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Un étrange brouhaha

Vittorio Messori s'explique définitivement, dans Il Timone, une revue d'apologétique catholique dans laquelle il tient une rubrique depuis des années, Il Vivaio. Traduction de Anna (18/1/2015)

>>> L'article de Vittorio Messori dans Il Corriere della Sera du 24 décembre 2014: benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/franois-ce-que-dit-messor

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Cela semble une simple querelle entre journalistes, et même une querelle purement italienne, mais il n'en est rien. Vittorio Messori met le doigt sur des problèmes qui se posent avec une acuité particulière - dont l'intolérance des prétendus partisans du "dialogue" - , spécialement depuis l'avènement de François, mais en réalité (en ce qui le concerne) depuis au moins trois décennies.
Tous ceux qui aujourd'hui essaient de sortir des rangs pourront s'y reconnaître...

Cet étrange brouhaha
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www.vittoriomessori.it/blog/2015/01/15/vivaio-gennaio-2015/
(Traduction Anna)
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Je suis convaincu que le croyant, surtout s'il écrit sur des sujets directement religieux, a des devoirs envers ses lecteurs. Devoir, en premier, de les rassurer que celui dont ils prennent au sérieux les écrits, peut à son tour être pris au sérieux. Devoir, donc, d'expliquer ce qu'on a voulu dire, pourquoi il l'a dit et (en cas de contestation) pourquoi il pense, en conscience, de ne pas s'être trompé.

Me voici donc ici à expliquer (non pas comme fait personnel mais par engagement nécessaire envers ceux qui me suivent dans cette chronique) ce qui s'est réellement passé entre Noël dernier et l'Epiphanie, quand je me suis inopinément trouvé au centre d'une sorte de tempête médiatique.

Pendant tous ces jours je me suis tu, sans répondre, sauf en deux cas. Le premier, lorsque le Corriere della Sera, sur lequel j'avais publié l'article "scandaleux" (je suis convaincu qu'il ne l'était pas du tout, comme en était aussi convaincu le directeur De Bortoli, quoique admirateur du pape Bergoglio qui s'est fait par lui interviewer). Le Corriere, donc, sans m'en avertir sauf à la dernière minute, a publié un article confus et injurieux écrit par Leonardo Boff. On se souvient, peut-être, que le leader, de presque 80 ans, de la théologie dite de la libération, après les mises en garde de celui qui était le cardinal Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et les rappels de Jean-Paul II, décida de quitter le froc du franciscain et de s'en aller vivre avec une compagne.

Quelques années plus tard, les ruines du mur de Berlin s'abattirent sur lui et ses compagnons dans la nouvelle foi, ainsi que sur tous les catholiques, prêtres et laïcs, qui pleins d'enthousiasme avaient découvert le marxisme, croyant que c'était le futur, alors qu'il était mourant. L'ex-frère, et tant d'autres, avec lui, furent volés de façon impromptue de la désastreuse utopie rouge, et passèrent ainsi à la verte. L'écologie s'est transformée chez Boff en un véritable culte syncrétiste, avec au centre la Terre-Mère invoquée comme Gaia, avec de forts accents New-age. Dans sa fazenda brésilienne où il vit avec sa compagne et quelques enfants adoptés, il s'est forgé une liturgie fantaisiste, dans laquelle il baptise, célèbre la messe, bénit les mariages. Tout cela dans le silence consentant de l'épiscopat brésilien. Finalement, une véritable église, entre panthéisme et "vert-isme" (verdismo): des dogmes catholiques (qu'il détestait), en passant par ceux du marxisme, pour terminer avec ceux de l'écologisme.

En publiant l'attaque de Boff, Il Corriere me demandait une réponse le jour suivant, ce que je fis: il ne fut pas difficile de me débarrasser de ce chaos de politique et de mythes écologiques. Mon intervention fut donc une intervention obligée. Comme obligée fut aussi la seconde, avec un interlocuteur bien différent: le sénateur de gauche Franco Monaco, ancien président de l'Azione Cattolica ambrosienne à l'époque du cardinal Martini, à qui il était lié par grande affinité personnelle et échange théologique. Le journal venait de publier un article où il m'adressait des questions précises et je me devais de lui répondre.

