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Aristote et Saint Thomas d'Aquin

Une partie de la catéchèse du 2 juin était consacrée à la transmission et à l'interprétation de la pensée d'Aristote dans l'Occident chrétien. Cela n'est pas sans rapport avec la récente polémique franco-française autour de l'essai "Aristote au Mont Saint-Michel... (3/6/2010)
Traduction de la catéchèse: ESM.

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La catéchèse d'hier était consacrée à Saint-Thomas d'Aquin.
Encore plus que d'habitude, le Pape a su nous captiver par son talent de conteur, malgré ce qui aurait pu être un sujet ardu, s'adressant souvent directement à son auditoire, les yeux dans les yeux.
Où est le piètre orateur qui débite son texte d'une voix monocorde sans lever le nez de sa feuille, dont certains journalistes spécialisés nous rebattent régulièrement les oreilles?

J'ai utilisé la traduction de mes amis du site ESM pour relever plusieurs passages particulièrement signifificatifs.

Le premier, qui reprend le thème qui lui est cher du rapport entre foi et raison, nous renvoie à une polémique qui a fait rage en France, à la suite de la parution en 2008 de l'essai de Sylvain Gouguenheim "Aristote au Mont Saint-Michel: les racines grecques de l'Europe chrétienne" , dans lequel ce dernier défendait l'idée que la culture de l'Occident ne devait pas tant que cela à l'apport islamique.
Le mieux, et le plus neutre, pour un rappel, est de lire la présentation du livre par l'éditeur lui-même (1).

Le Saint-Père ne prend pas directement position dans le débat, mais ce qu'il dit y a assurément sa place. Il nous apprend que Thomas d'Aquin avait commencé à s'intéresser à Aristote à Naples, où l'érudit et... sulfureux Empereur du Saint-Empire et Roi de Naples Frédéric II avait fondé une prestigieuse université permettant l'étude de sa pensée "sans les limitations imposées ailleurs": on peut donc supposer, au vu de la personnalité de Frédéric, que les apports arabes n'étaient pas absents de cet enseignement.
Plus loin, il précise que Thomas d'Aquin avait lu Aristote "en se procurant de nouvelles traductions latines de l'oeuvre originale en grec" (2), et même, encore un peu plus loin, qu'il put lire par lui-même les textes originaux en grec. Il ressort de tout cela que le mérite de Saint-Thomas d'Aquin est d'avoir dépassé l'interprétation de la pensée d'Aristote par les penseurs arabes.

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(...) [vers 1240, Thomas est né en 1224-25] il se rendit dans la capitale du Royaume de Sicile, Naples, où Frédéric II avait fondé une prestigieuse Université. On y enseignait, sans les limitations imposées ailleurs, la pensée du philosophe grec Aristote, auquel le jeune Thomas fut introduit, et dont il comprit immédiatement la grande valeur.

En 1245, (...) Il fut envoyé à Paris pour étudier la théologie sous la direction d'un autre saint, Albert le Grand (..).
Albert et Thomas nouèrent une véritable et profonde amitié, et apprirent à s'estimer et à s'aimer, au point qu'Albert voulut que son disciple le suivît également à Cologne, où il avait été envoyé par les Supérieurs de l'Ordre pour fonder une école de théologie. Thomas se familiarisa alors avec toutes les œuvres d'Aristote et de ses commentateurs arabes, qu'Albert illustrait et expliquait.

