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Un prix Nobel de littérature pour un Pape?

Du 8 au 12 mai se déroulait à Turin la célèbre Foire Internationale du Livre, dont le Vatican était l'invité d'honneur. Occasion pour Andrea Gagliarducci de brosser un tableau de l'édition catholique, et des défis culturels sous-jacents. Et de révéler que le directeur de la LEV voulait proposer Joseph Ratzinger pour le Prix Nobel de littérature. (19/5/2014, mise à jour le 22)

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Sa candidature n'a pas été retenue, n'ayant pas été soutenue par les Universités catholiques contactées à cet effet (sans surprise).
Si l'on regarde la liste des lauréats récents, il n'y a pas lieu de s'en étonner, là non plus... et encore moins de s'en désoler!
C'est du moins mon avis. Mais Andrea Gagliarducci persiste, concluant:

Peut-être l'idée de donner à un pape un prix Nobel de littérature devrait-elle être examinée à nouveau, afin de montrer au monde catholique que le catholicisme est aussi un défi culturel, à être vécu et nourri.

Un prix Nobel à un pape... émérite?

Un pape, prix Nobel de littérature?
Andrea Gagliarducci
19 mai 2014
http://www.mondayvatican.com/vatican/a-pope-nobel-laureate-in-literature
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Le Pape François, disent certains, pourrait être le premier pape à gagner un prix Nobel, pour la paix. Seules quelques personnes savent que, avant François, l'idée de proposer Benoît XVI pour le prix Nobel, en littérature, avait été sérieusement envisagée.

Le Père Giuseppe Costa, directeur de la Librairie Editrice Vaticane, a eu cette idée, comme il l'a rappelé au cours de la Foire internationale du livre de Turin, où le Saint-Siège était présent en tant qu'invité d'honneur.

Sous un dôme de Saint-Pierre fait de livres, entouré par des œuvres du Musée du Vatican et de la Bibliothèque apostolique du Vatican, le père Giuseppe Costa a expliqué que, oui, il avait pensé à lancer une campagne visant à donner à Benoît XVI le prix Nobel de littérature, et avait contacté quelques grandes universités pour promouvoir la candidature. Le projet n'avait pas décollé, puis Benoît XVI a démissionné. La raison à l'origine de l'idée, cependant, est toujours valable: la littérature religieuse n'est pas une littérature de seconde zone, elle a du poids et répond à une demande du marché. Alors qu'un «rebond François» est perceptible dans l'édition religieuse, un avis sur le travail culturel qui a précédé ce «rebond François» est dans l'ordre.

Continuellement en dialogue avec les cultures, Benoît XVI a suscité de l'intérêt de la part des lecteurs profanes, au point que les livres de Ratzinger ont été discutés et lus dans des cercles non-catholiques. La présence des livres de Ratzinger a favorisé une plus forte présence du catholicisme dans le débat culturel. Les livres de Joseph Ratzinger avaient une distribution mondiale. Par exemple, son analyse sur une Europe déracinée, publiée en 1992, a été largement discutée (1). Une époque où le traité de Maastricht était sur le point de mettre un terme à l'Europe de la subsidiarité, d'inspiration chrétienne, et de la remplacer par une Union européenne essentiellement conçue comme une institution financière. Ses interventions comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ont été largement débattues et aussi critiquées, portant les bases d'un dialogue culturel fondamental.

Après la grande évangélisation de Jean-Paul II, le Pape de la raison a été appelé à renforcer les piliers de l'Eglise. Un appel à l'Église à reconnaître sa propre identité était plus que nécessaire. Benoît XVI a fait cet appel. Egalement en cédant à la Librairie Editrice Vaticane les droits d'auteur des livres qu'il avait publiés avant d'être élu pape. La décision n'avait pas été le fruit du hasard. Elle faisait partie d'une stratégie précise de renforcement de la Librairie Editrice Vaticane, en lui donnant la possibilité de publier ses opera omnia.

La Librairie Editrice Vaticane (LEV) contrôle déjà les droits d'auteur des déclarations du pape , et elle vend les droits à leur publication dans le monde entier. Il y a une demande sur le marché pour les paroles du Pape. Chaque encyclique se vend entre 600 000 à 1 million d'exemplaires. Chaque livre écrit par un Pape sera certainement un best-seller. Les livres des papes sont extrêmement rentables pour la LEV. Grâce à ses bénéfices, la LEV peut soutenir d'autres éditeurs catholiques et prendre position pour l'identité, les aidant à ne pas être dans une situation désavantageuse vis-à-vis des grands (et très riches) éditeurs laïcs.

