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LES CATÉCHÈSES DU PAPE SUR LES FEMMES
 

Elles ont été rassemblées dans un livre, à paraître ces jours-ci en Italie. La préface, du médiéviste André Vauchez, a été en partie publiée par l'OR. ma traduction (17/7/2011).




 
 

Entre le 1er septembre 2010 (Hildegarde de Bingen) et le 2 février 2011 (Sainte Thérèse de l'enfant Jésus), le Saint-Père a consacré 17 catéchèses à de grandes figures religieuses féminines, sans que cela soulève la moindre étincelle d'intérêt chez les catholiques militantes de l'ordination féminines (voir ici): on peut les relire en français sur le site du Vatican
-> Celles de 2010
-> Celles de 2011

Je peux dire que je les ai toutes écoutées (et même regardées) en direct, et que j'ai été captivée, gardant un souvenir particulier de celle consacrée à Jeanne d'Arc (ici)
Il y eut aussi celle, mémorable, consacrée à une inconnue Marguerite Oingt (ici)

Ces catéchèses ont été regroupées dans un livre à paraître en Italie : «Benedetto XVI. Donne nel Medioevo. Il genio femminile nella storia del popolo di Dio» (www.libreriacoletti.it/libro/.)
L'OR d'aujourd'hui publie d'amples extraits de la préface, écrite par André Vauchez (né en 1938), dont Radio Vatican nous fournit quelqes éléments biographiques:

André Vauchez est historien, agrégé d'histoire (normalien), membre de l'École française de Rome, il s'est spécialisé dans l'histoire de la sainteté et de la spiritualité médiévales. De 1995 à 2003 il a été directeur de l'École française de Rome. Sa thèse sur l'histoire de la canonisation et de la sainteté à la fin du Moyen-Âge ; « La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen-Âge (1198-1431) » a fait date, et Catherine Aubin l’interroge sur son choix : pourquoi avoir choisi comme sujet de thèse, la sainteté au Moyen-Âge ?
Parmi ses publications on peut citer : « Les laïcs au Moyen-Âge » aux éditions du Cerf, et aussi « François d'Assise », chez Fayard, en 2009.

La préface est érudite, mais comment dire... un peu condescendante, à mon goût, et par rapport aux catéchèses du Pape, elle "dessèche" un peu le propos.
Ma traduction.




 

Femmes du Moyen-Age
Le génie féminin dans l'histoire du peuple de Dieu
(Source en italien)

Les catéchèses de Benoît XVI sur les mystiques médiévales féminines
André Vauchez
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Dans les "collations" consacrées à quelques saintes femmes, surtout mystiques, le Pape Benoît XVI redevient le Professeur Joseph Ratzinger, l'auteur d'une thèse de doctorat sur la théologie de l'histoire chez saint Bonaventure (Munich, 1959), donc un «collègue», un excellent connaisseur de la pensée médiévale et de la spiritualité, avec qui j'ai eu l'occasion de dialoguer sur un terrain pas trop déséquilibré à mon désavantage.

Dans cette oeuvre, nous pouvons voir le Chef de l'Église catholique se comporter en patient hagiographe, sur les traces de son lointain prédécesseur Grégoire le Grand, qui dans les Dialogues se consacra aux Patres Italiens et en particulier à la vie et aux miracles de saint Benoît.
Benoît XVI présente de brèves mais précises notices historiques sur la biographie de quelques saintes médiévales et rapporte des citations de leurs écrits, afin que les fidèles en perçoivent la richesse spirituelle et peut-être qu'il leur donne l'envie de les lire. Il accomplit en somme une oeuvre vraiment méritoire de «vulgarisation» et ouvre une nouvelle voie pour les chrétiens.
Cela fait plus de cinquante ans que la culture chrétienne a commencé à redécouvrir les écrits des Pères de l'Église et des auteurs chrétiens de l'Antiquité tardive, mais la œuvres des grands maîtres spirituels du Moyen Age, malgré leur beauté et leur profondeur, sont encore largement «terra incognita», si l'on exclut le petit cercle des érudits. Nous devons donc nous réjouir lorsque le Saint-Père souligne "l'intérêt pour le chrétien d'aujourd'hui de puiser dans la grande richesse, largement méconnue, de la tradition médiévale mystique".
Le sujet sur lequel Benoît XVI a choisi de s'arrêter dans les prédications publiées ici coïncide avec l'évolution récente de l'historiographie. Les travaux pionniers de Herbert Grundmann sur le rôle des femmes (la fameuse "Frauenfrage" - autrement dit la question féminine) dans les mouvements religieux du Moyen Age remontent aux années trente du XXe siècle, mais ne furent connus que dans les années cinquante et soixante. D'autre part, l'histoire des femmes, longtemps négligée, n'a connu un grand succès que dans les trois dernières décennies du siècle dernier, influençant aussi le domaine de l'histoire religieuse. Dans cette même période, certains spécialistes de l'Antiquité tardive et du Moyen Âge ont commencé à consacrer leurs recherches à l'histoire de la sainteté et du culte des saints, relisant les sources hagiographiques selon une perspective spécifiquement historique.

