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Benoît XVI, François et le cardinal Martini

Un clin d'oeil posthume? Presque personne n'a fait le lien entre l'élection du nouveau Pape et le "testament" du cardinal, lui aussi jésuite, Martini, publié au lendemain de sa mort, le 1er septembre 2012, par la grande presse mondiale. Deux intéressants témoignages de son secrétaire-infirmier, Damiano Modena, nous le rappellent (2/4/2013)

>>> Ici, un dossier sur la mort du Cardinal Martini: benoit-et-moi.fr/2012(III)/mort-du-card-martini.php

     

Le 31 août 2012, le Cardinal Carlo Maria Martini, un jésuite, mourait.
Un peu plus de six mois plus tard, un autre jésuite, le cardinal Bergoglio (dont on a prétendu qu'il avait été le candidat de Martini - déjà atteint à ce moment de la maladie de Parkinson, ce qui le rendait de fait inéligible - contre Joseph Ratzinger en 2005), était élu. Le "programme" du nouveau pape se résume pour le moment, au moins selon les medias (mais le Père Scalese nous a très bien expliqué comment le virtuel devient réel dès lors que les médias s'en emparent) à un slogan: une Eglise pauvre, pour les pauvres.

Etrangement, presque personne (au moins dans les grands medias) n'a fait le lien entre les deux évènements. Moi non plus, d'ailleurs, qui avais pourtant consacré un dossier à la mort du cardinal Martini. J'ai dû, comme beaucoup, être obnubilée par des détails, et je n'ai rien vu.

Le 8 août 2012, le cardinal Martini accordait une dernière interviewe au Père jésuite (lui aussi!) Georg Sporschill, avec lequel il avait co-écrit "Conversation nocturme à Jérusalem"
Cette interviewe, obtenue dans des circonstances discutables (voir benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/martini-linterviewe-qui-derange.php), était publiée samedi 1er septembre, soit le lendemain de sa mort, sur Il Corriere, puis reprise par le Monde et le NYT.
Je l'avais traduite ici: benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/document-le-testament-du-cardinal-martini.php

Le cardinal disait, entre autre, dans ce "testament":

«L'Eglise est fatiguée, dans l'Europe du bien-être et en Amérique. Notre culture a vieilli, nos Eglises sont grandes, nos maisons religieuses sont vides et l'appareil bureaucratique de l'Église en augmentation, nos rituels et nos vêtements sont pompeux. Ces choses expriment-elles ce que nous sommes aujourd'hui? ... au moins nous pouvons essayer de chercher des hommes qui soient libres et plus proches d'autrui. Comme Mgr Romero et les martyrs jésuites du Salvador. Où sont chez nous les héros auxquels nous inspirer? En aucun cas nous ne devons les limiter avec les contraintes de l'institution. »

Et surtout:

«L'Eglise est restée en retard de 200 ans. Pourquoi ne se secoue-t-elle pas? Avons-nous peur? La peur plutôt que le courage? Pourtant, la foi est le fondement de l'Eglise. La foi, la confiance, le courage. Je suis vieux et malade et je dépends de l'aide des autres. Les personnes bonnes autour de moi me font sentir l'amour. Cet amour est plus fort que le sentiment de méfiance que je ressens parfois envers l'Église en Europe. Seul l'amour vainc la lassitude. Dieu est Amour. J'ai encore une question pour Toi: que peux-Tu faire pour l'Eglise? ».

Aujourd'hui, le quotidien italien l'Unità (rappelons que ce journal, fondé en 1924 par Antonio Gramsci a été l'organe officiel du Parti communiste italien jusqu'à son auto-dissolution en 1991) publie une interviewe de don Modena (photo ci-contre, me promenant sur Internet, je vois que sa thèse de doctorat a été valiidée par bruno Forte...), présenté comme l'assistant du cardinal Martini.
Faisant une recherche sur son nom, je suis tombée sur une autre interviewe du même, datant du lendemain de la démission de Benoît XVI, et parue dans une version régionale du Corriere della Sera.

