La pensée de J. Ratzinger, par l'abbé Iborra

Evangile et écriture selon Benoît XVI: une "causerie" érudite, donnée par l'Abbé, grand connaisseur de Benoît XVI, en janvier dernier, devant le "Cercle de l'Aréopage" (mise à jour ultérieure: Annexe )

>>> Site internet ici:
http://www.cercleareopage.org/

 

De nombreux articles de ce site ont été consacrés à l'abbé Eric Iborra, grand admirateur, et grand connaisseur de Benoît XVI.
Je renvoie en particulier mes lecteurs à cet article publié en février dernier, sous le titre "Un familer de Benoît XVI" . On y trouvera des éléments biographiques et bibliographiques sur l'abbé.

Je reproduis également en annexe un texte de lui déjà publié dans ces pages. Il s'agit d'une homélie prononcée le 22 février 2013, une semaine avant le retrait au monde de Benoît XVI, en la fête de la Chaire de Saint-Pierre. Un texte magnifique, dont la conclusion résonne aujourd'hui plus actuelle que jamais:

Très saint Père, dans votre ermitage romain nous ne vous oublierons pas. Nous nous confions à votre prière et, comme vous nous l'avez demandé, nous vous assurons de la nôtre. Malgré votre fragilité, vous demeurez la pierre sur laquelle le Christ continue de bâtir son Église.

* * *

Anna attire mon attention sur cette très belle "causerie" qu'il a tenue devant le cercle de l'Aréopage en janvier dernier.



Dans la seconde partie, il analyse avec beaucoup de finesse le glissement subtil qui s'est opéré le 19 avril 2005, du préfet de la CDF-gardien du dogme, au pape devenu (ou redevenu) essentiellement pasteur ("le panzercardinal a fait place à l'humble travailleur dans la vigne du Seigneur: bonté et fragilité semblaient se substituer à l'autorisme supposée du Préfet"). Le tout cependant dans une "herméneutique de la continuité", qui est la caractéristique de Joseph Ratzinger-Benoît XVI.

La conférence elle-même dure 47 minutes (le reste de l'enregistrement étant consacré aux réponses patientes de l'Abbé aux questions de l'assistance).
47 minutes de pur bonheur, à écouter à tête reposée.
J'ai transcrit la fin de la causerie, la conclusion, où en même temeps, l'abbé développe ce thème du passage du Préfet au Pasteur de l'Eglise universelle.

Benoît XVI apparaît comme le contraire d'un doctrinaire, mais bien plutôt cherchant pragmatiquement le moyen de réconcilier ce qui était divisé sans pour autant rien renier de la vérité reçue d'en haut. Son travail est celui d'un restaurateur, on pourrait dire d'un humble artisan - un humble travailleur dans la vigne du Seigneur - qui cherche à rendre sa splendeur première à une oeuvre d'art abîmée. Ce souci apparaît dans la manière là aussi patiente par laquelle il cherche à réformer la liturgie pour la rendre plus conforme aux voeux des Pères Conciliaires, dépassés par la toumente de ce qu'il faudra bien appeler un jour les années folles de l'Eglise. En ce sens, on pourrait dire que toute l'oeuvre de Joseph Ratzinger de ses débuts à Bonn, jusqu'à ses prises de position pontificales à Rome, est placée sous le signe de la réception vraie et plénière du dernier Concile.
Renouvellement des thèmes, quand même, tous les observateurs ont noté un glissement de perpective. C'est que, bien souvent aussi, ils avaient sous les yeux les travaux du préfet de la CDF, qui ne présentaient qu'une partie de la pensée de Joseph Ratzinger. Ce glissement était cependant réel et notable, par-delà la persistance des thèmes centraux. Tout le monde attendait, par exemple, au moment de son élection, une encyclique programmatique sur la foi, et donc sur la question connexe de la vérité, donc à tonalité essentiellement doctrinale. Or, la première encyclique fut consacrée à la charité avec une partie spéculative, certes, mais suivie d'une partie pastorale consacrée précisément à la pratique de la charité dans l'Eglise, thème repris et amplifié, dans le cadre plus large de la société post-moderne, dans sa troisième encyclique "Caritas in Veritate". Benoît XVI n'abandonne pas le thème de la vérité, mais il le resitue dans son cadre théologal, dont la source est la parole johannique "Dieu est amour". La vérité en Dieu est une instance de l'amour. Il disait ceci, dans cette encyclique: "Définir la vérité, la proposer avec humilité et conviction, et en témoigner dans la vie, sont par conséquent des formes exigeantes et irremplaçables de la charité. En effet, celle-ci trouve sa joie dans ce qui est vrai" (citation de saint Paul).

