il n'est sans doute pas nécessaire de lire le livre (1) pour voir d'où vient la énième attaque!

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Le Pape et l'histoire
Lucetta Scaraffia
(© L'Osservatore Romano, 4 Janvier 2012 pour la version en italien, ma traduction)
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«La question centrale qui sous-tend les choix à faire, réside une fois encore dans le genre de relation que l'Eglise de Rome a l'intention d'établir avec l'histoire; elle réside, pour dire les choses plus précisément, dans sa façon de se penser dans l'histoire: reconnaît-elle en faire pleinement partie, comme en fait partie l'Evangile dont elle se réclame, ou bien s'en soustrait-elle, parce qu'elle porte, intouchable par les contingences humaines, un message qu'elle a su garder inviolé et inaltéré au cours de deux mille ans? »

Par ces mots, l'historien Giovanni Miccoli (2) résume son long discours critique contre Benoît XVI dans son dernier livre «La Chiesa dell’anticoncilio. I tradizionalisti alla riconquista di Roma ».
Un réquisitoire qui se fonde sur la consultation d'une masse de textes et de documents, et qui est basé sur une lecture de Vatican II comme moment de rupture avec un immobilisme séculaire.
Avec le Concile, enfin, l'Église se serait mise au pas avec l'histoire, acceptant la modernité. Selon le chercheur, donc, l'Eglise aurait accepté de rediscuter l'ensemble de sa culture et de ses traditions à la lumière du changement radical qui a marqué les sociétés occidentales des XIXe siècle et XXe siècles.

L'accent mis sur le manque d'attention à l'histoire et sur le refus d'en tenir compte de la part de Benoît XVI - qui, précisément à cause de ce prétendu manquement, est accusé par Miccoli d'avoir horreur des distinctions, et ensuite de se livrer à une «simplification banalisatrice» - constitue en effet l'épine dorsale de ce livre.

On est surpris de trouver, chez un historien de ce calibre - lequel, comme il apparaît à partir des notes, a lu au moins quelques-unes des oeuvres de Ratzinger - l'incapacité absolue de reconnaître que le théologien aujourd'hui Pape a toujours montré une attention extraordinaire aux aspects historiques des questions et des problèmes ; cherchant toujours, y compris dans ses discours, à proposer du moment historique que nous vivons une interprétation riche en références à l'actualité et à ses transformations. Parler de recherche de la vérité et accuser la pensée contemporaine de relativisme ne signifie évidemment pas nier l'histoire. Cela signifie plutôt donner de l'histoire une interprétation qui ne plaît pas à l'auteur de l'ouvrage, mais cela est un autre problème.

Pour Miccoli, l'histoire semble s'identifier uniquement avec celle des années soixante, c'est-à-dire avec le climat culturel qui a été le contexte de Vatican II et de ses documents .
Comme si tout ce qui s'est passé ensuite - c'est-à-dire l'application de ces textes, mais aussi l'échec des utopies modernes prêchées alors dans la société, et l'émergence de nouveaux problèmes graves, tels que les questions de bioéthique - n'était pas aussi l'histoire, et ne méritait pas aujourd'hui attention et critique. Et, par conséquent, ne réclamait pas un regard nouveau sur le Concile, différent de celui de ses contemporains. Un regard historique, justement.
Tout aussi historique est le regard à porter sur les fractures et les oppositions nées dans les années du Concile Vatican II. Le fait qu'un demi-siècle se soit écoulé depuis ce moment-là signifie évidemment qu'on peut tenter d'en tirer un bilan différent, qui utilise comme élément de jugement non seulement des proclamations théoriques, nécessairement datées, mais aussi le comportement des adversaires dans les décennies suivantes.
L'histoire qui, selon Miccoli devrait entrer dans le discours du Pape est toujours celle passée, et plus précisément celle qui se déroulait lors du Concile et qui en a évidemment influencé les décisions; comme si seuls les événements qui nous plaisent et que l'on partage méritent d'être considérés comme historiques. Les autres doivent être archivés comme résistance, opposition, immobilisme.

Il s'agit d'une conception de l'histoire pour le moins discutable, que portent non seulement Miccoli, mais d'autres historiens de l'Eglise et en particulier de Vatican II, qui arrivent de cette manière facile à conclure ce qui leur tient le plus à coeur: à savoir que les traditionalistes - avec le Pape en tête - seraient la reconquête de l'Eglise .

Mais pourquoi le mode de réflexion de Benoît XVI, clairement exprimé dans ses livres et ses discours, et donc accessible à quiconque cherche sérieusement à comprendre, trop souvent, n'est-il pas lu dans son originalité et sa nouveauté? Pourquoi tout ce qu'il dit doit-il nécessairement rentrer dans les schémas usés des progressistes et des conservateurs, qui au fond avaient déjà été mis en crise par le Pape du Concile lui-même, par Paul VI, avec la publication d'Humanae Vitae?
C'est comme si le schématisme de la vision politique de notre époque recouvrait d'un voile une vraie et libre interprétation - qui bien sûr peut aussi être critique - de ce pontificat, qui, de quelque façon qu'on le veuille juger, se révèle de plus en plus surprenant et intéressant.
Les historiens mettront-ils cent ans pour le comprendre? Espérons que non.

Notes

(1) Résumé de l'éditeur:

Le 29 août 1976, dans une salle de Lille, en présence de milliers de fidèles enthousiastes, Mgr. Marcel Lefebvre, au cours de la messe, prononce une homélie qui a reçoit un large écho. Le «sermon de Lille» (ndt: texte ici) marque une nouvelle étape dans son différend avec Paul VI et constitue un point de référence fondamental pour ses disciples de la Fraternité Saint-Pie X. Déjà suspendu a divinis pour avoir procédé à des ordinations que Rome avait interdites, il revendique son «devoir de former des prêtres, de former les vrais prêtres dont l'Église a besoin».
Mais surtout, il répète une condamnation sans appel du concile Vatican II, le grand accusé. Six ans se sont écoulés depuis la fondation de la Fraternité, quintessence du mouvement anti-conciliaire expression la plus complète de ses motifs. Trois décennies plus tard, le décret de la Congrégation des Évêques retire l'excommunication de Jean Paul II contre les quatre évêques consacrés illicitement par Mgr Lefebvre. Le retrait est signé par le préfet de la Congrégation, mais la décision, bien sûr, est de Benoît XVI.

Giovanni Miccoli retrace l'histoire de la Fraternité et de l'attitude assumée envers elle par les papes durant les cinquante années après le Concile. L'intérêt d'une telle histoire est multiple: la relation entre Rome et la Fraternité est éclairante pour comprendre la réalité et les caractères de l'opposition drastique qui est s'exprimé au sein du Concile, un vrai choc entre deux façons de penser et de vivre le christianisme et l'Église. Mais aussi pour indiquer la direction dans laquelle la papauté et la Curie ont souhaité, au fil des ans, diriger l'Eglise catholique, à la fois en référence à sa vie interne et dans ses relations avec «les autres».

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(2) Giovanni Miccoli (né en 1933) est titulaire d’une chaire d’Histoire de l’Église à la faculté des lettres de l’Université de Trieste. Auteur de plusieurs livres, il est spécialiste du débat autour du rôle de Pie XII et de l’Église catholique durant la Seconde Guerre mondiale. Il participe à de nombreux colloques et est membre de multiples comités scientifiques.


Il est l'auteur d'un ouvrage traduit en français sous le titre "Les dilemmes et les silences de Pie XII" (!!)