Benoît XVI, un éducateur infatigable

Le grand message d'un Pontificat. Article de José Luis Restàn, traduit par Carlota (7/3/2013)

Dans un article de la revue « Alfa y Omega » de la fondation Saint Augustin de l’archevêché de Madrid, José Luis Restán, directeur éditorialiste de la chaîne catholique COPE, et sans doute l’un des meilleurs connaisseurs espagnols de Benoît XVI, « un Pape dans un monde post-chrétien », revient sur le message essentiel de son pontificat.
(original ici http://www.alfayomega.es)

     

Éducateur infatigable, Benoît XVI a surpris à l’intérieur comme à l’extérieur [de l'Eglise], affirme le directeur éditorialiste de COPE, par sa « capacité pédagogique, sa manière de maintenir un dialogue vivant avec des questions des gens ». Il n’a pas mis de côté des questions incommodes ou douloureuses. Comme un bon éducateur, il a été, avant tout, un témoin, qui « a su communiquer l’art de vivre : le christianisme ».
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Un des aspects qui a le plus impressionné chez Benoît XVI, à l’intérieur comme à l’extérieur, a été sa capacité pédagogique, sa manière de maintenir un dialogue vivant avec les questions des gens. En cela, comme en tant d’autres choses, il a été un Pape innovateur. Le démontre sa façon de répondre aux jeunes, sa façon d’intervenir sur les réseaux sociaux, sa disposition à se laisser interroger dans des entretiens en dehors des règles rigides et fixées à l’avance, ou son initiative de dialogue à travers la télévision sur des questions élémentaires de l’expérience humaine. Nous connaissons tous sa puissance intellectuelle, mais peu ont signalé sa capacité à être un authentique enseignant.

Un exemple m’est resté tout particulière gravé en mémoire. En 2007, lors de la visite de Benoît XVI à Gênes (ndr: en réalité, c’était à Lorette, le 2 septembre 2007, voir ici benoit-et-moi.fr/ete2011), un jeune lui pose le problème de ce que les jeunes se sentent à la périphérie de l’Histoire, sans perspectives et sans avenir. Il leur manque un centre, ils ne trouvent pas de personnes capables de leur donneur une identité. Le Pape aurait pu répondre avec de bons conseils, avec une attaque aiguisée contre le relativisme ou en lui recommandant de passer plus de temps dans sa paroisse. Mais non, en un instant il prend au vol la profondeur de ce défi et déconcerte tout le monde. Il s'extrait de la contre position "centre-périphérie" qu’avait posée son interlocuteur, et affirme que la grande tâche de ce moment est de générer des centres vitaux dans cette périphérie nébuleuse où se meut la vie des gens. En outre il signale que les cellules vitales de la société sont en danger, elles n’accomplissent pas suffisamment leur fonction. La famille, la paroisse, les associations civiles, les mouvements, devraient être des lieux de rencontre où l’on apprend à vivre, où l’on fait l’expérience des vertus essentielles. Il faut reconstruire ce réseau de centres vitaux dans la périphérie, dans la confusion de nos sociétés complexes. Centres de foi, d’espérance, d’amour et de solidarité, d’où grandira le sens de la justice et de la coopération. Sûrement, Benoît XVI a été bien au-delà de ce que ce jeune avait dans la tête, ce qui est une caractéristique du véritable enseignant. Mais en plus, il en a profité pour montrer le lien entre la foi et la vie, qui ne se joue pas simplement en pensée mais dans la réalité. Quelque chose qu’il relie très bien avec son esprit bénédictin (ndr le fameux Ora et labora, la prière et le travail, la pensée et les actes).

