La Pape, "premier rôle" à toutes les époques

A travers deux ouvrages, une réflexion sur l'adaptabilité de l'institution de la papauté, et la résistance de la religion catholique dans la société de plus en plus sécularisée, par un blogueur espagnol, écrite au moment des JMJ de Madrid. Traduction de Carlota (10/1/2013)


Il y a quelques jours, Carlota avait traduit un article d’un blogueur espagnol Pascual Tamburri, qui analysait très finement la situation politique en Italie, à la veille des élections générales, en particulier en relation avec le soutien présumé de l’Eglise à Mario Monti, et les principes non négociables (cf. Monti, le bienheureux laïc).
A cette occasion, et comme cela arrive souvent dans de telles circonstances, Carlota a trouvé intéressant un autre texte du même, et elle l’a traduit.
Il date des JMJ d’aôut 2011 (l’un de ces moments magiques pour le Saint-Père, cf. Sandro Magister). Tamburri étudie le paradoxe d’une Eglise qui continue contre vents et marées à apporter son message à un monde de plus en plus sécularisé, à travers deux livres sortis en Espagne (et semble-t-il, pas en France) qu’il venait de lire. L’auteur de l’un d’eux n’est autre - et ce n’est pas la moindre curiosité de l’article – que Paolo Prodi, le frère de Romano.

     

J’ai retrouvé et traduit un texte qui date du 19 août 2011 de Pascual Tamburri Baráin, déjà rencontré (né en 1970- licencié en Philosophie et Lettres, et Sciences Politiques et Sociologie, docteur en Histoire. Il enseigne en Navarre) "Les faux secrets d’un Pape moderne, souverain et adoré".
Le texte a été rédigé au moment des JMJ madrilènes mais il garde néanmoins toute sa valeur. Et les récentes déclarations, notamment en France, de ministres, voire du Président de la République, ne trompent pas. L’ « ennemi » , c'est bien l’Église catholique.
Mais pourquoi donc tant d’inquiétude par rapport à celui qui n’a aucune « division »? Tamburri déclarait déjà il y a un an et demi : « Le Pape a été protagoniste, à l’époque médiévale, à l’époque moderne et à l’époque contemporaine. La sécularisation n’est ni universelle, ni n’est à sens unique, et nous allons assister à quelques surprises ».
Bien sûr les surprises n’arrivent pas toujours aussi vite qu’on le voudrait mais elles arrivent, n’en doutons pas…(Carlota)

     

Les faux secrets d’un Pape moderne, souverain et adoré
Pascual Tamburri Bariáin
www.elsemanaldigital.com
19 aout 2012

Benoît XVI est devenu le protagoniste de l’été espagnol. Il l’a été par l’attente créée, il l’a confirmé par l’immense foule qu’il a réunie, et même la polémique et la résistance qu’il a éveillées n’ont fait que renforcer l’image de force, d’influence et de pouvoir du responsable spirituel le plus vigoureux de notre société.
Et ce qui est certain c’est que, malgré les efforts antichrétiens (ou plutôt anticatholiques !) et d’une manière générale laïcistes, une fois de plus le siège de Saint Pierre a démontré sa capacité à connaître une époque et à adopter ses formes pour exercer sa mission, et une fois de plus il a été vérifié que la religion n’est pas une superstructure mais bien un fait essentiel qui, dans une Europe qui change, continue à être porté par un catholicisme qui lui change sans changer. Akal (maison d’édition madrilène) nous offre deux textes classiques pour comprendre cette intrigante question du point de vue historique et sociologique.

1. " Il Sovrano Pontefice. Un corpo e due anime"

« Il Sovrano Pontefice. Un corpo e due anime: la monarchia papale nella prima età moderna », (Paolo Prodi)
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Un Pape vêtu de blanc, comme Pie V (223ème pape, de 1566 à 1572) - le premier qui revêtit la soutane blanche -, a envahi l’Espagne cinq siècles et demi après Lépante (7 octobre 1571). Le patriarcat d’Occident a su grandir, mûrir et évoluer au même rythme que cette partie de l’Empire l’a fait à travers les époques.
La singularité, cette fois, c’est que le Pape censure ceux qui « se croient des dieux », décidant qui peut vivre et qui ne le peut pas ; mais ce n’est pas une nouveauté, car tous les Papes l’ont fait ou l’auraient fait s’ils en avaient eu besoin. Ce qui est déconcertant c’est de vérifier comment une institution de ce calibre, en plus de ne pas être éclipsée, continue à dire la même chose de différentes façons, sans changer de mission mais sans s’ancrer dans ce qui est passager.

Paolo Prodi a enseigné pendant de nombreuses années l’histoire moderne à Bologne où il a renouvelé la recherche et la vulgarisation sur la théorie et les formes du pouvoir. Il a su unir des aspects apparemment hétérogènes du passé, pour le comprendre et pour le rendre utile dans la compréhension du présent et du futur. Et il a démontré qu'aux XXème et XXIème siècle, le rite et la force, la forme et le fond, l’esprit et la puissance, sont complètement inséparables… comme ont eu l’occasion de le vérifier pour leur plus grand regret tous ceux qui au cours du temps ont voulu aller par d’autres chemins, tout au moins dans l’Europe chrétienne.