Comme théologien, comme évêque, comme Pape, c'est avec persévérance, et un mépris complet du qu'en dira-t-on que ce Pontife ami de Mozart nous a dispensé, trop brièvement à mon goût, sa petite musique.
Puisse-t-elle encore longtemps nous enchanter elle qui, à l'instar de la liturgie - je cite un de ses ouvrages - "capte l'harmonie cachée de la création, nous révélant le chant qui sommeille au fond des choses".

Annexe

MESSE D'ACTION DE GRÂCE POUR BENOÎT XVI
Messe de la Chaire de S. Pierre

Très saint Père,

En cette dernière heure de votre ministère sur le trône de S. Pierre, l'émotion nous gagne et nous voudrions vous remercier avec toute la gratitude de notre cœur, autour du Christ qui nous rassemble ce soir, lui que vous avez servi tout au long de votre vie avec intelligence, courage et humilité. C'est lui qui vous a appelé à la vie de la grâce, le jour même de votre naissance, et qui vous a toujours accompagné dans les grandes décisions de votre existence. C'est lui qui a fait de vous un prêtre de son Église, puis un archevêque et un cardinal, et enfin le successeur de S. Pierre. « L'humble serviteur dans la vigne du Seigneur », comme vous vous désigniez alors, a accepté cette lourde charge qu'il n'avait pas désirée dans un esprit de total abandon à la providence. Pendant huit ans vous avez mené la barque de l'Église, cette barque dont vous disiez, peu avant votre élection qu'elle était battue par les flots et par moments prête à couler, salie par tant d'infidélités et de péchés de la part de ceux qui auraient dû en être les meilleurs serviteurs. Vous l'avez conduite, cette barque, à travers toutes les tempêtes que le prince de ce monde n'a manqué de soulever contre elle. Mais vous saviez, et vous l'avez redit hier sur la place Saint-Pierre, fort de cette foi « plus précieuse que l'or que l'on passe au creuset », que cette barque ne vous appartenait pas, qu'elle n'appartenait à personne d'autre qu'au Christ et que le Christ jamais ne la laisserait chavirer. Le 11 février dernier, à la stupeur de nous tous, qui vous suivions d'autant plus volontiers que nous vous aimions, vous avez jugé que le moment était venu de laisser à un autre barre et gouvernail. Vous saviez que vous feriez de nous des orphelins. En cette année de la foi, vous nous invitiez donc à un sursaut de foi, en nous faisant attendre dans l'espérance celui que le Saint-Esprit nous désignerait comme votre successeur.
Ce soir, Très saint Père, nous voulons rendre grâce à Dieu pour le pasteur et pour le théologien que vous avez été pour nous.

Pasteur, vous l'avez été pendant huit années sur la chaire de S. Pierre. Vous avez guidé l'Église avec sagesse et fermeté dans le sillage de votre prédécesseur tout en lui imprimant votre marque personnelle.
L'année de votre élection, 40e anniversaire de la clôture du concile de Vatican II, vous nous indiquiez comment interpréter cet événement : non pas dans un esprit de rupture et de discontinuité qui ferait de la tradition millénaire de l'Église un passé dont il faudrait s'éloigner, mais dans un esprit de renouveau et de continuité où les textes doivent être lus à la lumière de la Tradition pour en même temps l'actualiser. Vous nous indiquiez ainsi ce que devait être la juste réception du Concile.
Vous avez eu la passion de l'unité pour la Catholica, l'Église du Christ qui vous a été confiée. Vous n'avez eu de cesse de ramener à l'unité les frères éloignés depuis peu ou depuis plus longtemps. Ad extra, en facilitant la réintégration de pans entiers de l'anglicanisme et en favorisant un dialogue exigeant et sans concessions avec les autres, orthodoxes ou protestants. Ad intra, en multipliant les gestes de bonne volonté envers ceux qui s'étaient écartés de la pleine communion de l'Église. Vous vous êtes ainsi patiemment efforcé de recoudre la tunique déchirée du Christ en nous invitant tous à regarder plus haut, vers le Seigneur, cœur de notre foi. Et cela aussi par votre lumineux magistère ordinaire, tant par vos catéchèses du mercredi que par vos encycliques, nous pressant tous à la conversion.
Vous avez redonné le goût d'une liturgie noble et sacrée, en insistant sur l'orientation de la messe, la dignité de la communion eucharistique, la beauté des ornements et des chants. Par le motu proprio Summorum Pontificum, vous avez redonné toute sa place à l'ancienne liturgie, en laquelle vous reconnaissiez depuis longtemps une source toujours actuelle de grâces.
Dans toute votre action pastorale, et en particulier dans les douloureuses affaires disciplinaires dont vous avez eu à connaître, vous vous êtes laissé guider par le souci de la vérité et vous n'avez cessé de la défendre à temps et à contre-temps, devant tous les aréopages, qu'ils soient universitaires comme à Ratisbonne, votre ancienne alma mater, culturels comme à Paris, ou politiques comme à Londres ou à Berlin. Vous avez osé résister avec fermeté et douceur aux déchaînements périodiques du pouvoir médiatique, agité par d'obscurs intérêts, et d'autant plus prompt à s'indigner qu'il l'est moins à se convertir. Durant ces huit années, où vous n'avez pas hésité vous non plus à parcourir le monde, vous n'avez cessé de nous indiquer le visage de Celui qui est au cœur de notre foi. Vous nous avez patiemment introduit, de votre parole douce et habitée, dans son intimité. Vous vous êtes révélé le maître spirituel dont nous avions aussi besoin.