Ces faits n'entendent accuser personne, surtout pas le nouveau Pape (je n'ai vraiment aucun titre pour le faire) mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu'ils imposent une vision de l'Eglise en opposition radicale avec celle de Benoît XVI.
Jusqu'à quel point François adoptera cette vision "martinienne", cela reste une inconnue.
Mais les premiers signes visibles vont clairement dans son sens.

Donc, il faut cesser de nous dire qu'il n'y a aucune rupture entre les deux Pontificats. Ce n'est pas vrai.

     

1. Le 11 février, Il Corriere del mezzogiorno

Don Modena, l'assistant du cardinal Martini:
«Lors de la dernière rencontre, le Pape était déjà éprouvé»
Le récit du prêtre: «Tous, nous avons remarqué que Benoît XVI était fatigué, marqué sur le plan physique. Il a pris la bonne décision».
(Source)

En entendant la nouvelle de la démission de la part du pape Benoît XVI, il n'a pas été surpris.
Don Damiano Modena, prêtre de Vallo della Lucania et pendant les trois dernières années «secrétaire-soignant» du Cardinal Martini en Lombardie, à la maison de retraite des Jésuites, avait envisagé cette possibilité. «A dire vrai, je croyais que cela arriverait à la conclusion de l'Année de la foi - explique-t-il - mais certaines voix l'avaient déjà annoncé au Vatican».
Don Modena a pu fréquenter ces milieux de près, du moins quand les visites Martini au pape étaient directes. Lui-même avait pu entrer dans les Palais Sacrés et accompagner le prélat jésuite. Lors de ces visites, rappelle-t-il, le pape était apparu fatigué, éprouvé, marqué par un ministère vraiment total.
- Et Martini, qu'en aurait-il dit?
«Qu'il a bien fait, je crois. S'il a pensé que c'était la bonne décision pour l'Eglise, je ne pense pas qu'il y avait d'autres alternatives».
Le prêtre a eu entre les mains le fameux testament de Martini où il est dit que l'Eglise est en retard de 200 ans, et qu'il faut moins de pompe et plus de simplicité, en annonçant l'Evangile. Éléments qui, étrangement, ont marqué quelques déclarations assez récentes du pape Benoît XVI, en particulier en ce qui concerne le péché qui ne vient pas de l'extérieur mais de l'intérieur même de l'Eglise, comme les causes les plus importantes (??) dans la période actuelle.

- Comment était la dernière rencontre entre les deux? (ndt: cf. benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/derniere-rencontre.php)
«Certainement, le cardinal Martini a eu conscience qu'il n'y en aurait pas d'autres, en raison de son mauvais état de santé, mais, néanmoins, il a cherché à donner du courage au successeur de Pierre (?) à poursuivre sa tâche», explique le prêtre.
La charge, comme nous le savons depuis hier, se termine à la fin du mois. Quitte donc la scène celui qui, à l'entrée en conclave (en 2005), était considéré comme le champion des conservateurs, et ce, avec un geste révolutionnaire, du moins pour l'Eglise au cours des 500 dernières années.

     

2. L'Unità, 2 avril

Entretien avec Damiano Modena
L'Unità, 2 Avril 2013
(Source)

«Ce qui se passe en ces jours me fait penser à ce qu'était le souhait du cardinal Martini pour l'Eglise. Et je vis avec immense émotion et joie. Je pense que dans tout cela il y a aussi sa "patte" (le mot en italien est zampino, dont il me semble qu'il est utilisé plutôt pour désigner celui qui, justement, ne veut pas de bien à l'Eglise), du ciel. J'en suis sûr».
Sept mois après: un nouveau pape, le choix historique de Benoît XVI de quitter le trône de Pierre, l'Eglise en chemin dans le troisième millénaire. Et la première Pâque célébrée sans lui (ndt: sans Martini).
Il y a sept mois, don Damiano Modena faisait ses adieux au cardinal Carlo Maria Martini, aux côtés duquel il vivait durant les trois dernières années, lui apportant jusqu'à la fin des soins filiaux. Aujourd'hui, don Damiano ne vit plus à Gallarate, où résidait Martini: «J'aide un vieux prêtre dans une petite paroisse de deux cents habitants à Vallo della Lucania, dans la province de Salerne. J'enseigne à l'Institut des Sciences Religieuses dans le diocèse et j'assiste des patients en phase terminale dans cet endroit, avec le même soin et la même tendresse que j'ai eus pour le cardinal Martini».
L'élection du pape François a été accueillie avec «beaucoup d'espérance», ici aussi, où don Damiano fait l'expérience «du manque d'écoute entre les gens» et d'une «forte désorientation par rapport à la vie et ses problèmes».

