Il y a sept ans, Ratisbonne (6)
Sixième partie de notre lecture "pas à pas": Déshellénisation du Christianisme - Fruit des lumières, la théologie libérale des XIX et XXe siècles (21/9/2013)
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- Il y a sept ans, Ratisbonne (1) : Résumé, et l'introduction du Pape.
- Il y a sept ans, Ratisbonne (2) : Le passage polémique
- Il y a sept ans, Ratisbonne (3) : Il n'y a pas de rupture entre la raison grecque et la foi biblique
- Il y a sept ans Ratisbonne (4): à la fin du Moyen Âge, se sont développées, dans la théologie, des tendances qui ont fait éclater cette synthèse entre l’esprit grec et l’esprit chrétien
- Il y a sept ans, Ratisbonne (5) : Déshellénisation du Christianime - La réforme
2. Adolf von Harnack , et le retour à "Jésus, simple homme"
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La théologie libérale des XIXe et XXe siècles a amené une deuxième vague dans ce programme de déshellénisation, dont Adolf von Harnack (*) est un éminent représentant.
Du temps de mes études, tout comme durant les premières années de mon activité universitaire, ce programme était aussi fortement à l’œuvre dans la théologie catholique. La distinction de Pascal entre le Dieu des philosophes et le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob servait de point de départ.
Dans ma leçon inaugurale à Bonn en 1959, j'ai essayé de m'y confronter et je ne voudrais pas reprendre de nouveau tout cela ici. Mais je voudrais essayer, au moins très brièvement, de mettre en lumière l'aspect nouveau qui distingue cette deuxième vague de déshellénisation.
L'idée centrale qui apparaît chez Harnack est le retour à Jésus simple homme et à son message simple, qui serait antérieur à toutes les théologisations et aussi à toutes les hellénisations. Ce message simple représenterait le véritable sommet de l'évolution religieuse de l'humanité.
Jésus aurait congédié le culte au bénéfice de la morale.
En définitive, on le représente comme le père d'un message moral philanthropique.
Le souci de Harnack est au fond de mettre le christianisme en harmonie avec la raison moderne, précisément en le libérant d'éléments apparemment philosophiques et théologiques comme, par exemple, la foi en la divinité du Christ et en la Trinité de Dieu.
En ce sens, l'exégèse historico-critique du Nouveau Testament, telle qu'il la voyait, réintègre de nouveau la théologie dans le système de l'Université.
Pour Harnack, la théologie est essentiellement historique et, de ce fait, rigoureusement scientifique. Ce qu'elle découvre de Jésus par la voie critique est pour ainsi dire l'expression de la raison pratique. Du même coup, elle a sa place justifiée dans le système de l'Université. En arrière plan, on perçoit l'autolimitation moderne de la raison, qui a trouvé son expression classique dans les Critiques de Kant, mais qui, entre-temps encore, a été radicalisée par la pensée des sciences de la nature.
Cette conception moderne de la raison, pour le dire en raccourci, repose sur une synthèse entre le platonisme (cartésianisme) et l'empirisme, confirmée par le progrès technique. D'une part, on présuppose la structure mathématique de la matière, pour ainsi dire, sa rationalité interne, qui permet de la comprendre et de l'utiliser dans sa forme efficiente. Ce présupposé est en quelque sorte l'élément platonicien de la compréhension moderne de la nature. D'autre part, pour nos intérêts, il y va de la fonctionnalité de la nature, où seule la possibilité de la vérification ou de la falsification par l’expérience décide de la certitude. Selon les cas, le poids entre les deux pôles peut se trouver davantage d'un côté ou de l'autre. Un penseur aussi rigoureusement positiviste que Jacques Monod s'est déclaré platonicien convaincu.
Pour notre question, cela entraîne deux orientations décisives.
Seule la forme de certitude, résultant de la combinaison des mathématiques et des données empiriques, autorise à parler de scientificité.
Ce qui a la prétention d'être science doit se confronter à ce critère.
Ainsi, les sciences relatives aux choses humaines comme l'histoire, la psychologie, la sociologie, la philosophie, ont tenté de se rapprocher de ce canon de la scientificité.
Mais pour nos réflexions, il est en outre important que la méthode en tant que telle exclue la question de Dieu et la fasse apparaître comme une question non-scientifique ou préscientifique. Mais, de ce fait, nous nous trouvons devant une réduction du rayon de la science et de la raison, qu'il faut mettre en question.
Je reviendrai encore sur ce point. Pour l'instant, il faut d'abord constater que, conduite dans cette perspective, toute tentative visant à ne conserver à la théologie que son caractère de discipline « scientifique » ne garde du christianisme qu'un misérable fragment.
Il nous faut aller plus loin : si la science dans son ensemble n'est que cela, l'homme lui-même s'en trouve réduit.
Car les interrogations proprement humaines, «d'où venons-nous», « où allons-nous», les questions de la religion et de l'éthique, ne peuvent alors trouver place dans l'espace de la raison commune, délimitée par la « science » ainsi comprise, et doivent être renvoyées au domaine de la subjectivité.
Au nom de ses expériences, le sujet décide ce qui lui semble acceptable d'un point de vue religieux, et la « conscience » subjective devient, en définitive, l'unique instance éthique. Cependant, l'éthique et la religion perdent ainsi leur force de construire une communauté et tombent dans l'arbitraire.
Cette situation est dangereuse pour l'humanité.
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Nous le constatons bien avec les pathologies de la religion et de la raison, qui nous menacent et qui doivent éclater nécessairement là où la raison est si réduite que les questions de la religion et de la morale ne la concernent plus. Ce qui nous reste de tentatives éthiques fondées sur les lois de l'évolution ou de la psychologie et de la sociologie est tout simplement insuffisant.
Note de moi
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A propos du théologien protestant, je regrette de devoir m'en remettre (faute de lumières) à sa notice Wikipedia, mais elle a le mérite de le situer par rapport aux réflexions du saint-Père. Et on comprend à quelpoint son "Jésus de Nazareth", ultérieur à ce discours, était sa réponse aux faussetés de cette théologie.
Adolf von Harnack est né en 1851 à Dorpat, dans la province balte de Livonie en Russie - aujourd'hui Tartu en Estonie. Il est décédé en 1930 (à 79 ans) à Heidelberg.
Professeur, docteur en théologie, en droit, en médecine et en philosophie, on considère Adolf von Harnack comme le théologien protestant et l'historien de l’Église le plus considérable de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle et comme l'un des plus importants organisateurs de la science prussienne.
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Harnack entendait le protestantisme comme une réforme et une révolution : réforme de l’économie du salut et révolution contre l’autorité de l’Église catholique romaine, contre son appareil hiérarchique grâce à une organisation religieuse indépendante et contre l’Ordo cultuel.