Page d'accueil

Vatican, le temps de la réforme.

Excellente analyse d'Andrea Gagliarducci, qui s'interroge: quelle est la position du Pape? (10/11/2014)

Articles reliés d'Andrea Gaglarducci

Article original en anglais: www.mondayvatican.com/vatican/vatican-the-time-for-reform-what-is-the-popes-position
Ma traduction (j'ai rajouté les sous-titres).

     

Vatican, le temps de la réforme. Quelle est la position du Pape?

* * *

La prochaine réunion des chefs de dicastères du Vatican, prévu aux alentours de la fin de ce mois, donnera un aperçu de la rationalisation du "projet-Curial". Le Conseil des cardinaux, dont la prochaine réunion est prévue du 9 au 11 Décembre, veut mettre en oeuvre le premier changement concret, afin de montrer qu'ils ne se rencontrent pas seulement pour parler, mais aussi pour agir. Cet effort est béni par François: le temps de l'observation a pris fin, le temps de l'action a commencé.

SCISSION INTERNE
----
Dans les murs sacrés, l'atmosphère est celle d'une scission interne. Quelqu'un a décrit cette division comme une «guerre civile» entre conservateurs et progressistes, d'autres parlent de «lobbies continentaux» (i.e. lobby américain, lobby maltais).
Il n'y a rien de la sorte. Le scénario est plus nuancé, comme en témoignent les récentes discussions au Synode des évêques. Le groupe de cardinaux qui a agi pour défendre la doctrine, mais à différents degrés de nuances et d'actions, était composé d'évêques réputés conservateurs et d'évêques réputés progressistes. De l'autre côté, il y avait un groupe qui, en privé réclamait «un pape plus courageux pour ouvrir (l'Église)», oeuvrant comme un véritable lobby parallèle (le lobbying pour le prochain synode aurait déjà commencé), sans prendre en considération la doctrine, ni comment cette même doctrine fait partie de l'évangélisation.

La scission devrait plutôt être décrite comme celle existant entre ceux qui croient encore fermement que l'Eglise doit façonner le monde et ceux qui veulent que l'Eglise accueille le monde tel qu'il est, se contentant de l'accompagner et de le réconforter, mettant en pratique la vision de François d'une Église comme un «hôpital de campagne». Le Cardinal Gehrard Ludwig Müller, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a décrit les membres de ce dernier groupe comme «des évêques qui avaient été fascinés par le monde séculier.»

La position de François n'a pas encore été déterminée, ni comprise. François a toujours mis en garde contre une «Eglise mondaine», et il avait fixé comme objectif de son pontificat celui de favoriser une Eglise missionnaire, orientée vers l'extérieur, mais maintenant quelques points fixes dans l'Evangile, quoique préférant les éléments denses en piété populaire. Dans le même temps François a également été le moteur d'une réforme interne cherchant l'efficacité plus que l'évangélisation . Et l'efficacité est une aspiration très 'mondaine'.

RÉFORMES DANS LA CURIE
-----
La réforme de la Curie a été menée au nom de cette efficacité, et de la rationalisation des dépenses. Au début, la réforme de la Curie était destinée à faire quelques ajustements à Pastor Bonus http://eucharistiemisericor.free.fr/pastor_bonus.php, la Constitution qui régit les fonctions des Offices de la Curie romaine. Ensuite, c'est une réécriture substantielle de la Constitution qui a été envisagée - même si seul un projet d'introduction a été achevé, et il doit encore être discuté. En attendant, il semble que les cardinaux sont prêts à mettre en œuvre des ajustements à Pastor Bonus et à établir de nouveaux dicastères, presque une Curie parallèle qui remplacerait celle existante étape par étape.

Cette façon de procéder expliquerait comment le Secrétariat à l'économie a été établi, alors que la préfecture des Affaires économiques est toujours en activité. Le Secrétariat de l'Economie, conjointement avec le Conseil de l'Economie, fonctionne comme une sorte de «ministère des Finances», et a été l'organe le plus actif du Vatican dans la poursuite des réformes, prenant les rênes de la gestion de ces questions. La semaine dernière, le Secrétariat a publié un manuel sur la gestion financière, remis à tous les organes du Vatican ayant des responsabilités financières: les nouvelles procédures contenues dans le manuel seront en vigueur le 1er Janvier 2015. En attendant, les comptables du Vatican seront formés aux nouveaux principes comptables.