De Jorge Mario Bergoglio, avant son élection, encore archevêque de Buenos Aires, on a dit qu'il s'agissait d'un "Martinien" et que beaucoup de votes obtenus lors conclave précédent de 2005 étaient le résultat d'une indication donnée par le cardinal. «Quand on parle de "martinien", on a parfois l'impression que l'on parle d'un "martien", mais ce n'est pas vrai. Le cardinal Martini était un homme qui mettait au centre de tous ses choix l'Evangile "sine glossa". le Pape François fait la même chose, et en ce sens, il ne le fait pas parce qu'il est un jésuite, ni parce qu'il est lié à Martini, mais parce qu'il aime Jésus et les amis de Jésus, les derniers. Celui qui aime Jésus et ses préférés, avant d'être un "martinien" est tout simplement un chrétien».

Don Damiano se souvient avoir entendu Martini nommer le cardinal Bergoglio, en plusieurs occasions,«avec admiration». Dans «le désir d'une Eglise pauvre et qui prend soin des pauvres, de toutes sortes et de tous degrés, là est l'affinité la plus frappante entre la pastorale de Bergoglio et celle de Martini», observe don Damiano.

«L'héritage laissé par Martini à l'Eglise, est ce qui est maintenant mis en œuvre par le pape François. Sourire, espérance, joie, liberté, danse de l'esprit et du cœur». Et puis un regard et un style de communs: «Le Pape est un jésuite. Esprit libre, regard tourné loin, grands rêves clairvoyants et jamais auto-référentiels. Martini était ainsi».

La tendresse, la miséricorde contre les tentations du pouvoir: «Qui veut être le premier parmi vous, - dit Jésus - sera l'esclave de tous. Le vrai pouvoir est le service, vers les plus pauvres, les plus faibles, les plus petits, a rappelé le pape François. C'est ce que m'a enseigné le cardinal Martini, c'est ce qu'il m'a témoigné. Il vivait la tendresse chaque jours, envers tous ceux qu'il rencontrait. La miséricorde était pour lui le cœur du message évangélique, un véritable Eglise est une Eglise qui se met du côté de ceux qui se sont trompés (ont fait des erreurs) et les console. Le pouvoir, dans le sens négatif du terme, était la tentation, la blessure, la plaie, à guérir dans le cœur de chaque homme sur la terre. C'est pourquoi je pense qu'en quelque sorte ce qui s'est passé ces derniers mois est aussi le fruit de sa mort: "En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul, mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit », dit l'Évangile".»
En ces jours, la Semaine Sainte, le Triduum pascal, refont surface le souvenir des célébrations vécues ces dernières années avec le cardinal Martini: «Célébrations courtes mais intenses, lui, assis près de l'autel, qui prête son coeur au Triduum et moi qui prête mon corps et ma voix à son cœur et à ses pensées. Le rocher de sa parole sûre, de son discernement attentif et presque infaillible, me manquent beaucoup - ajoute don Damiano - tout a changé, mais au fond, rien n'a changé. Ce que j'ai fait avec lui et pour lui, maintenant j'essaie de faire avec tous ceux que je rencontre. Je célébrerai cette Pâque avec cette prière d'intercession et d'action de grâce à Dieu pour tous les dons qu'il nous fait».

- Et l'avenir? Les choix importants que devra faire le Pape François?
«Son message et ses gestes touchent d'abord le cœur, puis l'écran. J'ai été ému d'entendre l'accent sur la "garde" (custodia), car c'est le premier mot qui m'est venu à l'esprit quand je devais choisir un sous-titre à mon étude sur Martini en 2005: "Gardien du mystère au coeur de l'histoire", ai-je écrit. J'espère que l'avenir sera comme le présent du Pape François, réalisé à l'échelle mondiale».