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La lettre de Jeannine du 7 avril

Un regard sans concession sur les premiers "gestes" que François multiplie depuis le 13 mars - sans évidement juger le fond - et des interrogations sur l'enthousiasme des foules (8/4/2013, mise à jour ultérieure).

>>> Photo ci-contre: Le petit-déjeuner du Pape à la maison Sainte-Marthe (*). La photo, prise par un "monsignore" est parue sur Twitter, avant d'être retirée par son auteur. Elle figure sur le blog d'Andrea Tornielli, assortie d'un commentaire mi-figue mi-raisin. Quoi qu'il en soit, elle témoigne bien que les temps ont changé...

     

Chère Béatrice,

Une journée magnifique, une température basse à 0°3 ( il est 9h 43), les petites fleurs dans le jardin vont profiter du soleil pour se réchauffer un peu et je tiens à vous dire un grand merci pour l'article surprenant et revigorant sur les vignettes autocollantes du pape (cf. François à l'épreuve du cirque médiatique). J'ai été ramenée bien des années en arrière lorsque mes enfants faisaient la collection de ces étiquettes auto-collantes sur des sujets fort divers et sans valeur intellectuelle mais excellents pour faire dépenser de l'argent et créer du lien avec les marchands de presse et de vente par correspondance. Ils les collaient sur des cahiers adéquats, ce qui donnait lieu à des échanges entre copains, crises de mauvaise humeur lorsque les doublons étaient en trop grand nombre, commandes spéciales pour arriver à remplir les albums qui allaient rejoindre les objets sans intérêt qui s'accumulaient et dans lesquelles je faisais du nettoyage par le vide régulièrement. Nous sommes entrés dans l'ère de la collectionnite puisque, il y a peu, il était vendu des tickets de métro et autobus avec la photo du pape. En France la situation n'est pas brillante mais cette nouvelle marotte me donne l'occasion de rire de bon cœur. Heureusement que Benoît XVI a échappé à cela car j'aurais été furieuse , mais avec lui rien à craindre.

J'ai relevé quelques articles dans la-croix.com "Urbi&Orbi" du 5 avril 2013 «le pape François avancera à pas comptés sur la réforme de la Curie», rédigés par F. Mounier mais je n'ai rien appris de sensationnel, d'extraordinaire. Comme je ne suis pas obnubilée par ses écrits j'en ai conclu, peut-être à tort, qu'étant donné que ce sera le gros remaniement et compte tenu de la popularité du nouveau pontife ou du nouvel évêque de Rome, terme qu'il préfère, il y aura là aussi deux poids, deux mesures pour apprécier le temps pris pour cette réforme. Pour le pape François ce sera considéré comme de la prudence mais pour Benoît de l'incapacité à gouverner. Outre le rituel de la messe célébrée par le pape chaque matin à 7 heures dans la chapelle de la Maison Sainte-Marthe, son temps de prière assis un peu en arrière des fidèles, son installation temporaire (dans ladite maison) qui paraît vouloir se prolonger, j'ai lu les suppositions qui se font jour au sujet de l'emploi du temps du pape et de ses intentions de réforme. Si le conditionnel en grammaire n'existait pas il faudrait le créer car c'est le mode de conjugaison utilisé majoritairement avec le verbe pouvoir (il se pourrait) lorsqu'on se risque à faire des prévisions pour étancher la soif des lecteurs et alimenter les lignes que l'on doit écrire. Toujours selon La Croix le pape, au fil de ses premières semaines n'a jamais abordé les "sujets qui fâchent".

Mgr Müller a reçu la consigne de continuer à appliquer "la tolérance zéro" de Benoît XVI pour les abus sexuels, je crois que le pape a renforcé un point particulier mais la voie était ouverte.