Et en cela, Très saint Père, nous nous souvenons aussi du théologien que vous n'avez jamais cessé d'être, étant chez lui dans la Parole de Dieu, comme en ont témoigné les pages de votre Jésus de Nazareth.
Nous nous souvenons aussi du Préfet du Saint-Office qui éclaira les points obscurs de la doctrine et synthétisa la Tradition dans le Catéchisme de l'Église catholique, qui mit fin à certaines dérives hétérodoxes par des instructions opportunes, qui défendit la foi des petits contre l'arrogance de théologiens aux doctrines aventureuses et soutenus par les médias. Nous nous souvenons du grand prélat qui osa un jour dire ce qu'il pensait des années qui suivirent le Concile et ainsi qui rendit courage à tous ceux qui ressentaient le même malaise.
Nous nous souvenons du professeur qui ne cessa de défendre et d'expliciter le dogme dans de multiples cours, conférences, articles et livres, et qui en particulier ne cessa d'un côté de dénoncer le rétrécissement de la raison moderne à ce qu'elle peut manipuler, le quantifiable, la rendant vulnérable à toutes les manipulations, et de l'autre de promouvoir le sain usage de cette même raison dans la religion pour en préciser la doctrine et pour en purifier les agissements. Nous nous souvenons du fin liturge qui contemplait dans la célébration de la messe l'union du ciel et de la terre, de la liturgie céleste et du chant du cosmos.
Par vos multiples écrits, vous nous laissez une somme que des années d'étude ne sauraient épuiser.

Très saint Père, ce soir, alors que vous quittez maintenant le Palais apostolique, nous savons que vous ne nous abandonnez pas. Vous l'avez dit hier, lors de votre dernière audience publique : « Celui qui assume le ministère pétrinien n'a plus jamais de vie privée. Il appartient toujours et totalement à tous, à toute l'Église ». Et vous précisiez : « Ma décision de renoncer à l'exercice actif du ministère ne change pas cela. Je n'abandonne pas la croix mais je reste d'une façon nouvelle près du Seigneur crucifié ». Comme les moines d'autrefois, dans l'esprit de la Règle de S. Benoît, vous allez vous enfoncer dans le désert, dans la solitude du cœur à cœur avec le Christ pour son Église ; comme Moïse sur la montagne, vous allez élever les bras vers le ciel tandis que l'Église sous son nouveau chef visible combattra dans la plaine ; comme Elie au torrent de Carith, de charité, vous allez vous abreuver des eaux vivifiantes du salut jusqu'à ce que les ombres se dissipent et que celui que vous avez tant cherché par l'étude, tant illustré par l'enseignement, tant servi par le ministère, tant aimé dans le secret de votre cœur, lève le voile et vous dise : « Entre, bon et fidèle serviteur. Reçois l'héritage incorruptible, sans souillure ni flétrissure, qui t'est réservé dans les cieux ».
Très saint Père, dans votre ermitage romain nous ne vous oublierons pas. Nous nous confions à votre prière et, comme vous nous l'avez demandé, nous vous assurons de la nôtre. Malgré votre fragilité, vous demeurez la pierre sur laquelle le Christ continue de bâtir son Église.

Abbé Eric Iborra

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