Il y a trois ans: le plus grand acte d'humilité


Réflexion autour d'un "hommage" de John Allen à Benoît XVI (14/2/2016)

 

Le 11 février 2013, trois ans jour pour jour après la renonciation, le leader des vaticanistes "progressistes" américains a publié un article censé rendre hommage à Benoît XVI. Et c'est vrai que pour quelqu'un qui n'aurait qu'une connaissance superficielle des faits (c'est-à-dire 99% des gens...), sa réflexion a des accents touchants. La conclusion est même très belle, et entièrement justifiée.
Mais pour quiconque a suivi le traitement médiatique des huits années de pontificat de Benoît XVI, puis celui de l'élection de François, son article apparaît au mieux comme l'analyse superficielle d'un journaliste qui ne connaît rien aux affaires de l'Eglise (ce qui à l'évidence n'est pas son cas), au pire comme une tentative de minimiser les faits, en détournant sciemment l'attention des sujets qui fâchent. Cela s'appelle un contre-feu.

Selon lui, la démission de Benoît XVI n'aurait rien à voir avec les luttes de pouvoirs au sein de l'Eglise, et les conflits avec les puissances du monde - balayés d'une pichenette, en raillant au passage les journalistes italiens les plus clairvoyants - et serait une simple conséquence de sa propre inaptitude. Ce qui n'est pas exclu, mais loin d'être évident.
Allen ne cite pas la fameuse "théorie du complot" utilisée par les pouvoirs en place pour discréditer l'opposition, mais l'idée est suggérée de façon pas tout à fait subliminale:
«Benoît a été le premier pape à renoncer à ses pouvoirs, sans être pressé par un schisme, des armées étrangères, ou des luttes de pouvoir internes, mais plutôt comme résultat d'un auto-examen honnête, qu'il n'était tout simplement plus à la hauteur des exigences de sa charge».
En d'autres termes: "circulez, y'a rien à voir"....

Evidemment, aujourd'hui, les "luttes de pouvoirs internes", qui existent bel et bien et sont sans doute aussi féroces que dans le passé (ce qui se passe en ce moment dans la hiérarchie de l'Eglise, qui culmine, en gros, dans la confrontation pro/anti ligne Kasper en est une preuve flagrante), revêtent un caractère plus feutré qu'à l'époque de Célestin V; le "schisme" est plus subtil, mais beaucoup pensent qu'il existe de facto; et les "armées étrangères", remplacées par les "pouvoirs forts" (représentés notamment par l'ONU), ne se battent plus avec les mêmes armes qu'au XIIIe siècle. Mais peut-on être si catégorique que la situation soit radicalement différente? Que fait-on, par exemple, de la "mafia de Saint-Gall"? Et de la déflagration planétaire, soigneusement orchestrée d'en haut, des scandales pédophiles - dont beaucoup remontaient à plusieurs décennies - en plein milieu de l'année sacerdotale? Et de la demande pressante du pape lui-même, en avril 2005 «Priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas par peur devant les loups»?

Mais là où l'"hommage" de John Allen atteint des sommets de mauvaise foi, c'est quand il s'interroge (LUI!!!) sur les motifs pour lesquels Benoît XVI a eu "mauvaise presse", et pourquoi François a "bonne presse":
«Pourquoi le récit sur François est-il devenu une légende, tandis que celui sur Benoît est presque oublié? Parce que Benoît a amené avec lui dans la papauté une narration négative, tandis que François a eu la CHANCE de pouvoir façonner la sienne lui-même».

La CHANCE, vraiment?
A qui fera-t-on croire que la "chance" de Jorge Mario Bergoglio a un quelconque rapport avec le "récit", et que les journalistes y étaient étrangers? Un jour ne s'était pas écoulé depuis son élection que François (que personne ne connaissait auparavant, et qui avait fait une brève apparition que certains avaient perçue commme glaçante le soir du 13 mars au balcon de Saint-Pierre) était déjà promu star planétaire, le pape humble et proche des gens, qui choisissait de loger dans une chambrette à Sainte Marthe plutôt que dans les "luxueux" appartements pontificaux, et qui allait enfin sortir la papauté de la naphtaline où ses prédécesseurs l'avaient enfermée.
Que l'un des artisans les plus influents de la construction de l'"image" du pape argentin POSE LA QUESTIONS AU LECTEUR (ALORS QUE C'EST LE LECTEUR QUI DEVRAIT LA LUI POSER À LUI), c'est le monde à l'envers! On se dit que, soit il a perdu la mémoire - hypothèse peu probable....- soit il essaie de détourner l'attention de manoeuvres peu présentables qui ont eu lieu à l'époque, qu'il connaît forcément. Car il lui aurait suffi de quelques articles écrits en mars 2013 (pas aujourd'hui!) pour démonter un certain nombre de forgeries flagrantes, que n'importe quel observateur un peu perspicace pouvait déceler à l'oeil nu. A ce propos, il est particulièrement éclairant de relire cet article de mon site datant du 20 mars 2013 (benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/chambre-de-pape) et la (très vive) alagarade qui m'avait opposée ensuite à un vaticaniste (cf. benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/mise-au-point)

Et toujours à propos de John Allen, je cite mon amie Teresa (cf. Le rapport Kolvenbach), qui elle aussi le connaît bien:
«Personne ne nous a fourni d'information détaillée sur la façon exacte dont Jorge Mario Bergoglio était considéré par les fidèles de Buenos Aires (et pas seulement par ceux des quartiers de taudis qu'il affectionnait).
Et,
mon exemple favori parmi tous, pas même John Allen, qui s'est rendu à Buenos Aires peu après le 13 Mars 2013 pour vérifier les antécédents du nouveau pape, n'est revenu avec la moindre photo, ou même une description de l'appartement désormais légendaire où on dit que JMB a vécu comme archevêque (y a-t-il quelqu'un pour croire qu'Allen n'aurait pas au minimum pu se faire photographier en face de l'immeuble?)»

