Accueil

Enigme autour de la lettre à Tornielli

Antonio Socci n'en démord pas (3/3/2014, mise à jour)

>>> Tous les articles reliés: "L'affaire" Antonio Socci

Résumé des épisodes précédents

Pardon de me répéter, mais cela devient un roman-feuilleton épais, et il n'est pas inutile de récapituler les différents chapitres.

Le 9 février, un journaliste et écrivain catholique italien notoire, Antonio Socci, publiait sur Il Foglio un article provocateur "Qui a poussé Benoît XVI à partir?".
Et le 13, il enfonçait le clou avec un nouvel article: "La renonciation de Benoît XVI n'est peut-être pas canoniquement valide", au motif, pense-t-il, que le Pape n'aurait pas renoncé "dans son coeur".
Puis le 17, nouvel article polémique de Socci "Les deux papes et nous: ce qui se passe vraiment dans l'Eglise".
Le 22 février, Benoît XVI, contrairement à sa promesse faite en février 2013 de rester "caché au monde" était présent (quoique très discrètement) dans la Basilique Saint-Pierre, dans la circonstance solennelle d'un consistoire, et il ôtait sa calotte en signe de respect devant le pape François - fait très souligné par plusieurs vaticanistes (Deux Papes dans la basilique St-Pierre).
Le 26 février, dans un article publié sur La Stampa-Vatican Insider, Andrea Tornielli annonçait qu'il venait de recevoir un courrier de Benoît XVI, en réponse à une lettre qu'il lui avait adressée le 13 février pour lui demander de confirmer qu'il avait bien renoncé "librement". Il s'agissait évidemment de mettre fin aux conjectures d'Antonio Socci.
Un peu poussé pas son confrère (La lettre de Benoît et les nouveaux négationistes ), Tornielli publiait sur la Stampa le 28 février un fac similé de la lettre qu'il avait reçu.

Voici la dernière estocade d'Antonio Socci, qui ne lâche décidément pas prise. Je ne partage pas TOUT, mais il y a sans aucun doute des éléments troublants... que je laisse mes lecteurs découvrir.

* * *

Si Socci suggère un nouvel exercice de la papauté (sans aucune interférence de Benoît XVI dans les affaires de gouvernement), il faut souligner qu'à aucun moment, il ne met en doute la légitimité de François, à qui il témoigne depuis le début une loyauté sans faille. Il ne s'agit donc pas de complotisme, comme certains l'ont insinué. Le journaliste cherche seulement à lire "les signes des temps", à comprendre les faits inouïs - c'est à dire sans précédent - que nous vivons en ce moment. Et ce n'est certainement pas en lisant le bulletin VIS que l'on aura une réponse.

     

Voici la réponse sérieuse de Ratzinger (via Don Georg)
2 mars 2014
http://www.antoniosocci.com/2014/03/ecco-la-risposta-seria-di-ratzinger-tramite-don-georg/
-----

Après la réponse ironique donnée mercredi dernier à «La Stampa» (selon laquelle Ratzinger serait resté pape émérite seulement parce qu'il avait l'habit blanc dans son armoire et qu'on n'avait pas pu trouver de soutane noire dans tout le Vatican), réponse surréaliste que seuls ceux qui croient à l'existence des Schtroumpfs pouvaient prendre au sérieux, deux jours plus tard - le 28 Février - la vraie réponse est arrivée, par le secrétaire de Benoît XVI, Mgr Georg Gaenswein.

Interviewé par «L'Avvenire», en effet, à la question de savoir si Ratzinger n'avais jamais regretté de prendre le titre de pape émérite, don Georg a répondu que non et il a expliqué la décision ainsi: « Il considère que ce titre correspond à la réalité».
Voici la réponse sérieuse. Preuve qu'au contraire, celle avec laquelle avait été éconduite «La Stampa», qui était allée déranger celui qui ne peut pas parler (Benoît a solennellement promis de rester «caché au monde») n'était qu'une plaisanterie.
Certains diront qu'il pouvait ne pas répondre à la fastidieuse question. Mais s'il n'avait pas répondu, son silence aurait pu être considéré comme trop suspect et séditieux.

