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Qui a poussé Benoît XVI à partir?

Une analyse d'Antonio Socci (9/2/2014)

On se rappelle peut-être qu'en septembre 2011, à peine Benoît XVI était-il de retour d'Allemagne, Antonio Socci avait été le premier à faire état de rumeurs de démission de Pape "pour ses 85 ans" disait-il (http://benoit-et-moi.fr/ete2011).
A l'époque, je n'y croyais pas. Le fait que cela se soit produit (à presque 86 ans) ne prouve pas forcément que le journaliste italien était un devin, mais peut-êre seulement qu'il avait collecté des rumeurs auprès de ceux qui voulaient que cette démission soit effective. Autrement dit, c'est peut-être la rumeur (qui s'est généralisée par la suite, en particulier après la visite à la Chartreuse de San Bruno, à peine un mois plus tard), qui a provoqué la démission. Nous ne le saurons jamais avec certitude.

Cette fois, il pose clairement la question "qui a poussé le Pape à la démission?".
Son analyse est assez proche de celle de Nicolas Diat, l'auteur du livre "L'homme qui ne voulait pas être Pape ". Tous deux plaident du reste pour la continuité.

Article sur le blog de Socci: http://www.antoniosocci.com/

     

Qui a poussé le pape Benoît à abandonner (et pourquoi)
9 février 2014
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Qui - comment et pourquoi - a déterminé ce «retrait» de Benoît XVI - il y a exactement un an - qui représente un événement unique dans l'histoire de l'Eglise, traumatique et toujours pas clair dans ses implications et ses conséquences?
On a souvent jeté le blâme sur le pauvre Paolo Gabriel, le majordome des Vatileaks, mais c'est exactement le contraire qui est vrai: s'il y avait une personne qui aurait voulu que le pape Benoît puisse exercer pleinement son mandat, c'était lui (ndt: je m'autorise quelques doutes).

Du reste, mon scoop, publié dans ces colonnes, le 25 Septembre 2011 montre que Ratzinger avait déjà décidé que ce «retrait» bien avant le début des Vatileaks et l'avait prévu - comme je l'ai écrit - sur le coup de ses 85 ans. Exactement ce qui s'est passé ensuite.
Mais alors qui, comment et pourquoi - avant les Vatileaks - a créé une situation qui a conduit le pape à évaluer qu'il ne pouvait plus soutenir la lutte?

Un géant
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Ratzinger est l'un des géants de l'Eglise du XXe siècle, et la "carte" de ceux qui, au fil des décennies, y compris dans des camps opposés, ont identifié leur ennemi dans cet homme doux et sage est très vaste.

Avant tout, il entre en scène comme homme du Concile: celui qui, en écrivant les discours du cardinal Frings, fera tomber le vieux Saint-Office d'Ottaviani, l'Inquisition.
Durant le post-concile, il devienndra l'ennemi de tous ceux qui voulaient utiliser Vatican II pour balayer l'Eglise de toujours et pour en construire une autre, tournée vers le monde et les idéologies: de Rahner à Hans Kung, jusqu'à Martini qui - comme cardinal - s'est opposé frontalement à Ratzinger et au Pape Wojtyla.
Ensuite, ses deux premières interventions, quand il fut appelé par le pape Jean-Paul II à la tête de la saine doctrine n'étaient pas destinées à lui procurer des amis: celle dans laquelle il réaffirmait la condamnation catholique de la franc-maçonnerie (benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/la-franc-maonnerie-contre-benoit), et les textes qui réfutaient et condamnaient la théologie de la libération (benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/a-propos-de-la-theologie-de-la-liberation).
Enfin, ce sera encore Ratzinger qui dénoncera en mondovision, au cours de la dernière Via Crucis de Jean-Paul II, «la saleté dans l'Eglise», avec des mots extrêment durs et dramatiques.
Ce sera lui qui réalisera une purification radicale de l'Eglise contre le fléau des prêtres pédophiles, avec des mesures drastiques et un renversement total d'une certaine mentalité cléricale.
Encore lui, enfin, qui scandalisera les ecclésiastiques progressistes (au point de susciter la rébellion ouverte de plusieurs évêques) quand - en ligne vraie avec Vatican II - il cherchera à ramener dans l'unité la Fraternité Saint-Pie X et restituera la liberté à la liturgie traditionnelle de l'Église.
C'est lui qui, avec Jean-Paul II, avait valorisé les nombreux mouvements qui ont fleuri dans l'Eglise, en particulier chez les jeunes, et qui avait saisi et dénoncé la «question anthropologique» qui dans le monde d'aujourd'hui est en train de bombarder les valeurs de la vie, de la famille et de la dignité humaine.
Il a fondé le dialogue de l'Eglise avec la modernité, et la laïcité véritable, au point de fasciner des intellectuels comme Habermas, Tronti, Ferrara et Barcellona.

Et pourtant, depuis le début, depuis son élection, il y a eu l'opposition occulte et pesante d'un establishment cardinalice obscur, et prêt - pour le délégitimer - à aller jusqu'au parjure.