La véritable éducation implique toujours une proposition de sens qui cherche à établir une correspondance avec les questions et les désirs de celui qui écoute. Maintenir l’arc voltaïque entre ces deux pôles donne la mesure d’un enseignant. Par exemple, on est impressionné lorsqu’une petite fille japonaise de sept ans demande au Pape le sens de l’atroce tremblement de terre de Fukushima (ndt : Vendredi saint, 22 avril 2011, lors d’un jeu de questions-réponses sur la RAI, cf. benoit-et-moi.fr/2011-I/).
D’abord Benoît XVI se laisse blesser par la douleur de l’enfant, il ne lance pas une réponse toute-faite. « Moi aussi je me demande : pourquoi en est-il ainsi ?...Et nous n’avons pas de réponse, mais nous savons que Jésus a souffert comme vous, innocent, que le vrai Dieu qui se montre en Jésus est à votre côté…Un jour je comprendrai que cette souffrance n’était pas quelque chose de vide, n’était pas inutile, mais que derrière la souffrance il y a un bon projet, un projet d’amour…Sois certaine, nous sommes à ton côté…Nous prions ensemble pour que la lumière vous arrive dès que possible ». Le Pape ne ferme pas la réponse, il l’ouvre beaucoup plus en lui donnant une perspective d’espérance qui peut être expérimenté ici et maintenant à travers la charité, la communion. Le maître n’essaie pas de vaincre dans un combat d’escrime dialectique mais il entre dans la réalité pour obscure qu’elle soit.

Une autre belle image, nous la trouvons dans la catéchèse du 7 novembre dernier sur la foi et le désir de l’homme (www.vatican.va).
Ce qui est impressionnant chez le Pape c’est qu’à aucun moment, la parole ne semble lui brûler les lèvres. On dirait plutôt qu’il la manie avec familiarité, qu’il tisse avec elle une symphonie que nous ne pouvons cesser de suivre, simplement parce que nous nous voyons reconnus en elle. Il commence par reconnaître que « beaucoup de nos contemporains pourraient objecter qu’ils ne ressentent aucunement ce désir de Dieu … ». Mais ensuite, il explique combien, dans le fond, « ce que nous avons défini comme désir de Dieu n’a pas disparu du tout et se montre aussi aujourd’hui, de nombreuses façons, au cœur de l’homme ».

La profonde vérité du désir: Pour le Pape, chaque désir qui vient au cœur de l’homme se fait écho d’un désir fondamental que ne se satisfait jamais pleinement, et c’est pour cela que le chrétien ne doit pas avoir peur du désir de l’amitié, de la beauté, de la création, de l’amour. La tâche de l’éducateur sera de transformer l’extase initiale en un pèlerinage, comme un "sortir" du moi fermé, vers une libération dans le don de soi. Non pas pour que le désir s’aplatisse et perde de son aiguillon, mais pour protéger sa vérité plus profonde, pour le projeter comme un rayon vers son véritable accomplissement. Comme le Pape continue à le dire : « l’homme connaît bien ce qui ne le satisfait pas, mais ne peut imaginer ou définir ce qui lui ferait expérimenter ce bonheur dont il conserve la nostalgie dans le cœur.…., c’est un chercheur d’Absolu, un chercheur aux petits pas incertains…mais l’expérience du désir, du cœur inquiet (comme l’appelle Saint Augustin) atteste que l’homme est au profond de lui-même un mendiant de Dieu ».

Là se révèle un autre trait essentiel du pontificat : alors qu’il cherchait à ré-enraciner l’Église dans son fondement, il regardait toujours en même temps un monde qui, comme disait Péguy « n’est plus chrétien ». Benoît XVI signale qu’ « il ne s’agit pas d’étouffer le désir qui existe dans le cœur de l’homme, mais de le libérer, pour qu’il puisse atteindre sa véritable hauteur ». Et il ouvre ainsi une fenêtre d’air frais aux parents, éducateurs, prêtres. Et il achève la symphonie en nous invitant à « nous sentir frères de tous les hommes, compagnons de voyage, aussi de ceux qui ne croient pas, de ceux qui sont en recherche, de ceux qui se laissent interroger avec sincérité par le dynamisme du propre désir de vérité et de bien ».

Au fond, tout éducateur est toujours un témoin, quelqu’un qui s’engage personnellement avec la vérité qu’il propose et qui, en autre, connaît le cœur de ceux à qui il s’offre. C’est pourquoi, à la différence de tant de charlatans de cette époque, Benoît XVI a su toucher le cœur de nombreuses personnes, de l’intérieur comme de l’extérieur. Et il a su leur communiquer l’art de vivre, c’est le christianisme.

José Luis Restán