Présence-absence du Pape Emérite



Une très belle réflexion (publiée sur le site de la Fondation Josep Ratzinger-Benoît XVI) sur la fascination croissante exercée par Benoît XVI, trois ans après sa "dissimulation" au monde (22/4/2016)


On peut juste regretter (un peu) le lien artificiel établi entre Benoît XVI et son successeur (l'interview au jésuite belge Jacques Servais servant de justification à la continuité, via le thème de la miséricorde - alors que l'OR lui-même, sous la plume de Lucetta Scaraffia a écarté cette "lecture" forcée) , mais on peut supposer que c'est en quelque sorte un passage obligé....

Phénoménologie du Pape Émérite


Maria Giuseppina Buonanno
21 Avril 2016
www.fondazioneratzinger.va

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Autour de la présence-absence de Benoît XVI se multiplient les initiatives qui redécouvrent la richesse de ses œuvres et de sa personnamité


C'est le 11 Février 2013 que Benoît XVI annonça au monde sa volonté de renoncer au ministère pétrinien. Après presque huit ans de pontificat, il rendait publique sa décision sur un ton calme et avec des mots nés d'une réflexion que nous avons imaginée dense de pensées et d'angoisses. Et quelques jours plus tard, rencontrant les prêtres de Rome pour le rendez-vous traditionnel de début de Carême (w2.vatican.va), Joseph Ratzinger parla officiellement de son désir de rester à l'écart des projecteurs, une fois une fois qu'il serait descendu du trône de Pierre, peu de temps après, le 28 Février.
Il le dit avec ces mots: «Même si je me retire maintenant dans la prière, je suis toujours près de vous et je suis sûr que vous aussi serez vous près de moi, même si pour le monde je reste caché».

Depuis lors, c'est ce qui se passe.

PHÉNOMÉNOLOGIE DE L'ABSENCE
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Le Pape émérite Joseph Ratzinger, né le 16 Avril 1927, vit dans le monastère Mater Ecclesiae, au Vatican, et il n'est apparu en public qu'en de rares occasions, à l'invitation de François (la dernière fois, à l'ouverture de la Porte Sainte de Saint Pierre, pour le Jubilé de la Miséricorde).
Et pourtant, aujourd'hui, la puissance de ses paroles est forte. Sa retraite monastique et sa présence dans l'absence scénique, une «présence-absence», deviennent un champ fertile qui fait germer et cultive l'analyse de son oeuvre, de ses écrits théologiques et son ministère. Son éloignement des yeux du monde met en acte une volonté de compréhension et de réexamen de sa pensée et de sa personnalité même. Cela se traduit par une grande richesse d'initiatives. Parmi les plus récentes, on compte la naissance de la bibliothèque qui lui est dédiée, au Collège teutonique, au cœur du Vatican, les nombreuses publications qui approfondissent ses œuvres et son pontificat, un master qui analyse sa doctrine, les nombreuses rencontres d'étude, nationales et internationales.
Pour définir la phénoménologie de la «présence-absence» du pape émérite, il faut partir de la Bibliothèque romaine Joseph Ratzinger-Benoît XVI, inaugurée en Novembre 2015, qui abrite déjà plus d'un millier de volumes, traduits en 37 langues (1).
L'ampleur de l'oeuvre théologique et spirituelle de Ratzinger, qui a écrit 102 livres, dont 98 avant l'élection, et plus de 600 articles, peut trouver à travers la Bibliothèque romaine qui porte son nom, de nouvelles voies de connaissance et de compréhension. De nouveaux parcours, non seulement pour les chercheurs et les théologiens, capables d'apporter sa réflexion à ceux qui, tout en percevant sa grandeur, l'observent de loin.

CE LIEU OÙ L'ON SOIGNE L'ÂME
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Et pourtant, dans ses œuvres, Ratzinger a su parler au cœur humain. «Il a affronté avec sagesse et simplicité des thèmes tels que le bonheur et l'amour humain», souligne Pietro Luca Azzaro, conservateur de la bibliothèque dédiée à Ratzinger, traducteur de l' allemand des Opera Omnia du pape émérite et professeur d'histoire à l'Université Université catholique de Milan (2).