L'attaque occulte
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Cela est démontré par un fait oublié qui a marqué le début de la guerre interne contre le pape Ratzinger. Benoît XVI venait à peine d'être élu en 2005, et du monde anonyme des cardinaux (plus ou moins de la Curie), par l'intermédiaire du vaticaniste Lucio Brunelli, fut publié un présumé journal des votes du conclave dont émergeaient des détails pour délégitimer le nouveau pontificat (cette affaire de fuites dans la revue d'extrême-gauche Limes est rappelé dans le livre de Nicolas Diat, pp 43 et suivantes, qui rapporte également que lors de ce conclave, le cardinal Lehmann aurait délibérément trahi son serment, en conservant son téléphone portable, maintenant ainsi des contacts avec l'extérieur... la saleté dans l'Eglise dénoncée par le cardinal Ratzinger n'était pas que dans les affaires de pédophilie).
Un expert du Vatican faisant autorité comme Sandro Magister a écrit: la lecture du texte «suggère que l'intention de le publier a été beaucoup plus militante» qu'historico-journalistique. Et cela a été fait «pour montrer que la victoire de Ratzinger n'était en rien un 'plébiscite', qu'elle avait été douteuse jusqu'au dernier moment, qu'elle avait été indûment favorisée par le fait qu'il était doyen des cardinaux, que les temps étaient mûrs pour un Pape "nouveau", peut-être latino américain, et que Benoît XVI devrait se résigner à ses limites».

Ainsi écrivait Magister le 7 Octobre 2005 (chiesa.espresso.repubblica.it) [ndt: L'article n'est pas traduit en français, il vaut vraiment d'être lu]. Peut-être a-t-on sous-estimé la gravité de ce signal anonyme, basé peut-être sur des données de votes qui n'ont pas été vérifiées ailleurs.
En y repensant aujourd'hui, cela donne l'impression que par un tel geste public de transgression, une faction de cardinaux était prête à défier Dieu lui-même avec un parjure public (parce que chaque cardinal avait solennellement juré sur l'Evangile de garder le secret du conclave et du vote).
Dans les années suivantes, le thème de la scission et le fantôme du schisme a été envisagé dans l'ombre à plusieurs reprises, et Ratzinger a sans doute toujours voulu l'éviter à tout prix (même au prix de la démission).

Haine contre le pape
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Benoît a ensuite eu d'autres ennemis de l'intérieur, dans la Curie et dans l'establishment ecclésiastique, qui ont boycotté ou contesté ou rejeté son enseignement, celui traditionnel l'Eglise, ayant les médias de leur côté.
Et puis Ratzinger a eu de nombreux ennemis extérieurs et a été soumis à un bombardement médiatique sans fin culminant avec le soi-disant «scandale pédophile» avec lequel on a prétendu transformer l'Eglise en «accusée mondiale» (l'Eglise qui est persécutée de par monde dans l'indifférence générale).
Mais, paradoxalement, les plus gros dégâts au pontificat de Benoît sont probablement venus de la Curie et collaborateurs les plus proches.

L'erreur
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Il faut reconnaître l'erreur, peut-être la plus grande de Benoît XVI, qui - pour éviter certaines puissantes réalités curiales (par exemple, dépendant du cardinal Sodano) - appela au rôle stratégique de Secrétaire d'Etat, un ecclésiastique qu'il connaissait depuis des années et qu'il croyait être en mesure de l'aider: le cardinal Bertone.
L'inadéquation flagrante de l'homme pour ce rôle délicat et décisif - de l'avis de la plupart des gens, même les plus ardents ratzingeriens - est ce qui a précipité la situation. Qui à un moment donné est devenue dramatique.
Le «majordome du Pape», tout en se trompant gravement sur la méthode, a fait émerger une réalité sans précédent où le pape semblait presque hors-jeu. Le cardinal Maradiaga l'a récemment déclaré: au vu de l'affaire Vatileaks, «il semble que certains des documents n'arrivaient pas dans les mains du pape».
Même Mgr Georg Gaenswein, secrétaire du pape Benoît XVI dans une interview au "Messagero" du 22 Octobre, une semaine après la démission de Bertone, a candidement admis que «Benoît XVI avait appelé Gotti Tedeschi à l'IOR pour mener à bien la politique de transparence», mais bien que ce fût lui-même qui l'avait voulu là, quand il a été débarqué, le pape n'en a rien su et «a été surpris, très surpris par l'acte de défiance au Professore. Le pape l'estimait et l'aimait».

Un fait emblématique de la situation de l'autre côté du Tibre, même si on peut se demander ce que faisait pendant ce temps don Georg, voyant cela.

Le mystère d'aujourd'hui
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Avec le plus grand acte d'humilité, Benoît, à la fin, a décidé d'aider l'Eglise en remettant tout à zéro, à commencer par lui-même. Et il se conçoit désormais dans le rôle de Moïse priant sur la montagne tandis que Josué combat.
Cependant, pour Joshua-François aussi, ces derniers jours, les attaques et les épreuves les plus dures ont commencé: de l'extérieur (voir l'incroyable dénonciation des Nations Unies) et de l'intérieur, qui visent à utiliser le prochain Synode pour renverser l'Eglise.
Si, pour la première fois dans l'histoire, aujourd'hui, l'Église se retrouve avec deux papes, c'est vraiment un signe qu'il s'agit d'un temps d'épreuve sans égal.
Un détail. Non seulement Ratzinger a voulu rester «dans la cour de Pierre», a voulu conserver le titre de «pape émérite» et l'habit blanc, mais - on l'a appris récemment - il a poliment refusé la proposition de l'archevêque Montezemolo de changer son thème héraldique.

Le Vatican a ainsi fait savoir que Benoît «préfère ne pas adopter un emblème héraldique expressif de la nouvelle situation créée par son renoncement au ministère pétrinien». Si c'est un signal, cela signifie que le pape Benoît XVI est présent. Que le ciel protége sa vie.

Antonio Socci