Toujours Pape
----
Les mots du Secrétaire expliquent que le titre de «pape émérite» n'est certes pas donné par l'habit, parce que "l'habit ne fait pas le moine" (même l'enfant salué mercredi par François sur la place Saint-Pierre était vêtu en pape). Gaenswein affirme que dans le cas de Ratzinger la qualification «correspond à la réalité».
Celui qui a des oreilles, qu'il entende. C'est une réponse très importante et c'est exactement en ligne avec les paroles de Benoît XVI dans son dernier discours, le 27 Février 2013, dans lequel, parlant de son ministère pétrinien, il déclarait: «Le "toujours" est aussi un "pour toujours" - il n'y a pas de retour dans le privé. Ma décision de renoncer à l'exercice du ministère actif, ne révoque pas cela».
Ce que tout cela signifie, théologiquement, créant une situation nouvelle dans l'histoire de l'Eglise, n'a pour l'instant pas été expliqué. Mais le temps viendra où tout deviendra clair.
Après l'unique explication publique de son statut, à compter du 27 Février 2013, le pape Benoît XVI s'est solennellement engagé à ne plus parler.
Mais ses gestes, ses signes et ses décisions parlent, et correspondent exactement à ce qu' dit Mgr Gaenswein vendredi.

Les deux Papes
-----
Dans une précédente interviewe avec «Il Messagero», le 22 Octobre de l'année dernière, le secrétaire de Ratzinger, qui est aussi le Préfet de la Maison Pontificale avec François, a dit d'autres choses très importantes à lire attentivement, phrase par phrase.

La question était la suivante: «Au Vatican, n'y a-t-il pas le risque d'avoir un pape et un antipape?».
Voici sa réponse significative: «Pas du tout. Il y a un pape régnant et un pape émérite. Ceux qui connaissent Benoît XVI savent que ce danger n'existe pas. Il ne s'est jamais ingéré et ne s'ingérera pas dans le gouvernement de l'Église, cela ne fait pas partie de son style. Le théologien Ratzinger sait aussi que chacun de ses mots pourrait attirer l'attention du public, et ce qu'il dirait serait lu pour ou contre son successeur. Donc, publiquement, il n'interviendra pas. Heureusement entre lui et François il y a une relation d'estime sincère et d'affection fraternelle».

Je laisse le commentaire aux lecteurs. J'observe simplement qu'il semble que ceux qui aujourd'hui utilisent Benoît contre François , ou - les plus nombreux - François contre Benoît, se trompent complètement.
On ne peut ni effacer ou délégitimer Benoît au nom de François, ni effacer ou délégitimer François au nom de Benoît. Sans pour autant trouver la situation «normale» (voir à ce sujet le Troisième Secret de Fatima).

Lire les signes des temps
-----
Bien qu'il y ait peu de fuites à l'extérieur, et qu'il semble que tout d'un coup un étrange silencieux ait été posé sur les scandales, le moment est dramatique. La barque de Pierre est attaquée de l'extérieur et de l'intérieur, comme elle l'a jamais été.
Les deux pasteurs savent vivre une situation nouvelle dans l'histoire bimillénaire de l'Eglise (même si les vaticanistes se mettent en quatre pour dire que tout est normal). Tous deux sont bien conscients de la délicatesse de leurs rôles et du caractère dramatique de leurs devoirs.
Il y a beaucoup de choses, aujourd'hui, qu'ils ne peuvent pas dire et ne peuvent pas expliquer. Et les signaux et les messages qui proviennent des Palais sacrés sont subtils, ils doivent être examinés et déchiffrés avec perspicacité, passion pour l'Église et liberté intérieure (avec une certaine connaissance de cette langue chiffrée qu'est le «curialais» - i.e. le jargon de la Curie).
Ici et là, on peut trouver les miettes ("petits cailloux") de nouvelles disséminées négligemment dans la rue. Pour faire comprendre la situation et la route.
Par exemple, dans une autre interviewe récente avec Mgr Gaenswein - qui est l'homme de la connexion entre Benoît et François - on apprend des choses intéressantes.
Je me réfère à ce qu'il a déclaré au «Washington Post» (Le Pape Benoît regarde son successeur s'envoler). Don Georg dit que Benoît a «une grande estime» pour François et qu'elle «a grandi à cause du courage du nouveau Pape, semaine après semaine. Au début, ils ne connaissaient pas très bien, mais ensuite le Pape François l'a appelé, lui a écrit, lui a rendu visite, lui a téléphoné de nouveau et l'a invité (pour des rencontres privées), et alors leurs contacts sont devenus très personnels et confidentiels».

