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Benoît XVI et le latin

Extrait du livre "Effetto Benedetto, Papa Ratzinger in 40 parole". (1/6/2013)

>>> Voir aussi: Breviloquentem tempus ipsum me iam facit (sur le compte twitter du Pape en latin)

L'attachement de Benoît XVI au latin est connu.
Nous n'oublions pas que c'est en latin qu'il a prononcé sa première homélie de Pape devant les cardinaux, dans la Chapelle Sixtine, le 20 avril 2005, et aussi en latin qu'il a annoncé sa démission, le 11 février 2013.

Dans le livre "Mon Concile" (cf. benoit-et-moi.fr/2011-I), il écrivait:

«Toutes les raisons que l’on produit en faveur d’un latin intangible – langue liturgique, certes, mais langue morte aussi – doivent s’incliner devant l’argumentation claire, univoque et précise de l’Apôtre… La langue latine est morte, mais l’Église, elle, est vivante. Si bien que la langue, vecteur de la grâce et de l’Esprit Saint, doit être une langue vivante, car elle est faite pour les hommes et pas pour les anges.»

Et dans son salut final, au terme de l'Angélus du premier dimanche de Carême 2011, le Saint-Père a voulu rappeler à ceux qui s'opposent au latin, y compris à la Curie, son amour pour cette langue. Aux étudiants et étudiantes du Lycée chrétien de Veenendaal (province d'Utrecht, aux Pays-Bas), venus avec leurs professeurs, le Pape a déclaré:
"Valde laetamur eos Romam advenisse, ut in proposito linguae Latinae colendae confirmarentur. His namque sermo multum conferre potest tum ad antiquiora altius vestiganda, tum ad recentiora acrius ponderanda" (Je suis heureux que vous soyiez venus à Rome pour confirmer votre intention de cultiver la langue latine. En effet, cette langue peut beaucoup contribuer, à la fois à l'étude approndie de l'antiquité, et aussi à l'approfondissement de l'histoire plus récente).
(www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi)

Du reste le portail du Saint-Siège possède une section en latin (www.vatican.va/latin/latin_index.html )
Et le 10 novembre 2012 était publiée la lettre apostolique en forme de Motu Proprio Latina Lingua instituant la Pontificia Academia Latinatis (*).

Voici, pour illustrer cet amour de Benoît pour le latin, ma traduction d'une entrée du livre écrit en 2007 Effetto Benedetto, Papa Ratzinger in 40 parole, que j'avais présenté ici: benoit-et-moi.fr/2008-II):

     

Latin

De tous les livres et publications produits en une vie d'étude et de travail, il n'y a guère de doute que les plus chers au Pape sont le Catéchisme de l'Eglise catholique, et son Compendium. Livres qui ne sont pas "de lui" au sens strict, puisqu'oeuvres de deux commissions présidées par lui, et parce que la matière et son traitement ne peuvent pas correspondre à des idées, intérêts, goûts, choix personnels, comme pour un livre quelconque.
Il y a au moins un détail, toutefois, où l'empreinte de l'ex préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, devenu entretemps pape, se lit de façon vraiment limpide: Signum crucis, Gloria patri, Ave Maria, Angele Dei, et d'autres prières habituelles reproduites en appendice, en latin. Les apprendre, a exhorté Benoît XVI "facilitera la prière commune de la part de fidèles appartenant à des langues différentes, spécialement quand ils se rencontrent ensemble pour des circonstances particulières" (28 juin 2005, présentation du compendium du catéchisme de l'Eglise catholique). Sans considérer que "dans la multiplicité des langues et des cultures, le latin, pendant tant de siècles véhicule et instrument de la culture chrétienne, garantit non seulement la continuité avec nos racines, mais reste plus que jamais important pour renforcer les liens de l'unité de la foi dans la communion de l'Eglise".

Il est connu que la langue de Cicéron compte quelques-uns de ses plus énergiques champions au Vatican et parmi les hiérarchies ecclésiastiques du monde entier. Eux aussi, pourtant, de plus en plus seuls et isolés. Les langues habituelles des évêques et des cardinaux, quand ils se rencontrent à Rome ou aillleurs, sont plutôt l'italien, l'anglais, le français, ou l'espagnol. Idem pour la liturgie, dans les grandes occasions où les fidèles de langues variées se donnent rendez-vous, à Saint-Pierre ou en d'autres lieux. On ne revient pas en arrière, dit un sain réalisme, en dépit des intrépides invites du Pape, du reste très rares, en sens contraire (Exhortation post-synodale Sacramentum Caritatis, §62) [1]. Mais lui aussi a relégué le latin aux Angelus dominicaux, et guère plus.

