Benoit-et-moi 2017
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Quel est le vrai programme de François?

Serait-ce le programme du Groupe de Saint-Gall? Les questions inquiètes du P. Scalese (30/5/2017)

S'il est vrai que l'élection du cardinal Bergoglio est le résultat de l'activité de lobbying du fameux Groupe de Saint-Gall (fait reconnu par le cardinal Danneels et confirmé par Mgr Gänswein), comment ne pas penser que l'agenda de ce lobby ait pu devenir le programme gouvernemental du pape? Pour quel autre but l'auraient-ils élu, sinon pour réaliser leurs propres objectifs?

Quel programme?

P. Giovanni Scalese CRSP
querculanus.blogspot.fr
29 mai 2017
Ma traduction

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Un lecteur m'a signalé la conférence qu'Enzo Bianchi a donnée à Cagliari le 23 mai dernier. A un certain point de l'enregistrement (15'57"), l'orateur se laisse aller à une confidence quant à la détermination du pape François dans la poursuite de la réforme:
Un jour, on lui a demandé [au pape] confidentiellement: «Mais, Sainteté, porterez-vous à leur terme toutes ces réformes que vous annoncez?». Sa réponse a été: «Je ne prétends pas cela; je veux que des processus soient engagés, et je veux que dans ce chemin que nous faisons ensemble, on ne puisse plus revenir en arrière».

Ce sont des propos rapportés, bien sûr; mais il n'y a aucune raison d'en mettre en doute l'authenticité, aussi parce qu'ils ont été prononcées par un homme très proche du Saint-Père. Si l'on veut pinailler, Bianchi ne révèle aucun secret. Que le Pape ait voulu lancer des processus, il l'avait déjà dit dans sa première interview donnée au père Antonio Spadaro et publiée dans La Civiltà Cattolica du 19 Septembre 2013:

Dieu se manifeste dans une révélation historique, dans le temps. Le temps initie les processus, l’espace les cristallise. Dieu se trouve dans le temps, dans les processus en cours. Nous devons engager des processus, parfois longs, plutôt qu’occuper des espaces de pouvoir. Dieu se manifeste dans le temps et il est présent dans les processus de l’histoire. Cela conduit à privilégier les actions qui génèrent des dynamiques nouvelles. Cela requiert patience et attente.

D'après cette citation, il apparaît évident que le fait d' «engager des processus» est tout simplement un corollaire du premier des quatre postulats du pape François: «Le temps est supérieur à l'espace» (voir mon post du 10 mai 2016 [traduit ici benoit-et-moi.fr/2016/actualite/les-quatre-postulats-de-franois). Dans l'Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, il dit à ce sujet:

Un des péchés qui parfois se rencontre dans l’activité socio-politique consiste à privilégier les espaces de pouvoir plutôt que les temps des processus. Donner la priorité à l’espace conduit à devenir fou pour tout résoudre dans le moment présent, pour tenter de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation. C’est cristalliser les processus et prétendre les détenir. Donner la priorité au temps c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces.(n. 223)

Donc, en affirmant qu'il veut engager des processus, Papa Bergoglio ne fait que répéter ce qui est l'un de ses principes inspirateurs. Il sait bien qu'il serait illusoire d'espérer tout changer du jour au lendemain, non seulement parce que certains processus de changement requièrent du temps, mais aussi parce qu'il est inévitable qu'une fois mis en route, ils rencontrent des résistances, et il devient donc nécessaire de ralentir le rythme, en attendant que même les plus récalcitrants rattrappent leur retard. Parfois, pour que cela se produise, il faut des générations. Donc, l'important est d'engager le processus, sans la hâte de le voir immédiatement conclu.