Beaucoup m'exhortaient par ailleurs à une réponse complète à mes détracteurs, qui avaient souvent été d'une agressivité et d'une violence confinant presque à la haine (j'ai de nombreuses fois fait l'expérience que personne n'est plus redoutable et implacable que les apôtres du pacifisme, de la tolérance, de la non-violence… ), mais j'ai préféré différer, afin de pouvoir m'expliquer avec plus de liberté ici, au Timone, où on est en famille et on peut parler librement.
J'ai donc différé, aussi parce que, depuis longtemps, j'ai appris que dans ces polémiques entre journalistes il y a toujours deux victimes inévitables: la charité et la vérité. La charité, car toute polémique est un duel, l'objectif étant de frapper l'adversaire, de le tuer si possible, dans le sens de le réduire au silence. Le vérité elle aussi meurt, car ce qui importe n'est pas de clarifier l'objet du confit, ni de parvenir à une vérité plus haute et riche, mais que mon propre point de vue prévale, par tous les moyens, réduisant la perspective de l'autre à un schéma débile, voire ridicule.
Il en est rarement ainsi: au moins une partie de la vérité est aussi chez l'antagoniste, mais on est contraint d'essayer de l'occulter, afin de s'imposer dans la lutte. Comme disait Pascal, polémiste repenti, et quel hasard!, justement contre les jésuites: "La vérité sans charité est une idole diabolique, car elle prend l'apparence d'une oeuvre vertueuse".

Je n'ai donc pas répondu, pour essayer d'éteindre la dispute qui, comme toutes, porte en elle des conséquences qu'un chrétien doit fuir. Mais si j'ai pu me retenir, malgré la violence des attaques, égale à leur inconsistance, c'est parce que de ces épisodes, j'en ai déjà pas mal vécus dans mon travail de journaliste qui ne s'efforce pas de dire des choses qui plaisent à tout le monde. Les moins jeunes se souviennent peut-être de l'ouragan mondial (d'une méchanceté et violence que seuls certains church-intellectuals savent exercer) déchainé par la publication, au milieu des années 80, de l'"Entretien sur la foi", première interview de l'histoire à un préfet de l'ancien Saint-Office, dont le silence pluriséculaire était devenu légendaire.

Les "catholiques ouverts" - et pas que les catholiques, mais tout le camp du soi-disant progressisme mondial, laïque compris - s'en prirent non seulement au cardinal Ratzinger mais aussi au journaliste auteur de ces lignes. Lequel avait non seulement donné voix au Grand Inquisiteur, mais avait également montré adhérer à son programme, qui fut marqué comme "restauration" anti-évangélique. Et aussi se souviennent-ils (mais les jeunes de moins en moins) qu'en '90, lors de la présentation à Rimini d'un de mes livres "Un italiano serio - biografia del beato Francesco Fàa di Brun", un patriote persécuté par ceux qui voulaient bâtir une Italie unie mais extirpée de sa religion, en présentant ce livre donc, je fus accusé de la faute la plus grave, rien moins que celle proverbiale d'avoir "dit du mal de Garibaldi" (ndt: l'équivalent français serait probablement de condamner la révolution, au moins dans sa version prétendue modérée de 1789).

En présentant la vie de cet homme de Dieu, j'avais en effet osé toucher à un des mythes fondateurs de l'Italie moderne, glorifié jusque dans son nom: le Risorgimento. Notre Pays vit en effet sur trois mythes: celui du Risorgimento, justement, sur lequel s'appuya la bourgeoisie entre les XIX et de XX siècles; celui de la Rome impériale, sur qui s'appuya le fascisme; celui de la Résistance, sur qui s'appuya la démocratie de l'après-guerre. Garibaldi était, à l'instar de tous les autres, au moins à cette époque là, encore intouchable et j'en fis l'expérience avec une campagne d'agression inouïe.
Je ne vais pas la faire longue avec d'autres exemples, et il y en aurait pourtant: ce que j'ai dit suffit pour montrer que je suis forgé par l'expérience, et que je ne perds donc pas la tête, ni le sommeil, ni l'appétit à cause de ces hurlement. Tôt ou tard les voix se font rauques et cessent de crier. Et pour parler comme ce grand écrivain, ce qui reste ce n'est que le silence des passions gâchées.