La bibliothèque a été conçue pour être un lieu de vie, un centre générateur, pas un musée ou un entrepôt de livres. Cette pensée a été savamment éclairée par le cardinal Gianfranco Ravasi dans la Lectio qu'il a tenue pour l'inauguration de la bibliothèque dédiée à Ratzinger (contribution qui a été recueillie dans le livret publiée par la Lbrairie éditrice du Vatican sous le titre "De la Bible à la Bibliothèque - Benoît XVI et la culture de la Parole") (3). Ravasi a parlé de l'historien Hécatée qui depuis la Grèce se rend en Egypte et visiter le Ramesseum, le mausolée de Ramsès II, le pharaon qui avait «occupé avec son histoire presque tout le XIIIe siècle avant JC». Là, sur un portail, Hécatée découvre un écrit et le traduit ainsi: «Lieu de soin de l'âme». «Qu'était donc cette "clinique de l'esprit"? La réponse, Hécatée l'eut en y pénétrant: c'était la bibliothèque sacrée de Ramsès», a expliqué Ravasi.
En ce sens, la Bibliothèque romaine, recueillant la pensée théologique de Ratzinger, qui ne naît pas d'une spéculation purement intellectuelle, mais met en relation l'homme avec Dieu, se présente comme un lieu de connaissance, de proximité et de soin de l'âme humaine. Un lieu où des questions se posent, un endroit où vous trouverez des réponses, en franchissant le seuil.

QUAND LE PONTIFE PARLAIT D'AMOUR
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Et c'est précisément la dimension humaine qui est très présente dans la première encyclique de Benoît XVI, intitulée Deus Caritas Est , publié en Janvier 2006.
Aujourd'hui, cette encyclique est au centre du livre "Deus Caritas Est - Porte de la Miséricorde" qui sera présenté le 26 Avril dans la salle "Benoît XVI" du Campo Santo Teutonico au Vatican (l'ouvrage est une synthèse du Symposium international pour le dixième anniversaire de la lettre apostolique) .
La conférence et le livre ne sont pas l'expression d'une commémoration, la célébration d'un anniversaire, mais une réflexion qui soulève des perspectives théologiques et pastorales pour le monde contemporain.
L'encyclique, en réfléchissant sur le sens de l'amour chrétien, apporte une lumière nouvelle sur un thème toujours présent dans les analyses théologiques et philosophiques de Joseph Ratzinger: le "sentir" ('sentire') humain. Les sentiments sont vus dans la dimension humaine, à la lumière de la dimension divine.
«... Dans ma première Encyclique, je désire parler de l'amour dont Dieu nous comble et que nous devons à notre tour communiquer aux autres» écrit Ratzinger dans l'introduction de la lettre apostolique. Où il considérait l'amour que Dieu, «de façon mystérieuse et gratuite, offre à l'homme» et «la pratique ecclésiale du commandement de l'amour du prochain».Où il a analysé eros et agapè, à la recherche de la différence et de l'unité.
Et il a écrit.
« Même si, initialement, l’eros est surtout sensuel, ascendant – fascination pour la grande promesse de bonheur –, lorsqu’il s’approche ensuite de l’autre, il se posera toujours moins de questions sur lui-même, il cherchera toujours plus le bonheur de l’autre, il se préoccupera toujours plus de l’autre, il se donnera et il désirera "être pour" l’autre. C’est ainsi que le moment de l’agapè s’insère en lui ; sinon l'eros déchoit et perd aussi sa nature même. D’autre part, l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir».

LA PASTORALE DE RATZINGER
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La connaissance de la personnalité et de la doctrine du théologien Joseph Ratzinger - à travers son ministère et ses œuvres - est à la base du Master «Joseph Ratzinger: études et spiritualité», qui rassemble à Rome 100 inscrits (4). Commencé en Février dernier, il se terminera en Janvier 2017. Là aussi, le programme d'études n'est pas seulement académique: il présuppose une compréhension, une herméneutique appelées à porter des fruits, à nourrir, à soutenir les dimensions intellectuelles et spirituelles. C'est aussi dans cette optique que s'insèrent les centres de de recherche, une quarantaine, les institutions culturelles et les universités, italiennes et étrangères, pontificales et d'état, avec lesquelles la Fondation Ratzinger, fondée en 2010, a d'étroits rapports de collaboration.
L'expérience de professeur d'université, la capacité analytique, la confiance dans la raison, dans la pensée et l'agir humains, font de l'oeuvre théologique de Joseph Ratzinger une "pastorale de l'intelligence". Dans cette dimension intellectuelle, sont également semés les aspects plus personnels.