Où est ici la «miette»? Dans la phrase «il l'a invité à des rencontres privées». Une nouvelle apparemment petite, mais qui en réalité, peut avoir une signification énorme.
Ensuite, Gaenswein dit ce qu'il a pu observer en travaillant avec les deux hommes d'Eglise: «le style du pape François est très différent, même si cela ne signifie pas que le contenu est meilleur», mais «son style a suscité beaucoup d'intérêt chez les les fidèles et même en dehors de l'Eglise».
Il a ajouté: «Le succès n'est pas le bon angle à partir duquel juger une papauté». Il a conclu en soulignant que Benoît XVI «a planté beaucoup de graines et les résultats ne peuvent pas être vus tout de suite».

La signature du Pape émérite

Cliquez pour agrandir

Ce billet
------
C'est à la lumière de ce cadre très complexe que doit également être considéré l'épisode de «La Stampa» (qui, curieusement, a publié, à notre demande, seulement les réponses, mais pas les questions).
Entre autre, Tornielli commençaient son article jeudi dernier en annonçant que Benoît XVI démentait ceux qui avaient parlé de «dyarchie». Même sur Vatican Insider, il a écrit: «Benoît dit clairement qu'il ne participe pas à une dyarchie».
Mais, à proprement parler, dans la lettre du pape Benoît, il n'y pas ce démenti (de «dyarchie», il n'est pas du tout question). Cela ne signifie pas qu'il la légitime, mais il n'y a pas de négation explicite.
Tornielli dit aussi que «Benoît rejette fermement toute spéculation sur les motivations secrètes de sa renonciation»; mais cela aussi, ce n'est pas vrai: il ne dit rien sur les motivations (donc les hypothèses qui ont été faites n'ont pas été démenties).
Il répète seulement que son choix était libre, chose qu'il avait déjà déclaré solennellement et que personne n'a jamais contesté.
Cette lettre contient également d'autres bizarreries.
Au premier point, nous lisons: «l'unique condition de la validité (du renoncement) est la pleine liberté de décision».
Unique? Est-il possible que Benoît XVI ne sache pas que dans le Code de Droit Canon, les conditions de validité sont deux?
Quant au vêtement, nous lisons que son «habit blanc» est «distinct de celui du pape». Mais en réalité, quand il était le pape régnant, en privé, il était habillé exactement tel qu'il est maintenant (et il y a des photos pour le prouver). Donc il continue à s'habiller en pape.

Enfin la signature. J'ai une carte de souhaits de Noël du pape émérite de décembre dernier, il y a deux mois. Il est possible de constater que l'écriture est très différente et qu'il signe «Benedictus», comme il l'a toujours fait, alors que dans le billet de Tornielli, on lit «Benedetto».
Enfin, dans la carte de voeux, entre le nom et le nombre (XVI), il y a les initiales du pape «PP», alors qu'elles ne figurent pas dans le billet de Tornielli, où à la place il y a un point inapproprié après le «XVI».

Certes, le billet est authentique. Mais écrit d'une manière qui ne clarifie rien et - même avec la boutade sur l'habit blanc - propre à s'auto-invalider et même - en substance - à se moquer finement des questionneurs.

Benoît rappelle les paroles de Jésus: «Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups: soyez donc rusés comme les serpents et purs comme les colombes » (Mt 10, 16).