Ce qui en revanche, à mon avis, ne se retrouve pas dans les interventions publiques antérieures, c'est l'ajout suivant: «je veux que dans ce chemin nous faisons ensemble, on ne puisse plus revenir en arrière». Donc, une fois le chemin commencé, peu importe la longueur du trajet parcouru; ce qui importe, c'est qu'une fois ce trajet parcouru - court ou long - on ne puisse plus revenir en arrière. Cela peut sembler une considération évidente: si nous avons décidé de nous mettre en route vers un but, on ne peut pas ensuite permettre d'aller dans la direction opposée. Enzo Bianchi identifie dans ces mots la détermination du pape François dans la poursuite de la réforme. Personnellement, au contraire, je trouve de telles expressions plutôt inquiétantes. Pourquoi? Parce qu'à mon avis, elles présupposent un programme à mettre en œuvre. Il est évident que si je me mets en route, je le fais parce que j'ai décidé d'atteindre une destination bien précise. On ne se met pas en route pour une simple balade. Il doit y avoir des objectifs à atteindre; ces objectifs sont généralement insérés dans un programme. Et ceci explique l'exclusion de la possibilité de revenir en arrière: se fixer un objectif et poursuivre ensuite dans la direction opposée n'aurait pas de sens.
Eh bien, direz-vous, qu'y a-t-il de mal à cela? Tout homme de gouvernement a un programme à mettre en œuvre; on ne voit pas pourquoi le pape n'en aurait pas un lui aussi. Personnellement, je pense que le rôle du pape est un peu différent de celui d'un simple homme politique. Benoît XVI l'avait bien compris, au point que, dans l'homélie de la messe pour le début de son pontificat (24 Avril, 2005), il déclara:

Chers amis ! En ce moment, je n’ai pas besoin de présenter un programme de gouvernement. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer, dans mon message du mercredi 20 avril, certains aspects de ce que je considère comme de ma charge; je ne manquerai pas de le faire en d’autres circonstances. Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, de ne pas poursuivre mes idées, mais, avec toute l’Église, de me mettre à l’écoute de la parole et de la volonté du Seigneur, et de me laisser guider par lui, de manière que ce soit lui-même qui guide l’Église en cette heure de notre histoire.

Il me semble que la bonne attitude pour un Pape - et pas seulement - est précisément de «se mettre à l'écoute de la parole et de la volonté du Seigneur et de se laisser guider par lui». Surtout, il me semble que le pape François lui-même nous répète souvent de rester ouverts aux surprises de Dieu. Pour ne donner qu'un exemple récent, on peut citer sa méditation du 8 mai dernier:

«L'Esprit est le don de Dieu, de ce Dieu, notre Père, qui nous surprend toujours: le Dieu des surprises». Et cela «parce que c'est un Dieu vivant, qui vit en nous, qui émeut notre cœur, qui est dans l’Église et qui marche avec nous. Et ce chemin, toujours, nous surprend». Par conséquent, «tout comme il a eu la créativité de créer le monde, il a aussi la créativité de créer de nouvelles choses chaque jour». Il est «le Dieu qui nous surprend».

Franchement, celui qui ne veut pas faire sa volonté, ne veut pas poursuivre ses propres idées, mais préfère écouter la parole et la volonté du Seigneur et se laisse guider par lui, me semble beaucoup plus ouvert aux surprises de Dieu que celui qui dit: «je veux que dans ce chemin que nous faisons ensemble, on ne puisse plus revenir en arrière». Que signifie «aller de l'avant» ou «revenir en arrière»? Ne réalise-t-on pas qu'il s'agit de concepts totalement relatifs au contexte idéologique dans lequel ils sont utilisés? Pour moi, par exemple, l'Eglise, dans les cinquante années qui ont suivi le Concile, a fait suffisamment de chemin; tandis que je considère qu'au cours des quatre dernières années, elle est revenue en arrière (voir le post du 23 Février 2016 [benoit-et-moi.fr/2016/actualite/formidable-ces-annees] et celui du 31 Janvier).