«Sans doute, Ratzinger a cette force étrange et admirable de ceux qui aiment plus être surpris que surprendre: pour cette raison aussi, la sienne n'est pas une attitude de tendresse, mais de douceur sereine et de mélancolie subtile, presque de fragilité. Comme si son regard atteignait la distance et la hauteur de ceux qui essaient de voir le fond du cœur des hommes», analyse Joaquin Navarro Valls, qui fut directeur du Bureau de presse du Saint-Siège pendant 22 ans, dans le livre "A passo d’uomo" (publié par Mondadori en 2009). Et en peu de mots, il décrit une pastorale humaine et intellectuelle, celle de Benoît XVI.

CETTE FLAMME ENTRE FRANÇOIS ET BENOÎT
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La richesse du patrimoine spirituel de Ratzinger a été soulignée par François le 15 Mars 2013, dans le premier discours prononcé devant le Collège des cardinaux après l'élection comme pape. «Dans ces années de pontificat, il a enrichi et revigoré l'Eglise avec ses enseignements, sa bonté, sa direction, sa foi, son humilité et sa douceur. Ils resteront un héritage spirituel pour tous! Le ministère pétrinien, vécu avec un dévouement total, a eu en lui un interprète sage et humble, avec ses yeux toujours fixés sur le Christ, le Christ ressuscité, présent et vivant dans l'Eucharistie», a dit le pape Bergoglio. «Nous sentons que Benoît XVI a allumé une flamme dans les profondeurs de nos cœurs: elle va continuer à brûler, car elle sera alimentée par sa prière, qui soutiendra toujours l'Eglise dans son chemin spirituel et missionnaire» (5).
C'est à ces mots du pape François que renvoie le titre du livre "Benedetto XVI - un Papa totale" , écrit par Marco Mancini, publié par les éditions Tau en Février dernier , et dédié au pontificat de Ratzinger commencé le 19 Avril 2005.
Et le pape émérite, dans le livre "Per mezzo della fede", du jésuite Daniel Libanori, met l' accent sur la centralité de la miséricorde dans le message chrétien. Cette miséricorde au centre de cette année jubilaire, et qui est si chère à François (6).
«Sa pratique pastorale s'exprime dans le fait qu'il nous parle sans cesse de la miséricorde de Dieu», a souligné le pape émérite en parlant du Pape Bergoglio.
La miséricorde est aussi un nouveau signe qui unit Ratzinger et Bergoglio. François, pour le livre-entretien avec Andrea Tornielli réalisé à l'occasion du Jubilé, a choisi comme titre "Le nom de Dieu est miséricorde". Et c'est une phrase prononcée par le pape Benoît dans un discours du 30 Mars 2008, en la journée dédiée à la Miséricorde Divine.

C'était de 15 Avril 2006, la nuit du Samedi Saint, quand les paroles de Benoît XVI résonnèrent avec une force tranquille dans la basilique vaticane. «C’est moi, mais ce n’est plus moi», a dit Ratzinger dans son homélie de la veillée pascale. Et il a expliqué: «tel est le chemin de la croix, le chemin qui crucifie une existence renfermée seulement sur le moi, ouvrant par-là la route à la joie véritable et durable» (7).
Déjà dans ces paroles, se manifestait le principe de "présence-absence".
Aujourd'hui, la pensée et les mots de Ratzinger trouvent une force nouvelle, écoutés dans l'intégralité du message. Aujourd'hui, sa présence dans l'absence scénique se fait à nouveau révélatrice.

NDT


(1) http://benoit-et-moi.fr/2015-II/..
(2) http://benoit-et-moi.fr/2015-II/benot-xvi/la-bibliotheque-ratzinger-1.html
(3) http://benoit-et-moi.fr/2015-II/benot-xvi/benoit-xvi-et-la-culture-de-la-parole.html
(4) http://benoit-et-moi.fr/2016/benot-xvi/un-master-ratzinger-a-rome.html
(5) Ce sont évidemment de belles paroles... de circonstance, et sans doute écrites par d'autres. La suite a hélas prouvé qu'il connaissait peu l'oeuvre de théologien de Joseph Ratzinger et son enseignement de pape
(6) http://benoit-et-moi.fr/2016/benot-xvi/linterview-de-benoit-xvi-par-le-p-servais.html et http://benoit-et-moi.fr/2016/benot-xvi/une-interview-de-benoit-xvi.html
(7) http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2006/documents/hf_ben-xvi_hom_20060415_veglia-pasquale.html