Le choix de Benoît XVI était finalement un choix de la souveraineté. Malgré ce choix, il y a tout de même eu quelques décisions controversées : deux des trois livres de la trilogie de Benoît XVI sur Jésus de Nazareth ont été donnés à un éditeur laïc, selon une logique de marketing plus qu'une logique de délivrer un message. Un choix qui prouve la faiblesse d'un monde catholique qui vit sous une sorte de complexe d'infériorité envers le monde laïc, supposé être meilleur dans la distribution, la publicité et la vente. Ce sont des justifications erronées. L'Eglise catholique n'est pas une entreprise dont le but est de construire un consensus ou de booster ses ventes.

A la Foire internationale du livre de Turin, des éditeurs catholique (..) ont examiné l'état de l'édition catholique . Tous ont souligné qu'il existe une forte demande pour des livres religieux, en particulier grâce au «rebond du pape François». Tous se sont plaints que les grandes œuvres d'écrivains catholiques sont de préférence vendus aux éditeurs laïcs, avec une large présence sur le marché, plutôt que de les donner aux éditeurs catholiques qui pourraient utiliser les bénéfices de leur publication pour favoriser et renforcer leur réseau.

Cela peut sembler être un simple débat culturel. Ce n'est pas le cas. C'est le signal d'une absence de vision. Ce qui manque vraiment, ce sont des catholiques influents ayant un impact dans la société. Au niveau international, il y a peu de pays où les idées soulevées dans l'enseignement social catholique ont quelque poids dans le débat (et même dans l'arène politique), et quand elles ont un impact, elles sont toujours sous attaque. Il suffit de penser à ce qui s'est passé récemment en Finlande et en Hongrie, où les dirigeants chrétiens avec les programmes électoraux d'inspiration chrétienne ont été accusés d'homophobie. D'un point de vue européen, les lobbies idéologiquement contre l'Eglise catholique ont de plus en plus de poids et d'influence, comme cela a été prouvé - par exemple - avec l'approbation du rapport Lunacek (2) (la «Feuille de route de l'UE contre l'homophobie et la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre»). Du point de vue international, le Saint-Siège est constamment attaqué par les lobbies du genre, qui poussent même l'Eglise à modifier la doctrine de l'Eglise et le droit canon. Le 23 mai, les observations finales du Comité des Nations unies contre la torture peuvent suivre une fois de plus ce script.

Il semble que le monde catholique reste les bras croisés, à regarder ces attaques sans outils culturels pour les combattre. La professionnalisation de la communication du Vatican (avec des conseillers ad hoc coûteux et des consultants externes désormais en charge de celle-ci) n'a pas amélioré la qualité du débat parce que les idées pour forger l'opinion publique font défaut. L'application de bonnes techniques de communication n'améliore pas la communication si la capacité de donner un contenu réel et profond au message délivré continue à être absente. Le contenu ne peut être profond que s'il intervient après un mouvement culturel en profondeur au nourri sein de la société.

Peut-être l'idée de donner à un pape un prix Nobel de littérature devrait-elle être examinée à nouveau, afin de montrer au monde catholique que le catholicisme est aussi un défi culturel, à être vécu et nourri. Et aussi d'exhorter les catholiques ayant les moyens de construire un réseau catholique, de le faire.

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(1) Je ne trouve pas la référence. En 2004, Joseph Ratzinger avait co-écrit avec le Sénateur Marcello Pera un livre intitulé "Senza radice", taduit en anglais sous le titre "Without roots" (voir ici: benoit-et-moi.fr/2008)

(2) La dictature avance. Dans le silence

Mise à jour

L'auteur de l'article, Andrea Gagliarducci, a la gentillesse de me communiquer la référence du livre sur lequel je m'interrogeais ci-dessus.
Il s'agit de Svolta per l'Europa? : Chiesa e modernità nell'Europa dei rivolgimenti / Joseph Ratzinger (voir ici: http://oseegenius1.urbe.it/aux/resource;jsessionid=F633995651AAAA932C89C328AD90D891?uri=7214&v=l )
Je vais chercher s'il a été traduit en français.
Andrea Gagliarducci m'écrit:

J'aime citer ce livre, parce que les libéraux européens ont davantage peur de ce livre que de celui écrit avec Péra, comme je l'ai souligné lorsque le premier ministre Mario Monti est venu rendre visite à Benoît XVI: cf. www.korazym.org/3034/con-un-libro-monti-spiega-la-sua-ricetta-economica-a-benedetto-xvi/