Le Pape pense-t-il que Kasper a raison?

Chaque fois que la proposition Kasper a été rejetée, il a relancé le débat. Un article du Père De Souza dans le Catholic Herald, où il décortique les propos de François lors de l'audience générale du 5 août dernier (21/8/2015)

>>> L'audience sur le site du vatican:
w2.vatican.va

>>> Autour de cette audience:
¤ Deux importants discours de François (Magister)
¤ Nouveau "coup" du Pape contre les rigoristes (Melloni)

Il faut peut-être relire attentivement la première audience générale après la pause estivale, celle du 5 août 2015. Elle apporte des réponses intéressantes à la question qui taraude chacun: que pense vraiment le pape François, en particulier sur le sujet spécifique de la question de la communion aux "divorcés remariés".
Le Père Raymond de Souza (professeur à la Queen's University de Kinsgton, dans l'Ontario et chroniqueur dans plusieurs medias catholiques, portrait en anglais ici; son compte twitter twitter.com/fatherdesouza ) a décortiqué le texte, et ce qui en est absent est plus éloquent que ce qu'il contient....
J'ai trouvé cet article chez Teresa, elle commente:

Le Père De Souza, qui, ces derniers mois, semble avoir ôté ses oeillères à propos de François (qui l'avait tellement ébloui juste après l''Habemus Papam' du 13 Mars 2013, et l'éblouissement a persisté tout au long de la première année du pontificat ) - est le premier commentateur majeur que j'ai lu, qui ose affronter des «preuves» valables des intentions de ce pape sur la non-admissibilité à la communion des CDR (catholiques divorcés remariés). Et il le fait sur la base de la catéchèse qu'il leur a consacrée le 5 Août, dans sa première audience générale après la pause estivale de Juillet. Les preuves résident dans ce que le pape, citant des textes de Jean-Paul II et de Benoît XVI sur le sujet, a choisi de ne pas dire, omettant leur affirmation répétée que les CDR ne sont pas autorisés à recevoir la communion ...
Difficile d'écarter ce fait, pour le normaliste le plus déterminé, ou de continuer à accorder à François le "bénéfice du doute", et évidemment, les FOF (fans of Francis) les plus irréductibles ne le feront pas parce qu'ils sont du côté de la "miséricorde pastorale" selon la formulation Bergoglio-Kasper.

François pense-t-il que le cardinal Kasper a raison?
Chaque fois que la proposition Kasper a été rejetée, il a relancé le débat.

Père Raymond de Souza
Jeudi 20 août 2015
www.catholicherald.co.uk
Ma traduction

* * *

Pendant 18 mois, depuis que François a invité le cardinal Walter Kasper à s'exprimer devant le consistoire des cardinaux de Février 2014, la question de savoir si les divorcés et remariés civilement peuvent recevoir les sacrements a été au premier plan et au centre. Chaque fois que la "proposition Kasper" a été rejetée, François a laissé la discussion se pousuivre, au point qu'elle dominera désormais le synode sur la famille qui aura lieu en Octobre.

François ne s'était pas exprimé directement sur la question au cours des mois de débat, laissant les catholiques spéculer sur ce qu'il pensait.
Dans son audience générale du 5 Août il l'a abordée de front. Et ce qu'il n'a pas dit dans son discours pourrait bien indiquer qu'il pense le cardinal Kasper a raison.

"Je voudrais aujourd’hui porter notre attention sur une autre réalité: comment prendre soin de ceux qui, suite à l’échec irréversible de leur lien matrimonial, ont entrepris une nouvelle union" a-t-il dit. "L’Eglise sait bien qu’une telle situation contredit le Sacrement chrétien. Toutefois, son regard de maîtresse puise toujours à un cœur de mère; un cœur qui, animé par l’Esprit Saint, cherche toujours le bien et le salut des personnes. Voilà pourquoi elle sent le devoir, «par amour de la vérité», de «bien discerner les diverses situations» ["exercer un discernement attentif"]. C’est ainsi que s’exprimait saint Jean-Paul II [dans l'Exhortation apostolique Familiaris consortio (n 84)], en donnant comme exemple la différence entre ceux qui ont subi la séparation par rapport à ceux qui l’ont provoquée. Il faut faire ce discernement"