Les discours du pape publiés ici se situent à la croisée de ces courants de renouveau historiographique. On en perçoit clairement l'écho, quoique discrètement, compte tenu du genre littéraire des interventions, qui ne prévoit pas le recours à l'érudition minutieuse.
Sans faire une leçon d'histoire, qui aurait été hors de propos, le pape contextualise opportunément quelques notions, comme celle de la réclusion ou de la mystique nuptiale, dont le sens pourrait échapper au grand public, les reliant à la culture et à la religiosité médiévales, jusqu'à faire comprendre ce que signifiaient de telles idées pour la vie réelle de certaines saintes femmes.
A côté de quelques personnalités majeures et largement connues, du moins en principe, comme Claire d'Assise, Catherine de Sienne et Jeanne d'Arc, le pape Benoît XVI laisse la place à quelques figures moins connues mais non moins intéressantes, comme les saintes religieuses de Helfta, en Thuringe, Mathilde de Hackeborn et Gertrude la Grande, la chartreuse française Marguerite d'Oingt, et Juliana de Mont-Cornillon, de la région de Liège. Comme cela arrive pour toutes les sélections, les choix que le Pape propose, parmi de nombreuses figures possibles de saintes, peuvent faire l'objet de discussion. On pourrait se demander, par exemple, les raisons de l'absence de références à la bienheureuse Marie d'Oignies, dont la vie, écrite par Jacques de Vitry, fut la première biographie mystique dans l'histoire du monde occidental.
Le pape souligne à juste titre deux aspects fondamentaux: la culture religieuse des femmes mentionnées et leurs expériences mystiques. Démentant un lieu commun dur à disparaître, il insiste sur le fait que même lorsque ces femmes, par humilité se déclaraient illitteratae, cela ne veut pas dire que nous devrions les considérer comme ignorantes, mais plutôt qu'elles étaient dépourvues d'une formation de type scholastique.
Au point qu'elles témoignent posséder une solide culture biblique, résultant de la fréquentation des textes liturgiques. Même leurs visions et leurs «révélations» ne doivent pas être considérées comme des songes plus ou moins faux, puisqu'elles trouvent une correspondance dans certains concepts théologiques bien identifiables.
Le pape se montre impressionné par l'itinéraire spiritel de ces saintes, tout comme l'avaient été au Moyen Age les clercs qui leur avaient servi de secrétaires ou de confesseurs.