A cette époque, la culture du monde latin avait été profondément stimulée par la rencontre avec les œuvres d'Aristote, qui étaient demeurées longtemps inconnues
. Il s'agissait d'écrits sur la nature de la connaissance, sur les sciences naturelles, sur la métaphysique, sur l'âme et sur l'éthique, riches d'informations et d'intuitions, qui apparaissaient de grande valeur et convaincants. Il s'agissait d'une vision complète du monde, développée sans et avant le Christ, à travers la raison pure, et elle semblait s'imposer à la raison comme « la » vision elle-même : c'était donc une incroyable attraction pour les jeunes de voir et de connaître cette philosophie.
De nombreuses personnes accueillirent avec enthousiasme, et même avec un enthousiasme acritique, cet immense bagage de savoir antique, qui semblait pouvoir renouveler avantageusement la culture, ouvrir des horizons entièrement nouveaux. D'autres, toutefois, craignaient que la pensée païenne d'Aristote fût en opposition avec la foi chrétienne, et se refusaient de l'étudier. Deux cultures se rencontrèrent : la culture pré-chrétienne d'Aristote, avec sa rationalité radicale, et la culture chrétienne classique. Certains milieux étaient conduits à rejeter Aristote également en raison de la présentation qui était faite de ce philosophe par les commentateurs arabes Avicenne et Averroès. En effet, c'était eux qui avaient transmis la philosophie d'Aristote au monde latin. Par exemple, ces commentateurs avaient enseigné que les hommes ne disposaient pas d'une intelligence personnelle, mais qu'il existe un unique esprit universel, une substance spirituelle commune à tous, qui œuvre en tous comme « unique » : par conséquent, une dépersonnalisation de l'homme. Un autre point discutable véhiculé par les commentateurs arabes était celui selon lequel le monde est éternel comme Dieu. De façon compréhensible, des discussions sans fin se déchaînèrent dans le monde universitaire et dans le monde ecclésiastique. La philosophie d'Aristote se diffusait même parmi les gens ordinaires.
A l'école d'Albert le Grand, Thomas d'Aquin fit une chose d'une importance fondamentale pour l'histoire de la philosophie et de la théologie, je dirais même pour l'histoire de la culture : il étudia à fond Aristote et ses interprètes, se procurant de nouvelles traductions latines des textes originaux en grec (2). Ainsi, il ne s'appuyait plus seulement sur les commentateurs arabes, mais il pouvait également lire personnellement les textes originaux, et commenta une grande partie des œuvres d'Aristote, en y distinguant ce qui était juste de ce qui était sujet au doute ou devant même être entièrement rejeté, en montrant la correspondance avec les données de la Révélation chrétienne et en faisant un usage ample et précis de la pensée d'Aristote dans l'exposition des écrits théologiques qu'il composa. En définitive, Thomas d'Aquin démontra qu'entre foi chrétienne et raison, subsiste une harmonie naturelle. Et ceci a été la grande œuvre de Thomas qui, à cette époque de conflit entre deux cultures - époque où il semblait que la foi devait capituler face à la raison - a montré que les deux vont de pair, que ce qui apparaissait comme de la raison non compatible avec la foi n'était pas raison, et que ce qui apparaissait comme de la foi ne l'était pas, si elle s'opposait à la véritable rationalité ; il a ainsi créé une nouvelle synthèse, qui a formé la culture des siècles qui ont suivi.

La catéchèse contient aussi ces deux bref passage, où on ne peut s'empêcher de voir une sorte d'auto-portrait:

En 1269 il fut rappelé à Paris pour un second cycle d'enseignement.
Les étudiants - on les comprend - étaient enthousiastes de ses leçons. L'un de ses anciens élèves déclara qu'une très grande foule d'étudiants suivaient les cours de Thomas, au point que les salles parvenaient à peine à tous les contenir et il ajoutait dans une remarque personnelle que « l'écouter était pour lui un profond bonheur ».
...
Outre les études et l'enseignement, Thomas se consacra également à la prédication au peuple. Et le peuple aussi venait volontiers l'écouter. Je dirais que c'est vraiment une grande grâce lorsque les théologiens savent parler avec simplicité et ferveur aux fidèles. Le ministère de la prédication, d'autre part, aide à son tour les chercheurs en théologie à faire preuve d'un sain réalisme pastoral, et enrichit leur recherche de vifs élans.