Par suite, même si, personnellement, je préférerais que le pape n'ait pas un « programme de gouvernement», je suis disposé à admettre que c'est une vision dépassée et qu'il est possible (voire nécessaire) que la papauté de nos jours s'adapte aux modèles de pouvoir actuels (comme du reste elle l'a souvent fait dans le passé, en assumant certaines formes de gouvernement caractéristiques des différentes époques historiques). Aujourd'hui, il est normal qu'un homme politique qui aspire au gouvernement d'un pays présente un programme aux électeurs et si ensuite il obtient la majorité des votes, il ait le devoir de mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu. Je ne sais pas s'il est opportun pour l'Eglise d'adopter une telle pratique; je ne sais pas si les normes canoniques en vigueur le permettent. Mais faisons l'ypothèse que cela puisse être l'une des réformes à introduire dans l'Eglise. Très bien, mais dans ce cas, il faut que le «programme gouvernemental» soit rendu public. Je ne prétends pas que cela soit fait avant l'élection d'un nouveau pape (dans notre cas, une «campagne électorale» n'est pas prévue), mais au moins au début du pontificat, il serait opportun que le nouvel élu expose publiquement quelles sont les lignes qu'il entend suivre et les objectifs qu'il souhaite atteindre au cours de son mandat. Cela me semble une question de transparence et de respect pour les «sujets».
*

Quel est le programme du pape François? On pourrait aisément répondre: l'Exhortation apostolique Evangelii Gaudium (24 Novembre 2013). J'en ai traité dans le post du 27 Avril 2016 [benoit-et-moi.fr/2016/actualite/amoris-laetitia-tout-etait-dans-evangelii-gaudium] . Que Papa Bergoglio ait voulu donner à ce qui aurait été sinon une simple exhortation apostolique post-synodale un caractère programmatique ne fait aucun doute. Vous comprendrez toutefois qu'il est difficile d'identifier dans un document de 260 pages, qui va de l'homélitique aux questions sociales, les lignes d'un éventuel «programme gouvernemental». Mais le pape lui-même, à un certain point donne une indication bien précise de caractère programmatique:

Je n’ignore pas qu’aujourd’hui les documents ne provoquent pas le même intérêt qu’à d’autres époques, et qu’ils sont vite oubliés. Cependant, je souligne que ce que je veux exprimer ici a une signification programmatique et des conséquences importantes. J’espère que toutes les communautés feront en sorte de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour avancer sur le chemin d’une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont. Ce n’est pas d’une « simple administration » [Vème Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida (29 juin 2007), n. 201] dont nous avons besoin. Constituons-nous dans toutes les régions de la terre en un « état permanent de mission ».[Ibid., n. 551](n. 25)

Ainsi, l'objectif principal du pontificat du pape François pourrait être identifié justement dans cette «conversion pastorale et missionnaire» de l'Église. Ce n'est pas ici le moment de nous demander si, dans les quatre années écoulées, une telle conversion a été mise en œuvre ou, au moins, un processus engagé dans ce sens. Cela pourrait faire l'objet d'une nouvelle réflexion. Pour l'instant nous nous limitons à observer que c'est un objectif assez générique.
La question se pose alors: est-il possible qu'il n'y ait pas un programme plus détaillé? La réponse pourrait être: avant le conclave de 2013, il y eut des réunions du collège des cardinaux, dans lesquelles fut élaboré une sorte de pro-memoria pour le futur pontife. Bien entendu, les conclusions de ces réunions n'ont pas été publiées, mais les experts ont fourni les lignes directrices de la «plate-forme» prédisposée:

Dès les premiers mois du pontificat [Papa Bergoglio] a jeté les bases d'un programme ambitieux. Le point de départ est la plate-forme qui a émergé au cours du pré-conclave, sur la base des demandes du cardinal exprimées au cours des congrégations générales du 4 au 11 Mars 2013. Dans ces réunions, les propositions étaient essentiellement trois: réformer la Curie, la rendant plus simple et plus efficace; faire le ménage à la banque du Vatican et promouvoir la «collégialité», en instaurant des consultations fréquentes entre le pape, le collège des cardinaux et les conférences épiscopales, afin de favoriser la participation des évêques du monde dans les choix stratégiques du pape (Marco Politi, "François parmi les loups: les secrets d'une révolution au Vatican", 2015).