Saint Jean-Paul II a écrit Familiaris Consortio après le synode de 1980 sur la famille, qui a examiné la question des divorcés et remariés civilement. Jean-Paul II a précisé que ceux qui sont validement mariés à une personne, mais vivent une relation conjugale avec une autre personne, ne peuvent pas recevoir la Sainte Communion, car ils sont dans un état permanent et public de péché grave. S'ils ne veulent pas mettre fin à cette relation conjugale, ils ne peuvent pas recevoir l'absolution dans la confession sacramentelle, car ils ne poursuivent pas le but de l'amendement requis.

Ces points, avec une exhortation à accompagner de près ces couples et à les inclure dans la vie de l'Église, sont abordés dans Familiaris Consortio (n°84). Citer ce passage uniquement en relation avec «un discernement attentif» et omettre la réponse spécifique de Jean-Paul à la question à portée de main, c'est inviter à la conclusion que François n'est pas d'accord avec l'enseignement de saint Jean-Paul II.

Le Saint-Père a cité Familiaris consortio (n°84), mais il n'a pas mentionné pas qu'elle était explicitement confirmée par Benoît XVI dans Sacramentum caritatis, l'exhortation apostolique de 2007 qui a suivi le Synode de 2005 sur l'Eucharistie.

"Le Synode des Évêques a confirmé la pratique de l'Église, fondée sur la Sainte Écriture (cf. Mc 10, 2-12), de ne pas admettre aux sacrements les divorcés remariés, parce que leur état et leur condition de vie contredisent objectivement l'union d'amour entre le Christ et l'Église, qui est signifiée et mise en œuvre dans l'Eucharistie", a écrit Benoît XVI"
(w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/apost_exhortations/documents/hf_ben-xvi_exh_20070222_sacramentum-caritatis.html).


Cette deuxième omission parle haut et fort parce que François a bien cité Benoît XVI à l'audience générale 5 Août, ignorant Sacramentum caritatis pour citer à la place des propos tenus à Milan (cf. w2.vatican.va).

"Le Pape Benoît XVI est intervenu sur cette question, en sollicitant un discernement attentif et un accompagnement pastoral sage, en sachant qu’il n’existe pas de «simples recettes»", a déclaré François, citant un discours de Juin 2012 à la Rencontre Mondiale des Familles.

Dans ce même texte Benoît XVI a dit que de tels couples doivent

se sentir aimés, acceptés ; qu’ils ne sont pas «en dehors» même s'ils ne peuvent recevoir l’absolution et l’Eucharistie : ils doivent voir que même ainsi, ils vivent pleinement dans l’Église. Même si l’absolution dans la Confession n’est pas possible, un contact permanent avec un prêtre, avec un guide de l’âme, est très important pour qu’ils puissent voir qu’ils sont accompagnés et guidés.
...
Même sans la réception « corporelle » du sacrement, nous pouvons être spirituellement unis au Christ dans son Corps. Et faire comprendre cela est important. Que réellement ils trouvent la possibilité de vivre une vie de foi, avec la Parole de Dieu, avec la communion de l’Église et puissent voir que leur souffrance est un don pour l’Église, parce qu’ils servent ainsi à tous pour défendre aussi la stabilité de l’amour, du mariage.


A la fois saint Jean-Paul II et Benoît XVI ont parlé explicitement de l'inadmissibilité aux sacrements des divorcés et remariés civilement. François cite ses prédécesseurs pour soulever la question, mais il ne cite pas leur réponse. L'explication la plus plausible est qu'il n'est pas d'accord avec eux, même si le Saint-Père n'a pas dit explicitement que l'enseignement de Familiaris consortio, confirmée par Benoît XVI, est erroné.
Le 5 Août, cependant, il a clairement donné cette impression.
Que cette impression soit correcte ou incorrecte, ce sera le drame qui préoccupe le synode.