La réforme est nécessaire pour générer des profits, comme le cardinal George Pell, préfet du Secrétariat de l'Economie, l'a candidement expliqué. A cet effet, une partie du processus de réforme a consisté à établir une fonction de gestion des actifs du Vatican, secondée par les avis d'experts en investissements d'un organisme externe (on parle de Black Rock, lié à Goldman Sachs) afin d'obtenir le meilleurs rendement possible desdits actifs.

LA FIN D'UN MONDE
-----
Toujours au nom du profit, il a été décidé de ne pas renouveler l'accord de négociation collective avec 500 artisans qui produisaient les parchemins avec la bénédiction papale pour l'Aumonerie Papale. L'accord prévoyait un taux fixe de paiement. Lorsque l'aumônier a annoncé que l'accord ne serait pas renouvelé, il était clair qu'il voulait que la production soit faite en interne, ou les contrats attribués au coup par coup, dans le but d'augmenter les profits et de les rendre disponibles pour aider les pauvres.

Au nom de l'aide aux pauvres, les principales caractéristiques du petit monde du Vatican vont peut-être être détruits. C'était un monde familier et familial, avec une économie fermée qui permettaient à tous ceux qui gravitaient autoure vivre d'une manière digne, et aussi d'aider les gens. Il n'y avait pas d'exclusion sociale, puisque tout le monde était aidé. Les salaires du Vatican pouvaient être inférieurs à ceux espérés (même s'ils étaient exonérées d'impôt), mais ils étaient justes, en termes de pouvoir d'achat, grâce au supermarché interne, l'Annona. L'Institut pour les œuvres religieuses (la soi-disant «banque du Vatican») investissait sur des actifs solides qui n'étaient pas seulement sûrs, mais aussi éthiques. Ils généraient des taux de rendement modestes, mais c'était comme cela que la banque du Vatican pouvait soutenir les congrégations religieuses - fournissant également les services bancaires gratuitement - et générait des profits pour soutenir le monde catholique. Même les contrats de travail à l'intérieur du Vatican, adjugés à des entreprises de confiance, permettaient un certain sentiment de sécurité dans des investissements basés sur la confiance mutuelle, une confiance qui manque lorsque les contrats sont attribués par concours (adjudication).

Certes, chaque système a ses problèmes, et la gangrène dans celui-ci est apparue avec l'affaire Viganò et le scandale Vatileaks. Mais c'est la façon dont le système était géré, et non le système lui-même, qui aurait dû être remis en question. Pourtant, les attaques ont été dirigés vers un système qui avait fait ses preuves dans le passé, et qui a connu ses moments sombres quand ceux de la vieille école n'ont pas agi correctement. C'est tout un monde qui s'effondre, étape par étape , sous la révolution du Pape François. Les médias laïcs saluent chaque nouveauté, comme si l'Église était avant un royaume corrompu et que le pape fasse enfin le nettoyage.

Le Vatican lui-même semble être prêt à projeter cette image. Les communiqués du Vatican soulignent toujours que tout a été fait suite à une volonté claire du Pape, depuis le procès à l'ancien nonce Wesolowski pour des accusations de pédophilie dans les murs du Vatican, jusqu'à la décision de modifier les règles relatives à la démission des évêques. Ce dernier point mérite un examen plus approfondi .

NOUVELLES NORMES POUR LES DÉMISSIONS D'OFFICE
-----
(Cf. Rescriptum ex audencia Sanctissimi)
Paul VI avait demandé aux évêques de démissionner à l'accomplissement de leurs 75 ans, et il avait fait la même chose avec les cardinaux à la tête des dicastères du Vatican. Pour les membres des congrégations du Vatican, l'âge de la retraite obligatoire avait été fixé à 80 ans. François a confirmé cette règle, mais avec une paire de légères modifications.
Premièrement: les évêques dans des situations controversées sont encouragés à quitter leur poste pour le bien de la communauté, même si de nombreux évêques sont injustement attaqués (ainsi, l'opinion publique aurait son mot à dire sur le choix des évêques?). Le pape, cependant, a été très clair: le ‘rescriptu ex audientia’ par lequel la décision a été prise ajoutait également que le Pape lui-même peut décider de «démissionner» des évêques dans des situations controversées.

Deuxième léger changement, la mention des cardinaux qui occupent des postes de nomination pontificale, qui doivent désormais eux aussi démissionner à 75 ans accomplis. Ceci inclut les archiprêtres des basiliques pontificales et les cardinaux patrons d'ordres chevaleresques (comme le cardinal Paolo Sardi, actuellement patron de l'Ordre de Malte, qui vient d'avoir 80 ans et devra laisser son poste au cardinal Raymond Leo Burke). La liste comprend également l'actuel camerlingue, le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d'Etat émérite et souvent la cible de critiques vicieuses.