Concernant la Curie, tout cela prendra du temps. Il paraît qu'en bon jésuite le pape décide seul, habitué à une obéissance sans faille, jamais gêné par des remises en cause radicales. Je crains que les coups bas des princes de l'Eglise ne soient pas du goût de l'Evêque de Rome. Je suis émerveillée de voir combien la Curie, que je n'ai pas en haute estime, a une conception élastique de l'aide qu'elle est censée apporter au pape pour le gouvernement de l'Eglise. Etant donné les faibles résultats observés pendant presque huit ans (ce n'est pas de moi), si j'étais à la place du pape je me méfierais et donnerais un sérieux coup de balai avant de tout changer. Je vois la curie telle qu'elle est mais l'élection miracle du Pape François a peut-être changé radicalement les mentalités et là c'est un deuxième miracle.

Je passe à un autre article: le compte Twitter du pape passe les 5 millions de "followers" et on a encore droit à l'inévitable comparaison avec Benoît XVI qui au bout de deux mois enregistrait 2,5 millions "followers". Tour de la place Saint-Pierre agrandi, gestes pour faire approcher les enfants à embrasser, bonjours à la foule; Benoît XVI fuyait la personnalisation, là on est dans une autre version. Je fais partie de la catégorie antédiluvienne qui n'a pas de "portrait" public, pas de photo sur Facebook, qui ne fait pas part de mon emploi du temps personnel, histoire de meubler une conversation virtuelle avec des personnes dont je ne sais rien et dont je me moque éperdument. Comparé aux résultats de Justin Bieber, un beau gosse je crois, et Lady Gaga, très appréciée mais qui pour moi représente tout ce que je ne supporte pas, je dis qu'il vaut mieux ne pas figurer dans la compétition. Dieu soit loué, notre Benoît y a échappé. Au moment du voyage en Jordanie, la reine Rania, avant de rencontrer Benoît XVI, avait posté un tweet relatant, intérêt suprême, sa tractation avec son fils pour qu'il s'habille "classe", je doit être particulièrement rétrograde mais je ne vois pas l'utilité de communiquer ce genre de détail à la foule "des suiveurs ".

Le Père Lombardi n'a jamais été un soutien pour Benoît XVI. Ses paroles étaient neutres, maladroites parfois et lorsqu'il ne pouvait éviter d'intervenir il restait sans aucune chaleur dans ses propos. Pourquoi le Saint-Père de l'époque l'avait-il choisi, sur recommandation peut-être, puisque ce mode de promotion était pratiqué? Le Père Lombardi avait d'ailleurs dit qu'il ne connaissait pas particulièrement Benoît XVI. Il est facile de constater la différence de ton pour faire part des activités du Saint-Père et des nombreux détails fournis.

Mon mari a pris sur lui d'enregistrer l'Angelus et il me l'a remis en me disant: "sois honnête avec toi-même". Je l'ai donc regardé après le repas: une place Saint-Pierre noire de monde. J'ai bien scruté l'évêque de Rome: rien de théâtral, un temps de parole plus long mais pas de concessions spéciales à la foule qui aurait passé son temps à applaudir, la fransciscomania est bien lancée. Je sais qu'aujourd'hui était le dimanche de la Divine Miséricorde particulièrement cher aux Polonais, je ne savais pas que l'Italie abritait un tel nombre d'Argentins ou de sympathisants.
Pour moi qui suis plus que logique, qui cherche le pourquoi de tout, il y a, depuis trois semaines, une participation en nombre de la part de la foule qui m'interpelle. Certes les médias parlent du pape mais si les fidèles n'avaient pas emballé la machine dès l'élection tout aurait été différent. Nous vivons dans une époque où il est de bon ton de manifester bruyamment, sans aucune retenue, les sentiments que l'on éprouve. Je suis choquée d'entendre des personnes parler de choses intimes via leur portable sans se soucier de la non-confidentialité de leurs propos; question d'éducation, d'âge. Lorsque je repense aux actes publics du pape, il me semble qu'une vanne s'est brusquement ouverte le 13 mars, libérant toute la retenue qui était dans les participants, les faisant exprimer tout ce qu'ils ressentaient, tout ce à quoi ils aspiraient. Les mêmes idées émises par Benoît XVI et par son successeur n'ont pas du tout le même écho. Pourquoi tant de personnes se sont-elles réveillées comme par un coup de baguette magique? Il va falloir suivre tout cela dans le temps, voir si l'emballement se calme ou persiste, étudier les mesures prises par le pape pour établir son pontificat. Il insiste sur l'Eglise qui doit aller au devant des personnes dans la rue, il veut une Eglise missionnaire en acte, il le dit, il le répète avec force; les troupes sont-elles prêtes à le suivre? Les cardinaux ont, eux aussi, été séduits au point que je doute des bons sentiments qu'ils paraissaient éprouver pour Benoît XVI.