Son étude sur le Souverain Pontife (*) est un classique en matière de recherche et de vulgarisation appliquées à la transition du Moyen Âge à l’Époque Moderne à travers les vicissitudes du Saint Siège.
Parce que c’était ce qui était raisonnable en ce temps-là, « la papauté a exercé un rôle fondamental dans la politique européenne et dans la construction de l’État moderne ». Et pour la même raison, elle ne l’avait pas fait avant ni ne le fait maintenant, car de telles façons de conjuguer le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel n’étaient que liées aux circonstance. Le Pape-Roi a été une construction brillante qui a servi en outre de modèle à toute l’Europe, mais qui a eu son temps, et son changement ne suppose pas la défaite des Papes, mais au contraire annonce une nouvelle victoire. Comme celle que nous voyons et avons besoin de comprendre.

Benoît XVI lutte contre un rejet du christianisme, une « éclipse de Dieu » dans un monde matérialiste qu’il qualifie de « relativiste et médiocre ». Il utilise les moyens du XXIème siècle, il mobilise les médias, les réseaux, les foules et les formes de ce siècle pour lutter contre les ennemis de Rome aujourd’hui avec les instruments d’aujourd’hui et de demain. Le livre de Prodi réédité précisément maintenant (en Espagne!), sert pour comprendre dans la Romanité la différence entre l’essentiel et le circonstanciel.
Si aujourd’hui il convient de gagner la bataille de l’image et des foules ( le @pontifex est dans cette logique, sans que bien sûr ce soit l’image qui soit recherchée comme absolu mais bien la transmission du message évangélique) et de prier pour ceux qui agissent « comme des dieux » sans n'avoir plus d'autre fondement qu’eux-mêmes , contre la modernité matérialiste, hier, en somme, il pouvait s'agir d’une Croisade, d’une Reconquête, d’un État, d’une Renaissance.... Alexandre VI, Léon X, Jules II, Saint Pie V antimoderniste ou Pie XII couronné et dans sa sedia gestatoria; et Benoît XVI est une part de plus de la même bataille.

Prodi est d’une lecture agréable, et il aide à comprendre quelle est la manière d’être d’un pontificat dans le monde, et concrètement quel legs a porté et laissé la papauté moderne. Aujourd’hui nous vivons une autre époque, mais oublier que l’Église est la même et que les changements circonstanciels n’affectent rien en son centre, signifie ne rien comprendre. Comme en effet beaucoup l’ont fait dans l’Espagne de Zapatero (ndt et dans la France, de…, et de… !) […]

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(*) « Il Sovrano Pontefice. Un corpo e due anime: la monarchia papale nella prima età moderna », Il Mulino, Bologna 1987, sortie en anglais en 1987 « The Papal Prince: One Body and Two Souls », et réédité en espagnol en 2011, «El soberano pontífice: Un cuerpo y dos almas: la monarquía papal en la primera Edad Moderna ». Ne semble pas être disponible en français (?)

     

2. Sociology of religion

L’auteur présente ensuite un essai de la sociologue britannique Grace Davie, sur la société et la religion.
Sociology of religion, Grace Davis

Une foule de fanatiques (**) dans la rue ou la voix du futur?
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La religion est-elle toujours importante ?
Face à la sociologie matérialiste à la mode au XXème siècle, Grace Davie a développé toute une sociologie de la religion, en comprenant la religion comme une pièce inévitable de la vie en société (et l’on voit bien actuellement que si la Religion catholique est sensée être moribonde, bien d’autres religions ou idéologiques avec leurs tabous bien spécifiques s’imposent ou tentent de s’imposer à la place).
L’affaire n’est pas mineure car depuis le Siècle des Lumières, on a expliqué, à partir des différentes formes de matérialisme, la religion comme un reste du passé. Nous avons tous lu et écouté cette interprétation, qui est de plus en plus à la mode depuis le XVIIIème siècle et qui aujourd’hui est le sommet de la correction politique et intellectuelle : les religions en général et le catholicisme en particulier peuvent se comprendre si l’on évoque la faiblesse et l’ignorance de nos ancêtres, mais aujourd’hui notre bien-être et notre connaissance dérivés du progrès rendent toujours plus inutiles la foi et la pratique religieuses, condamnées à s’affaiblir, changer radicalement et disparaître. Et voilà.

Et il en résulte que le Pape arrive à Madrid et que c’est la plus grande mobilisation de foules, que ses idées arrivent là où aucune autre idée n’arrive, qu’en quantité et qualité leur impact est sans comparaison… et cela dans une Espagne exposée à toute la force du laïcisme durant deux générations et où aucun parti ne fait pleinement siens les principes de Rome. Et voilà que Rome peut faire sortir dans la rue plus de gens qu’aucun parti politique, syndicat, équipe de football ou artiste moderne. N’était-ce pas impossible d’être à la foi moderne et religieux ?

Le livre de Grace Davis (***) compare la situation des différents pays d’Occident et des différentes confessions qui y existent, et renouvelle totalement le contexte théorique et méthodologique : la religion n’est plus un résidu méprisable, mais une force vive, changeante, puissante, qui doit être entendue pour comprendre n’importe quelle société moderne. Les sociétés qui ont essayé de nier la religion ou l’écarter ont fini avec d’énormes et inattendus problèmes et, en outre, avec un retour souvent surprenant à la religion. Les débats entre sociologues seront nombreux et il conviendra de les comprendre, mais la photo est celle qui est : la signification de la religion continue à exister mais à avoir un poids public parfois croissant.

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(**) Il s’agissait là de la foule des JMJ, mais il y a en ce moment, bien des foules qui se dressent contre la culture de morts et la fin de l’humanité que veulent imposer tous ceux qui « éclairés » par les forces du mal.
(***) « Sociologia de la religión » est sorti en Espagne en 2011, traduction de l’ouvrage «Socialogy of religion»