Formé dans les sévères écoles germaniques des années 30 et 40, Joseph Ratzinger est resté "toute sa vie reconnaissant" de la rigueur de ces leçons, au point de n'avoir jamais eu "de difficulté à étudier les sources anciennes en grec et en latin (cf. Ma vie). Et lui-même raconte que dans les années de lycée "les classiques grecs et latins m'enthousiasmaient".
Des traces de cet engouement ingénu mais puissant, on en rencontre encore aujourd'hui. Il est difficile de supposer que son auditoire a de grandes compétences en la matière, et pourtant, il aime s'arrêter sur les éthymologies, sur les significations originelles des mots, et de là, il en profite pour proposer ses propres réflexions. Il a instruit la tumultueuse assemblée juvénilede Marienfeld, à Cologne, en août 2005, avec proskynesis et adoratio [2]. Il a entretenu les paroissiens de Casalbertone avec le kair, "réjouis-toi" de l'Ange à Marie [3]; il a développé 72 denses pages de Deus Caritas est, la première encyclique, partant des différences sémantiques entre eros, philia, agape; et l'on pourrait encore rappeler beaucoup d'autre vocabulaire grec et latin.
Mémorable, en plus de la circonstance, le message prononcé dans la Chapelle Sixtine au lendemain de l'élection, une sorte de présentation symbolique à la "societas" globalisée d'aujourd'hui (ici). Parce que le latin ecclésiastique est une langue qui évolue dans le temps, les spécialistes de la Fondation latinitas du Vatican ont forgé plus de 15000 néologismes latin [4].
"Aderit semper Latinitatis ubique cultoribus, sicut vobis, favor perpetuus Noster", leur a assuré solennellement le Pape (29 novembre 2005, audience à la Fondation latinitas, cf. ici)

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[1] La langue latine
§62. Ce qui vient d'être dit ne doit pas, toutefois, cacher la valeur de ces grandes liturgies. Je pense en ce moment, en particulier, aux célébrations qui ont lieu durant des rencontres internationales, aujourd'hui toujours plus fréquentes. Elles doivent justement être mises en valeur. Pour mieux exprimer l'unité et l'universalité de l'Église, je voudrais recommander ce qui a été suggéré par le Synode des Évêques, en harmonie avec les directives du Concile Vatican II: excepté les lectures, l'homélie et la prière des fidèles, il est bon que ces célébrations soient en langue latine; et donc que soient récitées en latin les prières les plus connues de la tradition de l'Église et éventuellement que soient exécutés des pièces de chant grégorien. De façon plus générale, je demande que les futurs prêtres, dès le temps du séminaire, soient préparés à comprendre et à célébrer la Messe en latin, ainsi qu'à utiliser des textes latins et à utiliser le chant grégorien; on ne négligera pas la possibilité d'éduquer les fidèles eux-mêmes à la connaissance des prières les plus communes en latin, ainsi qu'au chant en grégorien de certaines parties de la liturgie. (www.vatican.va/...ben-xvi_exh_20070222_sacramentum-caritatis)

[2] L'adoration, avons-nous dit, devient ainsi union. Dieu n'est plus seulement en face de nous, comme le Totalement Autre. Il est au-dedans de nous, et nous sommes en Lui. Sa dynamique nous pénètre et, à partir de nous, elle veut se propager aux autres et s'étendre au monde entier, pour que son amour devienne réellement la mesure dominante du monde. Je trouve une très belle allusion à ce nouveau pas que la dernière Cène nous pousse à faire dans les différents sens que le mot "adoration" a en grec et en latin. Le mot grec est proskynesis. Il signifie le geste de la soumission, la reconnaissance de Dieu comme notre vraie mesure, dont nous acceptons de suivre la règle. Il signifie que liberté ne veut pas dire jouir de la vie, se croire absolument autonomes, mais s'orienter selon la mesure de la vérité et du bien, pour devenir de cette façon, nous aussi, vrais et bons. Cette attitude est nécessaire, même si, dans un premier temps, notre soif de liberté résiste à une telle perspective. Il ne sera possible de la faire totalement nôtre que dans le second pas que la dernière Cène nous entrouvre. Le mot latin pour adoration est ad-oratio - contact bouche à bouche, baiser, accolade et donc en définitive amour. La soumission devient union, parce que celui auquel nous nous soumettons est Amour. Ainsi la soumission prend un sens, parce qu'elle ne nous impose pas des choses étrangères, mais nous libère à partir du plus profond de notre être.
(www.vatican.va/...ben-xvi_hom_20050821_20th-world-youth-day)