Autant j'ai traqué avec une immense affection tout ce qui pouvait me parler de Benoît XVI car je ne voyais que lui, autant je vais essayer de suivre ce pontificat pour essayer de comprendre pourquoi tout a changé lors de l'apparition à la loggia le 13 mars. Il y a eu cette vague d'enthousiasme qui ne paraît pas vouloir se retirer pour laisser place au calme. Je ne suis pas spécialement fière de ce que je dis car, en observant ainsi le pape, il me paraît que je suis comme les médias qui commentent mais moi je ne lui ferai pas de tort.
Dans le numéro de Paris-Match du 28 mars, en légende de la photo des deux papes assis face à face dans la bibliothèque , je n'arrive pas à me débarrasser de cette phrase : parlant de Benoît XVI : «s'il a voulu une vie totalement retirée, dans l'ombre qu'il a choisie, il ne sera pas reclus mais à l'écoute du monde, en dépit d'un état de santé que ses proches jugent de plus en plus précaire». Je crois que même ceux qui ont compris qu'il choisisse cette renonciation doivent ressentir une certaine forme d'abandon. Pour la foule il faut un support, que ce soit pour la religion, les variétés, le sport, la politique, les arts. Si pour moi le pape n'est pas ma référence pour chacun de mes actes, il y a des catholiques qui bien que très éloignés de la pratique religieuse se posent des tas de questions sur le pourquoi, le comment de ce qu'ils vont faire. Ce sont ceux-là entre autres qui applaudissent à tout rompre le successeur de Pierre alors que moi je suis attachée à Joseph Ratzinger. Les noms sur les banderoles peuvent être facilement remplacés, les cris "viva il papa" sont anonymes et interchangeables, d'une manifestation à l'autre ils resservent. Je crois que je comprends de mieux en mieux Benoît XVI qui n'a jamais été dupe de rien et qui disait que toutes ces manifestations de chaleur, d'enthousiasme, n'étaient pas pour lui. Dans sa grande sagesse il est bien au-dessus de toutes ces contingences très superficielles qui tournent avec le vent.
Le Père Sylvain Bataille le 28 février disait que, avec Benoît XVI, ce serait silence radio. Il affirmait que les prières cachées avaient des qualités insoupçonnées et que lorsque l'on connaissait la profondeur de celle de Benoit XVI on pouvait se douter de ce qu'elle pourrait accomplir. Ce ne sont pas ses termes exacts mais je respecte son idée. Je ne sais si nous aurons d'autres nouvelles de lui; même Mgr Gänswein est plus que discret. A-t-il même envie d'être rattaché au monde qu'il a quitté? je ne le crois pas mais l'avenir nous le dira. Dans un communiqué du 3 avril le pape est allé prier sur les tombes des différents successeurs de Pierre, il a des échanges réguliers avec le pape émérite Benoît XVI; pas de précisions mais c'est mieux que rien.

Je suis exigeante avec moi et je me trouve parfaitement inconséquente : quand je repense à mon dépit lorsque l'on parlait de Jean-Paul II , trouvant qu'il était bien trop présent dans l'actualité papale, je devrais ne pas râler devant l'oubli qui pèse sur Benoît XVI; le nouveau pape a le droit d'occuper le devant de la scène et d'établir son règne en toute liberté. Pour beaucoup de choses j'aurais d'immenses progrès à faire.
...

Jeannine

Note

(*) Qui est le plus humble? Benoît XVI, qui prenait son petit-déjeuner dans le prétendu "faste" de l'Appartement du 3e étage du Palais Apostolique, assis à la même table que les "memore domini" de la "famille", ou François, qui est pour l'occasion entouré de ses collaborateurs (tous masculins!!), comme n'importe quel homme d'affaires à un briefing matinal?