Ces femmes connurent la conversion réelle, le passage brusque d'un mode de vie à un autre, comme dans le cas exemplaire d'Angèle de Foligno, qui laissa derrière elle une vie mondaine pour en embrasser une de pénitence, jusqu'à établir une relation intime avec le Christ, qui se transforma en une expérience de vie d'union avec Dieu lui-même. À cet égard, est particulièrement intéressant le passage que le pape a consacré à Catherine de Gênes, où il affirme que la mystique authentique, loin de viser au bonheur narcissique ou au détachement des êtres humains, est au contraire portée à s'ouvrir aux autres, simplement parce qu'elle commence à les voir à travers les yeux de Dieu et à les aimer avec son cœur.
C'est là une clarification très opportune, qui corrige une tendance des hagiographes médiévaux. Ceux-ci, en effet, avaient tendance à codifier la vie de leurs héroïnes, après la conversion, comme une vie marquée non seulement par le mépris du monde dans lequel elles avaient vécu, mais aussi par une indifférence totale au sort du prochain, lequel faisait fonction d'obstacle contre le choix de la vie contemplative.
Il serait inapproprié de vouloir extraire de ces textes, dont le but est plus pastoral que doctrinal, une étude systématique et comparative, entre hier et aujourd'hui, sur le rôle des femmes dans la vie religieuse, bien que le Pape n'hésite pas , en certaines circonstances, à soulever à ce sujet des problèmes importants, comme quand il affirme que les femmes, bien qu'exclues du sacerdoce ordonné, ont eu, et ont encore un rôle spécial dans l'Eglise, grâce aux charismes dont elles sont souvent gratifiées par l'Esprit Saint.
Il se réfère notamment aux dons de vision et à "la capacité à discerner les signes des temps", c'est-à-dire à prophétiser pour le bien du peuple chrétien, comme l'ont fait au Moyen Age, Hildegarde de Bingen et Brigitte de Suède.
Certains de ces saintes femmes, dont Benoît XVI présente et analyse la vie ici, avaient toutefois dépassé les fractures traditionnelles sur la spécialisation des rôles entre hommes et femmes. C'est le cas, par exemple, d'Hildegarde, qui fut autorisée par Eugène III à s'adresser à la fois aux fidèles et au clergé pour les amener une vie meilleure, et à prêcher contre les cathares à Cologne.
De même, le Pape met l'accent sur les talents théologiques remarquables de Gertrude la Grande, qui l'avaient prédestinée à l'apostolat. Nous ne devons pas oublier, d'un autre côté, qu'au Moyen Age était répandue la croyance selon laquelle Marie-Madeleine serait allé en Provence avec son frère Lazare, après l'Ascension du Christ, pour évangéliser les païens.

Choisissant ici de ne parler que de figures féminines, le Pape souligne que les saintes femmes ont été en avance sur leur temps, avec des intuitions et des prémonitions que l'Eglise ne devait reprendre et codifier que plus tard. Il illustre, par exemple, que la dévotion de Juliana de Mont-Cornillon, concernant la présence «réelle» du Christ dans l'Eucharistie, a également contribué à la création de fête spéciale en l'honneur du Corpus Christi et son extension à toute la chrétienté avec le pape Jean XXII en 1317.

Les textes de Benoît XVI mettent en outre l'accent sur le caractère radical de l'engagement des femmes, une fois qu'elles ont reçu la révélation de l'élection divine et l'appel consécutif à la mission. Le Pape souligne l'exemple de Jeanne d'Arc qui, bien qu'ayant été condamnée à mourir sur le bûcher par un tribunal ecclésiastique, ne dérogea jamais à la soumission à l'autorité de l'Église.
Il aurait pu aussi se référer à Claire d'Assise, qui, durant toute sa vie religieuse, s'efforça de résister aux tentatives de la papauté d'imposer aux "Pauvres Dames recluses" de Saint Damien la règle bénédictine qui leur aurait permis d'acquérir des biens, tandis qu'elle la refusait, pour ne pas briser le dernier lien avec les Frères mineurs et le voeu de pauvreté évangélique de saint François.
Benoît XVI reprend ces deux points quand il rappelle que les requêtes de Claire d'Assise ont été satisfaites, à la veille de sa mort, et quand il souligne qu'elle fut la première femme à écrire la règle de l'ordre religieux qu'elle avait fondé. Il est également vrai, cependant, qu'au XIIe siècle, Héloïse, après être entrée dans le monastère du Paraclet, édicta une règle, et il est également vrai que celle de sainte Claire fut bientôt remplacée par une autre - celle du pape Urbain IV - qui imposait aux Clarisses d'accepter des possessions et des revenus fixes.
Le témoignage des saintes, proposé ici par Benoît XVI à la méditation des fidèles, libère le sexe réputé à tort faible, à la fois des soupçons dépendant de la symbolique d'Ève responsable du péché originel, et des préjugés de faiblesse intellectuelle et morale transmis au Moyen Age chrétien par la tradition littéraire antique. Le Pape nous rappelle, justement à travers l'histoire, que certaines d'entre elles, tant religieuses que laïques, ont atteint les sommets de l'expérience religieuse à travers l'union mystique avec le Christ, au point d'exercer une forte influence sur les clercs qui les suivaient, et répandaient leurs messages.

(© L'Osservatore Romano, 17 Juillet 2011)




La communication de l'Eglise (II) | La trahison des élus