Enfin, la conclusion, sublime:

Les derniers mois de la vie terrestre de Thomas restent entourés d'un climat particulier, mystérieux dirais-je. En décembre 1273, il appela son ami et secrétaire Réginald pour lui communiquer sa décision d'interrompre tout travail, parce que, pendant la célébration de la messe, il avait compris, suite à une révélation surnaturelle, que tout ce qu'il avait écrit jusqu'alors n'était qu'« un tas de paille ». C'est un épisode mystérieux, qui nous aide à comprendre non seulement l'humilité personnelle de Thomas, mais aussi le fait que tout ce que nous réussissons à penser et à dire sur la foi, aussi élevé et pur que ce soit, est infiniment dépassé par la grandeur et par la beauté de Dieu, qui nous sera révélée en plénitude au Paradis.
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La vie et l'enseignement de saint Thomas d'Aquin pourrait être résumés dans un épisode rapporté par les anciens biographes.
Tandis que le saint, comme il en avait l'habitude, était en prière devant le crucifix, tôt le matin dans la chapelle « San Nicola » à Naples, Domenico da Caserta, le sacristain de l'Eglise, entendit un dialogue. Thomas demandait inquiet, si ce qu'il avait écrit sur les mystères de la foi chrétienne était juste. Et le Crucifié répondit : « Tu as bien parlé de moi, Thomas. Quelle sera ta récompense ? ». Et la réponse que Thomas donna est celle que nous aussi, amis et disciples de Jésus, nous voudrions toujours lui dire : « Rien d'autre que Toi, Seigneur ! » .

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Notes

(1) On considère généralement que l'Occident a découvert le savoir grec au Moyen Âge, grâce aux traductions arabes. Sylvain Gouguenheim bat en brèche une telle idée en montrant que l'Europe a toujours maintenu ses contacts avec le monde grec. Le Mont-Saint-Michel, notamment, constitue le centre d'un actif travail de traduction des textes d'Aristote en particulier, dès le XIIe siècle. On découvre dans le même temps que, de l'autre côté de la Méditerranée, l'hellénisation du monde islamique, plus limitée que ce que l'on croit, fut surtout le fait des Arabes chrétiens. Même le domaine de la philosophie islamique (Avicenne, Averroès) resta en partie étranger à l'esprit grec. Ainsi, il apparaît que l'hellénisation de l'Europe chrétienne fut avant tout le fruit de la volonté des Européens eux-mêmes. Si le terme de "racines" a un sens pour les civilisations, les racines du monde européen sont donc grecques, celles du monde islamique ne le sont pas.

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(2) Mais qui a traduit Aristote?
André Burguière, professeur d'histoire médiévale à l'ENS-lettres et sciences humaines de Lyon
Source: «le Nouvel Observateur» du 22 mai 2008
(...) L'essai de Sylvain Gouguenheim, appuyé sur une solide connaissance des échanges intellectuels entre Orient et Occident au Moyen Age, est convaincant sur deux points essentiels: les clercs d'Occident n'ont jamais perdu le contact avec les textes de la Grèce antique. Quand le grec a cessé d'être connu des lettrés dans le monde latin, des clercs souvent formés à Byzance se sont mis à traduire les auteurs grecs; comme ce Jacques de Venise dont Gouguenheim nous rappelle le travail considérable. Attaché à l'abbaye du Mont-Saint-Michel, l'un des ateliers de copie les plus actifs de l'Occident, il a traduit en latin au milieu du XIIème siècle la plupart des oeuvres d'Aristote. Et c'est dans ses traductions, non chez les penseurs arabes, qu'Albert le Grand et Thomas d'Aquin se sont réapproprié l'oeuvre du philosophe grec. Dans le monde musulman lui-même, ce sont avant tout des chrétiens syriaques qui ont traduit en arabe et commenté les textes grecs, comme le nestorien Yuhanna ibn Masawayh, médecin et logicien, né au VIIIème siècle sous le calife Harun al-Rachid, ou son disciple Hunayn ibn Ishaq.



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La voix du Pape 7 juillet, dernière AG avant vacances