[3] Nous voulons à présent brièvement méditer le très bel Evangile de ce quatrième dimanche de l'Avent, qui est pour moi l'une des plus belles pages de l'Ecriture Sainte. Et je souhaiterais - pour ne pas trop m'étendre - ne réfléchir que sur trois mots de ce riche Evangile.
Le premier mot sur lequel que je voudrais méditer avec vous est le salut de l'Ange à Marie. Dans la traduction italienne, l'Ange dit: "Je te salue Marie". Mais la parole grecque qui est traduite, "Kaire", signifie en soi "réjouis-toi", "sois contente". Et il y a là un premier élément qui surprend: le salut entre les juifs était "Shalom", "paix", alors que le salut dans le monde grec était "Kaire", "réjouis-toi". Il est surprenant que l'Ange, en entrant dans la maison de Marie, salue avec le salut des grecs: "Kaire", "réjouis-toi, sois contente". Et les Grecs, lorsqu'ils lurent cet Evangile quarante ans plus tard, ont pu voir ici un message important: ils ont pu comprendre qu'avec le début du Nouveau Testament, auquel cette page de Luc faisait référence, avait également eu lieu l'ouverture au monde des peuples, à l'universalité du Peuple de Dieu, qui désormais n'embrassait plus seulement le peuple juif, mais également le monde dans sa totalité, tous les peuples. La nouvelle universalité du Royaume du vrai Fils de David apparaît dans ce salut grec de l'Ange.
(www.vatican.va/h.. ben-xvi_hom_20051218_santa-maria-consolatrice)

[4] Voir aussi: benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/quand-benoit-xvi-promeut-le-latin.php

     

(*) Note

(*) Je reproduis ici ma traduction de l'époque du texte en italien (voir aussi ici)

1. La langue latine a toujours été tenue en très haute estime par l'Eglise catholique et les pontifes romains, lesquels en ont assidument favorisé la connaissance et la diffusion, en ayant fait leur propre langue, capable de transmettre le message universel de l'Évangile, comme déjà affirmé avec autorité par la Constitution apostolique Sapientia Veterum de mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII.
En fait, depuis la Pentecôte, l'Église a parlé et prié dans toutes les langues des hommes. Toutefois, les Communautés chrétiennes des premiers siècles usèrent amplement des langues grecque et latine, langues de communication universelle du monde dans lequel ils vivaient, grâce auxquelles la nouveauté de la Parole du Christ a rencontré l'héritage de la culture gréco-romaine.
Après la disparition de l'Empire romain d'Occident, l'Église de Rome, non seulement a continué à faire usage de la langue latine, mais s'en est fait en quelque sorte gardienne et promotrice, à la fois dans les domaines de la théologie et de la liturgie, et dans celui de la formation et de la transmission du savoir.

2. De nos jours aussi, la connaissance de la langue et de la culture latine s'avère plus que jamais nécessaire pour l'étude des sources auxquelles puissent, entre autres choses, de nombreuses disciplines ecclésiastiques telles que, par exemple, la théologie, la liturgie, la Patristique et le droit canonique , ainsi que l'enseigne le Concile Vatican II (cf. Décr. Optatam totius , 13).
En outre, dans cette langue sont rédigés dans leur forme typique, justement pour souligner le caractère universel de l'Église, les livres liturgiques du Rite romain, les plus importants documents du Magistère pontifical et les actes officiels les plus solennels des Souverains Pontifes.

3. Dans la culture contemporaine, on constate cependant, dans le contexte d'un affaiblissement généralisé des études humanistes, le danger d'une connaissance de plus en plus superficielle de la langue latine, qui se reflète également dans les études philosophiques et théologiques des futurs prêtres. D'autre part, justement dans notre monde, où la science et la technologie ont une si grande part, il y a un regain d'intérêt pour la culture et la langue latine, pas seulement dans ces Continents qui ont leurs racines culturelles dans l'héritage gréco-romain. Cette attention est d'autant plus importante en ce qu'elle implique non seulement les milieux académiques et institutionnels, mais regarde aussi les jeunes et les universitaires provenant de Nations et de traditions très différentes.

4. Il semble donc urgent de soutenir les efforts pour une meilleure connaissance et une utilisation plus compétente de la langue latine, autant dans le milieu ecclésial que dans le monde plus vaste de la culture. Afin de souligner et de faire résoner cet effort, il apparaît plus que jamais approprié d'adopter des méthodes didactiques en adéquation avec les nouvelles conditions, et la promotion d'un réseau de relations entre les établissements universitaires et les chercheurs, afin de valoriser le patrimoine riche et diversifié de la civilisation latine .
Pour aider à atteindre ces objectifs, en suivant les traces de mes vénérés prédécesseurs, avec ce Motu Proprio, j'institue aujourd'hui la Pontificia Accademia di Latinità, qui dépend du Conseil Pontifical de la Culture. Il est dirigé par un président, assisté d'un secrétaire, nommé par moi, et par un Conseil académique.
La Fondation Latinitas , établie par le Pape Paul VI, par la Lettre Romani Sermonis du 30 Juin 1976, est éteinte.
La présente Lettre apostolique en forme de Motu Proprio, par laquelle j'approuve ad experimentum pour cinq ans, le statut, j'ordonne qu'elle soit publiée dans L'Osservatore Romano .

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 10 Novembre 2012, mémoire de saint Léon le Grand, dans la huitième année de mon pontificat.

Benedictus PP XVI