Venons-en donc à la bagarre intervenue entre Noël et l'Epiphanie. Tout d'abord, ce qui a surpris non seulement moi mais aussi la direction du "Corsera" (Corriere della sera), ainsi que les nombreux lecteurs qui m'ont exprimé leur solidarité, c'est que ceux qui insultaient, écrivaient des appels dramatiques, recueillaient des signatures, criaient au complot, invoquaient des mesures de censure, eh bien tous ces gens là semblaient unis par un même point commun: ne pas avoir du tout lu l'article qui suscitait leur indignation. Ils s'appuyaient sur des ouï-dires, sur des titres partisans de journaux, des posts dans les sites d'internet, sur des obsessions idéologiques, des fantasmes sans consistance.

Une première recommandation que je me permets de faire aux lecteurs du Timone: s'ils ne l'ont pas déjà fait (et si le cas les intéresse, évidemment), qu'ils lisent ce que j'ai réellement écrit. Ils peuvent trouver le texte sur internet, à de nombreux endroits. Le plus rapide est d'aller sur le site (www.vittoriomessori.it) que Sebastiano Mallia (jeune et compétent avocat sicilien) a voulu me créer (après beaucoup d'insistance de sa part et de résistance de la mienne) et qu'il gère désormais depuis des années avec autant d'affection que de compétence. C'est l'occasion ici de l'en remercier. On verra que le ton est tout à fait calme; l'information correcte; explicite, le respect envers l'"Evêque de Rome"; la perspective religieuse est mise en évidence; la perspective qui doit être celle du catholique est réaffirmée; l'humilité n'est pas non plus oubliée, celle de quelqu'un qui sait pouvoir se tromper et ne veut pas conduire les autres dans l'erreur et qui sait aussi que ce charisme, réservé par l'Esprit Saint à l'élu dans la Chapelle Sixtine, ne lui est pas donné. Je ne m'auto-célèbre pas: ce sont des réalités objectives reconnues par ceux, rares, qui se sont donnés la peine de le lire.

En tout cas, il convient de rappeler aux lecteurs, les catholiques aussi, ce qu'établit le Droit Canon, la loi qui régit l'Eglise, au Canon 212, paragraphe 3: "De manière proportionnée à la science, à la compétence et au prestige dont ils jouissent, les laïques ont le droit, parfois même le devoir, de manifester aux Pasteurs Sacrés leurs avis concernant le bien de l'Eglise et de le faire connaître aux autres fidèles sans préjudice pour l'intégrité de la foi et des coutumes et le respect envers les Pasteurs, tout en gardant à l'esprit l'utilité commune et la dignité de la personne".
La liberté du "peuple de Dieu", en des cas comme ceux-ci, est donc proclamée et sauvegardée. Ce qui a été oublié justement par ceux qui depuis toujours invoquent et exigent la participation du "peuple de Dieu" à la gestion quotidienne de l'Eglise.

Pour en revenir à nous: il me faut réfléchir à des faits surprenants, même inédits, au sein de la 'Catholica': le directeur du quotidien Avvenire (Marco Tarquino), celui dont l'épiscopat italien éponge depuis toujours les dettes avec notre 8 pour mille (ndt: la taxe perçue par l'Etat et reversée à l'Eglise), est allé, dans une sorte de "visite de réparation", chez Radio Radicale et presque en s'excusant auprès de Pannella, a affirmé que, à bien y réfléchir, les objectifs de ce vieux gourou anti-chrétien sont souvent les mêmes que ceux des catholiques. Je dois dire à ce propos que plusieurs ont été surpris par cette obstination persécutrice de la part d'Avvenire, dont les catholiques sensés s'attendaient bien à des vues différentes des miennes mais exprimées dans le calme, et non avec une sorte de persécution tenace: un éditorial d'abord, évidemment négatif; puis une page entière de lettres au vitriol avec jugement sans atténuantes et sans appel de la part du directeur; le jour suivant et l'autre encore, d'autres lettres de lecteurs en colère, comme si les messages solidaires de ce blasphémateur de Messori n'existaient pas. Et pourtant j'en ai reçu des dizaines dans ma boîte. Ensuite, dispersés par ci et par la en plusieurs articles et éditoriaux, des piqûres et coups de poignard, qui donnent à penser que chez le directeur de ce journal, que je n'ai par ailleurs jamais rencontré ni vu, il y aurait une sorte d'affaire au niveau personnel. C'est étrange, puisque pendant des années j'ai donné ce que je pouvais à la feuille qu'aujourd'hui il dirige, avec des résultats peut-être non négligeables, démarrant chez eux cette chronique "Vivaio" qui est arrivée jusqu'au Timone.