LE CARDINAL BERTONE, CIBLE EN REMPLACEMENT DE BENOÎT XVI
----
Le Cardinal Bertone aura 80 ans le 3 Décembre prochain, et il est facile de voir pourquoi il a néanmoins été mentionné dans le cadre du tourbillon de démissions et de rétrogradations (ceux qui quittent un poste dans un dicastère perdent aussi automatiquement d'autres positions qui lui sont liées , comme l'appartenance à des Congrégations). Le fait que le cardinal Bertone ait été mentionné dans ce groupe - comme l'a fait le Cardinal Parolin dans une conversation informelle, après avoir été sollicité par les journalistes - doit être lu comme le dernier affront à la figure la plus critiquée du pontificat de Benoît XVI.

En fait, on a le sentiment que le premier objectif de la «partie de rétrogradations» du pontificat de François pourrait être de démanteler le Secrétariat d'Etat du Cardinal Bertone. Le 8 novembre, le pape a nommé l'archevêque Dominique Mamberti, jusque-là Secrétaire pour les relations avec les États et en charge depuis 2006, à la Signature Apostolique. Expert en droit civil et canon, l'archevêque Mamberti obtient ainsi une sortie «soft» vers un poste de cardinal. (...).

Ce démantèlement apparent du travail du cardinal Bertone devrait nous permettre de regarder en arrière et d'essayer de comprendre pourquoi le pontificat de Benoît XVI a été si fortement critiqué par le monde séculier. Benoît XVI était très clair dans son magistère, et il a réussi à repositionner l'Eglise au centre du débat culturel dont il avait disparu dans la vague émotionnelle des dernières années du pontificat de Jean-Paul II. Le pape de la raison a calmement et clairement montré au monde où étaient les défis posés à l'Église - de la défense de la famille et de la vie, et de la dignité humaine, à l'application de la doctrine sociale de l'Eglise, toutes imprégnés de la notion de Vérité - et pris une position claire contre le relativisme - et il a affronté ces défis, étape par étape.

L'effort de réforme de Benoît XVI mérite d'être souligné. Il a rétabli la discipline dans le respect des critères d'admission dans les séminaires, et remodelé le modus operandi de la Curie romaine, le basant sur la collégialité qu'il avait déjà mise en pratique quand il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Son effort de réforme a aussi rehaussé le profil du Saint-Siège sur la scène internationale: sous Benoît, le Saint-Siège s'est éloigné de la relation privilégiée avec l'Italie et a gagné davantage d'impulsion dans les relations internationales, et la reconnaissance d'une voix plus autorisée lors des conférences internationales - la preuve en est l'approche suivie à l'égard de la réforme des finances du Vatican, faite dans une perspective internationale plutôt que d'un coup d'œil de côté pour le voisin italien.

Il est difficile de faire Benoît XVI la cible de vives critiques, parce qu'il était tellement clair et linéaire dans ses décisions. Une cible plus facile est son ancien bras droit, le cardinal Bertone, qui peut avoir fait des erreurs comme tout le monde, mais qui a toujours été fidèle au pape aujourd'hui émérite.

Le fait d'attaquer à nouveau un Secrétariat d'Etat qui est hors des écrans radar, et l'idée, sans cesse soulevée, que François remanie la Curie en chassant les «ratzingeriens», est un signe clair de la façon dont les médias séculiers veulent refermer définitivement la porte sur la papauté de Benoît XVI, et pousser pour une papauté plus «médias friendly», facile à expliquer en termes profanes .

Pourtant, François a fait l'éloge de Benoît lors du dévoilement du buste en bronze du pape émérite à l'Académie pontificale des sciences. Benoît XVI peut être considéré comme une sorte de «conseiller caché» de François, puisque les écrits et les idées de Benoît sont toujours une grande source d'inspiration pour l'Eglise.

Dans quelle mesure François est inspiré par ces idées, cela encore à voir. Jusqu'à présent, la réforme du Vatican a abordé beaucoup de mouvements internes, et la seule réforme structurelle de l'économie qui doit encore à prendre forme. Il y a beaucoup de luttes internes, et il ne s'agit pas de simples affrontements idéologiques, comme les médias voudraient nous le faire croire. C'est un choc des mentalités.
François a toujours maintenu que la première réforme est celle du cœur.
De quel côté est-il, dans l'affrontement?