Comme on peut le voir, en l'occurrence, les trois points ont un caractère plus institutionnel qu'autre chose. Ici encore, on pourrait se demander à quel point nous en sommes de la mise en œuvre de ce programme. Quelqu'un a fait remarquer que le pape François s'est appliqué à ces réformes «plus par obligation que par passion» (chiesa.espresso.repubblica.it). Mais en ce qui nous concerne, la chose, au moins pour le moment, ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse, c'est plutôt: est-ce tout? Ou y a-t-il davantage? Je serais hypocrite si je niais qu'il y a une idée qui me trotte dans la tête. S'il est vrai que l'élection du cardinal Bergoglio est le résultat de l'activité de lobbying du fameux Groupe de Saint-Gall (fait reconnu par le cardinal Danneels et confirmé par Mgr Gänswein), comment ne pas penser que l'agenda de ce lobby ait pu devenir le programme gouvernemental du pape? Pour quel autre but l'auraient-ils élu, sinon pour réaliser leurs propres objectifs? Lorenzo Bertocchi (dans la Bussola) résume ainsi le programme du Groupe de Saint-Gall [en septembre 2015]:

Un point qui a toujours uni le Groupe Saint-Gall concerne la demande d'une plus grande autonomie aux églises locales pour l'application des règles de l'Eglise universelle. En d'autres termes, on espérait une plus grande collégialité, sur les ailes d'un esprit du Concile à mettre pleinement en œuvre, en particulier pour celles qui étaient considérées comme de simples questions de discipline de l'Église, mais pas seulement. Une référence précise concernait par exemple la question de l'accès possible à l'Eucharistie des divorcés remariés, ou bien la question du célibat des prêtres, à abolir. Le groupe de Saint-Gall était également animé par une certaine volonté de réformer la gouvernance de l'Église

On reconnaît aisément dans cette brève revue les contenus du fameux «rêve» du cardinal Martini (l'un des membres du Groupe) au Synode sur l'Europe de 1999:

Un troisième rêve est que le retour festif des disciples d'Emmaüs à Jérusalem pour rencontrer les apôtres devienne stimulus pour répéter de temps en temps, au cours du siècle qui commence, une expérience de confrontation universelle entre les évêques, capable de dissoudre certains de ces noeuds disciplinaires et doctrinaux qui ont peut-être été peu abordés ces jours-ci , mais qui réapparaissent périodiquement comme points chauds sur le chemin des Églises européennes, et pas seulement européennes. Je pense en général aux approfondissements et aux développements de l'ecclésiologie de la communion, du Concile Vatican II. Je pense à la pénurie, déjà dramatique en certains endroits, de ministres ordonnés et à la difficulté croissante pour un évêque de pourvoir au soin des âmes dans son territoire avec un nombre suffisant de ministres de l'Évangile et de l'Eucharistie. Je pense à certaines questions concernant la situation des femmes dans la société et dans l'Eglise, la participation des laïcs à certaines responsabilités ministérielles, la sexualité, la discipline du mariage, les pratiques pénitentielles, les relations avec les Églises sœurs de l'Orthodoxie et plus généralement la nécessité de raviver l'espérance œcuménique, je pense à la relation entre démocratie et valeurs, et entre droit civil et droit moral (Il Margine, n.9/1999)

Pour répondre à ces questions, le cardinal Martini souhaitait la convocation d'un nouveau Concile. Il est évident que la plupart des points soulevés par l'archevêque de Milan étaient liés aux questions qui ont été abordées par Paul VI (célibat des prêtres, contraception, etc.) et Jean-Paul II (communion pour les divorcés remariés, sacerdoce féminin, avortement, etc.) d'une manière différente de celle que le Groupe Saint-Gall aurait souhaité. Étant donné que l'un de ces points (communion pour les divorcés remariés) a été repris et résolu dans la manière souhaitée par le Groupe, devons-nous nous attendre à ce que les autres points aussi soient, tôt ou tard, examinés afin de leur donner une solution différente de celle déterminée par les précédent Pontifes?