IL Y A TROIS ANS, LE PLUS GRAND ACTE D'HUMILITÉ DU PAPE DE L'HISTOIRE


John Allen
www.cruxnow.com
11 février 2016
Ma traduction

* * *

(...)
Alors que François est à juste titre célébré pour son humilité et sa simplicité personnelles, le plus grand acte d'humilité d'un pape que le monde ait vu depuis au moins 700 ans, et sans doute pour l'éternité, est venu de Benoît XVI il y a trois ans.

Oui, il y a une poignée de papes qui avaient démissionné auparavant. Le plus proche dans le temps a été Grégoire XII, qui a renoncé à sa charge en 1415 dans le but de mettre fin au Grand Schisme d'Occident. Mais le seul réel parallèle dans le sens d'une démission volontaire a été le pape Célestin V en 1294, que Dante a remisé dans les antichambres de l'enfer pour son «Grand Refus».
Même cette comparaison n'est pas tout à fait valide, parce que Célestin était confronté à la fois au pouvoir du roi Charles II de Naples et à son successeur à la papauté, Boniface VIII, et a fini par mourir en prison (rappelons qu'en 2009 Benoît XVI avait posé son étole papale sur la dépouille du pape Célestin lors d'une visite à Aquila en Italie, chose qui, avec le recul semble une indication claire que la démission était déjà dans son esprit à l'époque.)
Benoît a été le premier pape à renoncer à ses pouvoirs, sans être pressé par un schisme, des armées étrangères, ou des luttes de pouvoir internes, mais plutôt comme résultat d'un auto-examen honnête, qu'il n'était tout simplement plus à la hauteur des exigences de sa charge.
D'accord, certains Italiens croient que Benoît a démissionné en raison d'un scandale de fuites impliquant des documents secrets volés par son ancien maître d'hôtel, ou à la suite de pressions exercées par un lobby malfaisant interne au Vatican, opposé à ses efforts de "purification". Benoît et ses proches ont toutefois toujours rejeté ces explications, et en tout cas elles ne rendent pas sa décision moins volontaire.

Malgré la réputation d'ultra-conservateur de Benoît, c'était quelque chose de profondément novateur. Au fil des années, j'avais consulté des experts sur la papauté à Rome, qui estimaient que pour un pape, il était inconcevable, en plus d'être théologiquement impossible, de démissionner.
«Mon Dieu - m'a dit un jour l'un de ces experts - pouvez-vous imaginer un pape qui démissionne? Il pourrait aussi bien être l'archevêque de Canterbury!»

En vérité, Benoît n'a jamais bénéficié du crédit pour la vraie humilité qu'il a dégagée toute sa vie durant, y compris ses huit annnées en tant que pape.
Voici un exemple classique: peu de temps après l'élection de François en Mars 2013, le nouveau pontife est retourné à la résidence romaine où il séjournait avant le conclave, la Casa del Clero, afin d'emballer son sac et de payer sa propre facture. Cet épisode est devenu une partie de la narration du «pape humble» qui a entouré François depuis.
Savez-vous ce que le pape Benoît a fait après son élection?
Il est retourné à son appartement de la Piazza Leonina à Rome pour emballer son sac, qu'il lui-même porté dans les quartiers du Pape (ndt: ce n'est pas tout à fait exact: les appartements de JP II, laissés en l'état depuis 1978, avaient nécessité des travaux de rénovation). Son appartement était au même étage que ceux de trois autres cardinaux (ndt: dont Kasper!!), et au moment de son départ, Benoît a sonné chez eux pour remercier les religieuses effrayées qui faisaient fonction de gouvernante d'avoir été de si bonnes voisiness.
Pourquoi le récit sur François est-il devenu une légende, tandis que celui sur Benoît est presque oublié? Parce que Benoît a amené avec lui dans la papauté une narration négative, tandis que François a eu la chance de pouvoir façonner la sienne lui-même.

En vérité, ceux qui ont eu la chance d'interagir avec Benoît croient généralement qu'aucun personnage public de l'ère moderne n'a souffert d'une déconnexion plus dramatique entre l'image publique et la personnalité privée (*). En public, Benoît était perçu comme distant et autoritaire; en privé, il apparaissait comme gentil, doux et timide.
L'histoire dépeindra presque certainement Benoît sous une lumière plus aimable que les comptes-rendus contemporains.

En attendant, les responsables de l'Eglise pourraient vouloir envisager de marquer le 11 février comme la "Fête de la Sainte Humilité", parce que quoi qu'il arrive désormais, ils ont peu de chance de trouver un meilleur exemple au plus haut niveau.

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(*) A la décharge de John Allen, il avait - discrètement - véhiculé en son temps une image "aimable" de Benoît XVI.