Mais restons toujours aux faits inédits: ceux qui (souvent âgés, car veufs ou orphelins de la contestation soixante-huitarde) pendant des décennies ont sali dans la surenchère Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI, ont mis pour l'occasion les uniformes de zouaves pontificaux, ont rédigé et signé des appels vibrants, ont même organisé des festins pour le recueil de signatures en défense de l' "évêque de Rome" contre le vil agresseur qui écrit ces lignes. J'ai évoqué, comme un cas exemplaire, l'indignation d'un Leonardo Boff qui après avoir fulminé pendant des années contre les pontificats précédents, après être sorti de l'Eglise en claquant la porte, et avoir créé un culte tout particulier à lui, et s'être nommé prêtre de Gaia, invoque par cette même Eglise qu'il a refusée des mesures sévères contre celui qui ose juste poser des questions, respectueuses autant que douloureuses et fondées, à un Pape. Il est singulier d'entendre de lui, comme de tant d'autres comme lui, l'éloge et l'invocation de la censure contre la liberté de penser du catholique, pas au sujet du dogme en plus, mais de la simple pastorale.

Il était évident, parmi ceux qui criaient au blasphème pour n'avoir exprimé que quelques respectueuses perplexités, il était évident que Messori n'était que l'instrument, bien payé évidemment, d'un obscure complot. Je disait, en début de l'article, que j'aurais bien voulu éviter de m'exposer en ce moment avec cette espèce de confession, n'ayant pas encore bien compris quel est le vrai projet de François. Je disais donc que je me résignais à l'écrire car on me l'avait demandé. La demande venait évidemment du Corriere, avec lequel j'ai un contrat depuis au moins douze ans. J'ai eu le tort de ne pas le préciser, oubliant l'instinct pavlovien du complot, courant dans un certain milieu. On a ainsi écrit, avec l'air "vécu" de celui qui connaît les coulisses, que la demande m'avait en réalité été adressé par des franc-maçons, l'opus Dei, les lefèbvristes, la Confindustria, des cardinaux dissidents, la Curie romaine, des partis politiques, des lobbies de partisans de la restauration et ainsi de suite, dans un délire de "voici qui est derrière". En réponse à Franco Monaco, qui me le demandait lui aussi, je lui confessais que, à la grande déception des conspirationnistes, tout avait été d'une banale normalité; en écrivant pour un journal, je n'avais fait que répondre à une requête du journal lui-même, sans aucune indication préalable sur comment écrire l'article et sans ajustements,une fois l'article écrit, de la part de quiconque.

On pourrait continuer mais ça suffit, ce brouhaha n'est après tout pas aussi important pour mériter un effort ultérieur. Je voudrais, en terminant, confirmer aux lecteurs ce qui est par ailleurs évident et n'aurait pas besoin d'être répété: ce qui m'a guidé en cet article et qui, je l'espère, va continuer de me guider dans le futur, n'est que l'amour de l'Eglise et le respect pour celui qui, d'un siècle après l'autre, est appelé à la guider sur terre. Un respect comme on le doit au père, tel à permettre, voire exiger l'échange de vues, la discussion calme, pas évidemment sur ce qui tient au Credo, dont lui seul, le Pape, est gardien. Cet évêque de Rome pour lequel tout chrétien a le devoir de prier, comme je le rappelais en conclusion de l'article maudit.









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